L'essor des produit laitiers
Parce que le lait se prête à un très grand nombre de transformations et de fractionnements, la filière laitière est en plein essor. Bénéficiant de recommandations nutritionnelles très fortes (un produit laitier à chaque repas), de produits adaptés à la vie moderne, les produits laitiers font l’objet chez certains nutritionnistes et consommateurs d’un zèle diététique exagéré, alors qu’à l’opposé une frange encore restreinte du corps médical les soupçonne de tous les maux. Évidemment cette « diabolisation » n’est pas plus recevable que la pression diététique orchestrée par le lobby laitier ou les marchands de yaourts. Cependant il est possible que certains sujets gagnent à réduire fortement leur consommation de produits laitiers, qui ne sont pas nécessairement des aliments adaptés à l’ensemble des individus ou des populations.
L image santé des produits laitiers est particulièrement mise en avant par les industriels du secteur agroalimentaire qui s’en approprient la paternité. Ce raccourci est saisissant, et il est nécessaire de le situer dans la chaîne de production laitière. Cette dernière est devenue très intensive avec des summums de rendement par vache proches de 10 000 litres de lait par an. Une telle production nécessite un apport important de céréales, de légumineuses riches en protéines, de minéraux, souvent d ensilage de maïs, et les vaches sont loin de disposer d’un plein de phytomicronutriments et d’acides gras essentiels tels qu’elles pourraient en bénéficier avec certains pâturages ou fourrages. Comme pour les viandes, il existe une continuité, une logique dans 1 élaboration de la qualité ; sans une alimentation végétale de qualité en amont, il est vain d’espérer obtenir de bons produits animaux. Or il existe une pression de plus en plus forte pour faire baisser le prix du lait qui est pourtant plus difficile à produire que l’eau minérale, et cela ne favorise pas la recherche de la qualité.
L’industriel au milieu de cette chaîne est garant de la sécurité microbiologique, de la qualité des fermentations, des étapes de fractionnement ou de quelques restitutions de vitamines perdues. Il ne peut transcender une matière première de faible qualité en un produit extra sous tous les angles ; en matière d’alimentation, la magie concerne, à la rigueur, nos représentations mentales et non les qualités intrinsèques d’un produit. Dans ces conditions, il semble donc qu’il y ait une survalorisation nutritionnelle des produits laitiers issus d’une chaîne de production trop intensive pour être d’une qualité optimale. Parce que l’industrie laitière a une forte capacité à standardiser les produits, l’importance de la qualité de la matière première récoltée à la ferme a sans doute été sous-estimée.
Pourtant, beaucoup de travaux ont été effectués pour décrire l’influence des facteurs alimentaires, des races et des méthodes d’élevage sur la qualité du lait. Comme pour les viandes, les paramètres nutritionnels à améliorer concernent principalement la qualité des matières grasses et la teneur en micronutriments. Les connaissances sur ces composés, qu’il s’agisse d’acides gras particuliers (acide linoléique conjugué) ou des micronutriments, sont encore insuffisantes. Une analyse très fine de la composition du lait est donc indispensable pour objectiver les différences de qualité des produits laitiers et des fromages, et pour garantir la qualité d’une filière de production.
L’encouragement à consommer le plus fréquemment possible des produits laitiers se heurte à la problématique de la richesse en matières grasses du lait, notamment en acides gras saturés, lorsqu’elle n’est pas tempérée par une teneur suffisante en acides gras polyinsaturés ou en acides gras spéciaux (dits conjugués) formés par la flore du rumen ou la glande mammaire.
Le fait que les matières grasses du lait soient trop saturées est un inconvénient nutritionnel reconnu qui justifie l’écrémage de nombreux produits laitiers. Cependant au cours de cette étape, les vitamines liposolubles sont perdues et parfois réintroduites pour retrouver les teneurs initiales. De gros espoirs sont portés par la filière autour des acides linoléiques conjugués dont la teneur dans le lait dépend de l’alimentation des vaches. Il semble bien que les effets bénéfiques de ces acides gras soient à relativiser par rapport à l’efficacité d’un apport bien équilibré en acides gras polyinsaturés d’origine végétale. D’ailleurs, bien que ce ne soit pas une voie courante actuellement, la meilleure façon d’équilibrer les matières grasses du lait serait certainement de pouvoir les substituer partiellement ou totalement par des lipides d’origine végétale, équilibrés en oméga-3 par exemple. La technologie permet également de modifier les matières grasses du lait, mais, compte tenu du défaut intrinsèque de la matière première, les ajustements n’ont pas une grande portée au niveau de la santé publique.
Il est intéressant de faire quelques commentaires sur des produits de consommation courante. Le développement de produits frais fermentés de type yaourt peut être perçu comme une réussite commerciale et nutritionnelle. La fermentation du lait réduit légèrement l’apport de lactose mais surtout favorise la tolérance digestive des adultes à ce sucre par l’apport d’une activité lactasique d’origine bactérienne. Cependant on peut observer des dérives dans la composition de ces produits avec l’utilisation de sucre, d’arômes, l’incorporation de fruits en bien trop faible quantité. Avec ces produits, le consommateur peut avoir l’impression de consommer des fruits, et la forte aromatisation induit certainement une déformation dans le goût et le comportement alimentaire des enfants, voire des adultes.
Les produits fermentés, source de bactéries susceptibles de rester vivantes dans l’intestin, font l’objet d’allégations très positives avec des bases scientifiques bien faibles ; il est dommage que l’on ne s’intéresse à la flore digestive qu’à propos de ces aliments qui sont loin d’être les plus déterminants pour la physiologie intestinale.
La qualité du beurre reflète évidemment celle du lait, et il n’est pas étonnant qu’elle soit moyenne à certaines périodes de l’année, avec une consistance dure et une très faible teneur en caroténoïdes. En France, la diversité et la qualité de nos fromages forcent à juste titre l’admiration. Leur richesse en acides gras saturés pose toutefois un problème de santé chez les grands consommateurs de ces produits. Parmi les mauvaises pratiques alimentaires, la teneur excessive en sel de certains fromages est à dénoncer. En plus de ses effets négatifs sur la pression artérielle, le sel induit une perte urinaire de calcium, ce qui va à l’encontre des effets recherchés avec les produits laitiers.
Il n’est pas possible de parler des produits laitiers sans évoquer leur rôle dans l’apport de calcium, ce qui constitue le fer de lance de la filière. Il faut cependant souligner que l’apport de calcium n’est pas le seul facteur limitant pour la prévention de l’ostéoporose, et que le discours associant étroitement produits laitiers et prévention de l’ostéoporose est réducteur et bien dogmatique. De même, le fait de présenter les produits laitiers comme des aliments efficaces pour la prévention du risque hypercholestérolémique, par l’addition de phytostérol, procède d’une démarche marketing bien éloignée d’un esprit de nutrition préventive.
Finalement il est souhaitable que la filière laitière joue un juste rôle dans le développement d’une bonne nutrition, ce qui nécessite de faire des ajustements au niveau des produits proposés et du discours nutritionnel. On peut aussi émettre le vœu que cette filière prenne les mesures nécessaires pour préserver la typicité des fromages ou des laits et résiste aux sirènes de la standardisation industrielle.