L'homme devenu serpent
Dans l’art des faux-semblants, de l’image et des représentations soignantes, les Indiens de l’ouest de l’Amérique avaient développé un système différent mais pourtant comparable, en dessinant sur le sable des formes colorées par l’intermédiaire desquelles les esprits pouvaient soigner le malade. On commençait à peindre au crépuscule et le tout devait être effacé le soir suivant.
Souvent la magie consistait aussi à extraire un objet supposé pathogène. Chez les Indiens, le Bilbo faisait semblant de retirer un objet dangereux (pointe, lame…) du corps du malade. Dans le Mexique précolombien, le sorcier revêtu d’un habit de cérémonie frottait la partie atteinte par le mal, aspirait la cause supposée de la maladie et régurgitait des pointes de flèches, des petits crapauds et divers objets étranges censés causer la maladie1. Les Aztèques cultivaient de nombreuses plantes d’une efficacité probablement objective mais interprétaient leur action en fonction de la symbolique. Ils employaient de préférence les plantes qui faisaient suer, vomir ou purgeaient, et qui par là même expulsaient les esprits maléfiques, dans une symbolique proche des saignées, ampoules et purgations de la médecine occidentale, utilisées de façon prépondérante jusqua l’orée du xxe siècle.
Toujours dans le Mexique précolombien, la tribu des Chiapas se prémunissait contre les morsures de serpent en utilisant les crocs des différentes espèces venimeuses de la région avec lesquels elle perçait délicatement la langue des patients de façon à en faire jaillir une goutte de sang. Il n’est pas possible actuellement de discuter de l’efficacité de cette méthode d’immunothérapie par désensibilisation. En revanche, les Chiapas étaient convaincus qu’une fois immunisé, l’homme devenait comparable au serpent qui, par définition, ne craint pas le venin qu’il a dans la gueule. Du coup, ceux qui avaient été immunisés devaient prendre garde à ne mordre personne car leurs propres dents étaient devenues venimeuses. Comme souvent, en médecine magique, la partie est prise pour le tout : acquérir l’une des propriétés du serpent confère la totalité de ses pouvoirs.
Rituels, cultes, détournement des médicaments, nombreuses sont les techniques qui inscrivent un traitement dans une culture donnée, lui conférant un sens local et lui permettant, à partir de là, d’acquérir parfois une action décuplée. L’observation de l’effet placebo est intemporelle tout comme elle est universelle. Le phénomène concerne toutes les classes sociales, tous les âges, mais aussi toutes les cultures. En Occident, d’ailleurs, la recherche de la potion magique, de la panacée, s’inscrit elle-même dans une tradition médicale dont l’influence joue encore et toujours, même si le souvenir s’en est perdu.