L’excrétion : le gradient cortico-meduilaire rénal et les modalités de son établissement
En 1843, Friedrich Gustav Jacob Henlé (1809-1885), anatomiste et pathologiste allemand, réalisa, dans son Traité d’anatomie générale, une description extrêmement précise de l’anse du néphron, où il distinguait un « segment fin» et un «segment large». Au début du XXe siècle, il fut observé que l’anse de Henlé était particulière-ment développée chez les mammifères vivant dans des milieux secs et produisant une urine très concentrée. En 1942, le physico-chimiste suisse Werner Kuhn (1899- 1968) émit l’hypothèse selon laquelle la production d’une urine hypertonique par rapport au plasma résultait de mécanismes de concentration à contre-courant s’établissant entre la branche descendante et la branche ascendante de l’anse de Henlé. En 1950, le physiologiste suisse Heinrich Wirz (1914-1993) appliqua la technique de mesure du Δ cryoscopique à des coupes longitudinales du rein et obtint la première preuve expérimentale de l’existence d’un gradient de concentration entre le cortex et la médullaire rénale.
L’expérience de Wirz (1950):
Des reins de rats privés d’eau sont prélevés et congelés, puis découpés en chambre froide et dégelés progressivement sous le microscope. La température de fusion des cristaux d’urine présents dans les structures tubulaires est mesurée à différents niveaux de l’axe cortico-papillaire.
Le contenu liquidien des tubules corticaux dégèle à la même température que le plasma sanguin artériel au niveau de l’artériole afférente (en amont des capillaires glomérulaires). L’urine tubulaire corticale est donc isotonique par rapport à ce plasma. Le A cryoscopique de l’urine tubulaire augmente ensuite progressivement de la jonction cortico-médullaire (medulla externe) jusqu’à l’extrémité de la papille (medulla interne).
Wirz a donc mis en évidence l’existence, en condition de stress hydrique, d’un gradient cortico-médullaire d’osmolarité de l’urine tubulaire, depuis l’isotonicité dans le cortex rénal (glomérules et tubules contournés) jusqu’à une osmolarité élevée au niveau papillaire.
L’expérience de Gottschalk et Mylle (1959):
Le médecin américain Cari W. Gottschalk (1922- 1997) et son assistante Margaret Mylle appliquent aux différents segments du néphron la technique de microponction d’urine glomérulaire mise au point par Wearn et Richards en 1924.
Après une incision abdominale, le rein d’un rat est prélevé puis placé dans un bain thermostaté à 37 °C. Les microponctions d’urine tubulaire sont réalisées sous le microscope à l’aide d’une micropi¬pette de verre de 6 à 10 |im de diamètre. La micro¬pipette est actionnée par un micromanipulateur et reliée à un cathéter de polyéthylène par lequel l’urine est recueillie. Après recueil de l’urine tubulaire, la micropipette est remplie de bleu de méthylène et ce dernier est injecté pour vérifier le point de ponction. La ponction de l’urine définitive est opérée au moyen d’une aiguille fine insérée dans le premier tiers supérieur de l’uretère. Enfin, la veine jugulaire de l’animal est cathétérisée pour prélever les échantillons plasmatiques dont la composition sera le reflet de celle des liquides interstitiels. Les deux chercheurs évaluent l’osmolarité de chaque échantillon urinaire prélevé en utilisant la méthode du A cryoscopique et la rapportent à celle du plasma.
Gottschalk et Mylle étudient des animaux soit soumis à une restriction hydrique, soit chez lesquels la diurèse a été augmentée (hyperurie). Pour parvenir à l’hyperurie, deux approches sont mises en œuvre. La première consiste à augmenter le volume sanguin par perfusion intraveineuse de sérum physiologique. La seconde implique la perfusion de différentes solutions concentrées (mannitol à 25%, glucose à 25% ou urée à 10%) : l’élimination urinaire de ces substances dans l’urine s’accompagne, selon les lois de l’osmose, d’une élimination accrue d’eau (diurèse osmotique).
L’expérience montre, pour tous les animaux testés qu’ils soient en restriction hydrique ou en hyperurie une iso-osmolarité stricte entre l’urine tubulaire proximale et le plasma sanguin. Cette iso-osmola- rité s’observe sur toute la longueur du tube contourné proximal. Les réalisées au du tubule distal mettent au contraire une modification de l’osmolarité de l’urine au fur et à mesure de sa progression dans le tubule. Le fluide recueilli dans la première moitié du tubule contourné distal est hypotonique par rapport au plasma. Sa concentration augmente progressivement dans la partie médiane du tubule puis atteint l’isotonicité dans le dernier segment.
Gottschalk et Mylle ont donc démontré, grâce aux microponctions, que l’urine glomérulaire et le plasma présentent la même concentration en solutés. Cette concentration ne varie pas dans le tubule contourné proximal.
A la sortie de l’anse de Henlé, l’urine est moins concentrée que le plasma, puis retrouve une osmolarité égale à celle du plasma à la fin du tubule contourné proximal. C’est donc une urine iso-osmotique au plasma qui pénètre dans le tube collecteur.
Et pourtant, une urine très concentrée en est émise, en particulier en conditions de restriction hydrique. Ces mesures prouvent donc que la concentration finale de l’urine a lieu au niveau des tubes collecteurs et non de l’anse de Henlé.
Ces résultats, croisés avec les connaissances scientifiques de l’époque concernant le gradient de concentration corticopapillaire, ont permis à Gottschalk et Mylle d’émettre l’hypothèse de l’existence d’un contre-courant multiplicateur au niveau de l’anse de Henlé des mammifères.