L’excrétion : le rein et la formation de l’urine
La formation et l’élimination de l’urée:
En 1773, le chimiste français Hilaire-Marin Rouelle (1718-1799) réalisa un extrait alcoolique d’urine qui lui permit d’isoler une « matière savonneuse » qu’il nomma « urée ». En 1797, ses compatriotes Antoine-François de Fourcroy (1755-1809) et Louis-Nicolas Vauquelin (1763-1829) obtinrent la première préparation d’urée pure. Vingt ans plus tard, en 1817, le médecin écossais William Prout (1785-1850) modifia la technique de purification de l’urée et parvint à établir sa formule chimique.
L’implication du rein dans le contrôle de la concentration sanguine de l’urée (urémie) fut prouvée en 1823 par les Français Jean-Louis Prévost (1790-1850) et Jean-Baptiste André Dumas (1800-1884). Les deux chimistes observèrent qu’un animal ayant subi l’ablation des deux reins voyait son urémie augmenter constamment et mourait rapidement. En 1856, le médecin français Joseph Picard (1834-1895) réalisa chez l’homme sain des dosages sanguins d’urée. Il trouva des concentrations identiques dans les veines et les artères, sauf au niveau du rein où l’urémie veineuse correspondait à la moitié de l’urémie artérielle. Le rein était donc l’organe responsable de l’élimination de l’urée. Néanmoins, en cette fin de XIXe siècle, le site de synthèse de l’urée n’est pas encore identifié.
L’expérience de Widal (1904):
Au tout début du XXe siècle, le médecin français Fernand Widal (1862-1929) s’intéresse à une iorme d’insuffisance rénale chronique, le mal de Bright, décrit en 1827 par l’un de ses confrères anglais, Richard Bright (1789-1858). Les symptômes principaux qui caractérisent cette pathologie sont une émission accrue d’urine (polyurie), une hypertension artérielle, des crises de goutte dues à la cristallisation d’acide urique au niveau des articulations et des infections urinaires.
À cette époque, la communauté scientifique ignore que l’urée est un produit du catabolisme des protéines, ce qui ne sera démontré qu’en 1932 par Krebs. Cependant, on connaît la formule chimique de l’urée et l’on sait, depuis 1836 et les études du chimiste hollandais Gerhardus Johannes Mulder (1802-1880), que les protéines contiennent de l’azote. C’est d’ailleurs Mulder qui a créé le terme «protéine», du grec « πpwtoo», qui signifie «premier», pour désigner cette famille de substances organiques indispensables à la vie.
En 1904, Widal soumet l’une de ses patientes souffrant d’une forme peu sévère du mal de Bright à une succession de régimes alimentaires différents au plan de leur apport protéique. Au bout de quelques jours de chaque régime, les concentrations d’urée sont mesurées dans le sang et l’urine de la patiente, qui passe au régime suivant seulement lorsque ces paramètres sont stabilisés.
A chaque fois que le nouveau régime alimentaire fournit un apport supplémentaire de protéines (viande) ou d’urée, l’urémie s’élève pour atteindre un nouveau plateau. En parallèle, la concentration urinaire d’urée augmente, traduisant une accélération de son élimination par cette voie qui compense, au moins en partie, l’apport supplémentaire d’azote. Le phénomène inverse est observé lorsque la ration azotée est diminuée lors des régimes.
Widal montre ainsi que le débit urinaire de l’urée dépend de l’urémie. Le rein est donc capable d’adapter l’élimination urinaire de l’urée à l’urémie, qui, de la sorte, peut être maintenue à des niveaux physiologiques.
L’expérience de Pavlov (1920):
Dans les années 1910, le célèbre chimiste russe Ivan Petrovitch Pavlov (1849-1936) et ses collaborateurs reproduisent plusieurs observations expérimentales datant du siècle précé¬dent, qui confirment que le rein est le lieu d’élimination de l’urée sanguine. Ils montrent en outre que lors de la perfusion d’un rein isolé avec du sang, la concentration sanguine en urée est la même à la sortie et à l’entrée de l’organe. Cette expérimentation permet à l’équipe de Pavlov de vérifier que le rein n’est pas le lieu de synthèse de l’urée.
En 1920, la même équipe échafaudé une expérience qui lui permet d’étudier le rôle du foie dans la formation de l’urée.
Elle utilise la technique dite de la fistule d’Eck – mise au point par le physiologiste russe Nicolaï Eck (1849-1917) – qui consiste à ligaturer la veine porte avant son arrivée au niveau du foie et à l’aboucher à la veine cave inférieure. Une fois cette dérivation vasculaire porto-cave mise en place, l’irrigation du foie n’est plus assurée que par l’artère hépatique.
Les chercheurs observent que cette exclusion fonctionnelle partielle du foie permet la survie des animaux, mais s’accompagne d’une diminution de la concentration d’urée, tant dans le sang et dans l’urine. Ils montrent ainsi que le foie est le lieu de production de l’urée.