L'espoir suffit-il pour guérir?
Par ailleurs, on entend souvent parler de guérisons spontanées où l’esprit aurait vraisemblablement joué un rôle déterminant, parfois même sans le concours d’un traitement médical. La pensée, en plus de soigner, aurait-elle aussi le pouvoir de guérir le corps ? Ces guérisons inexplicables par la médecine ont souvent été vues comme relevant du mystère, quand on ne les mettait pas tout simplement en doute. Les neurosciences se penchent de plus en plus sur ces cas exceptionnels pour tenter de les comprendre. D’après leurs observations, notre esprit posséderait des pouvoirs insoupçonnés. Est-ce à dire qu’il serait donné à tout le monde de pouvoir guérir de la maladie par la pensée ? Au cours de ce chapitre,
je vais tenter de faire le point sur cette question tout aussi passionnante qu’énigmatique et complexe. Une meilleure compréhension de l’effet placebo servira d’entrée en matière pour explorer ce phénomène parfois surprenant qu’est la guérison du corps. Quels sont les facteurs psychologiques et relationnels susceptibles d’y jouer un rôle ? Qu’entend-on par processus naturels de guérison ? Jusqu’où la pensée peut-elle influencer la physiologie et à quelles conditions ? Peut-on expliquer scientifiquement les guérisons spontanées ?
L’effet placebo
Les médecins savent depuis longtemps qu’il suffit parfois de prescrire un médicament factice, par exemple une pilule uniquement composée de substances n’ayant aucun effet sur la physiologie, pour enclencher une guérison chez certains de leurs patients. Ce phénomène est appelé effet placebo, mot signifiant «pour plaire». On a longtemps pensé que celui-ci relevait uniquement de l’imagination, que le corps n était pas vraiment guéri ou qu’il n’avait jamais été malade. Pourtant, l’effet placebo étant très répandu, il a fini par intriguer suffisamment les scientifiques pour qu’on tente de le comprendre.
Danielle Fecteau, psychologue spécialisée en psychophysiologie, dans un livre intitulé L’effet placebo, a fait un relevé exhaustif des 30 ans d études portant sur ce phénomène. Ses recherches démontrent sans aucun doute que, chaque fois que nous recevons un traitement, quel qu’il soit – médicament, chirurgie, physiothérapie, acupuncture, ostéopathie, psychothérapie -, celui-ci n’est responsable que d’une partie des améliorations de l’état de santé qui s’ensuivent. L’autre partie, pouvant aller jusqu’à 50 %, est attribuable à l’effet placebo. Autrement dit, dans un contexte de soin, l’organisme met en branle ses propres mécanismes de guérison, parfois avant même que le traitement agisse. Tous les individus, peu importe leur race, leur sexe, leur âge ou leur personnalité,sont susceptibles de ressentir ces effets, mais l’intensité des réactions est imprévisible et variable d’une personne à l’autre. Les études avancent quelques hypothèses explicatives quant au fonctionnement de l’effet placebo. Il semble clair que des facteurs psychologiques et relationnels soient aptes à déclencher certaines réactions physiologiques permettant la guérison du corps. On pense même que ces facteurs seraient déterminants dans le fait qu’un malade guérisse ou non de son affection corporelle, qu’ils auraient autant, sinon plus d’impact sur la maladie que le traitement lui-même.
Les facteurs susceptibles d’influencer l’effet placebo
Des facteurs psychologiques
On le sait maintenant, les émotions sont susceptibles d’exercer une influence autant sur le déclenchement de maladies que sur la guérison. Plusieurs études montrent que l’anxiété et la peur peuvent jouer un rôle dans l’apparition et l’issue des maladies cardiovasculaires, de l’asthme, des allergies, de la douleur chronique, du cancer, de l’arthrite, du diabète et de bien d’autres maladies. Dans La pensée qui soigne, j’ai consacré un chapitre à l’impact possible d’une colère réprimée sur l’apparition de maladies et un autre au désespoir à l’origine de bien des décompensations psychosomatiques. À l’inverse, les émotions agréables comme la joie, l’amour, la générosité et la compassion induisent un état physiologique favorable à la santé. On se rappelle aussi l’influence déterminante de l’espoir pour soutenir les processus de guérison.
Mais les émotions ne sont pas les seuls facteurs psychologiques en cause. La confiance qu’a le patient dans le pouvoir bénéfique d’un traitement pharmacologique influence l’efficacité réelle de ce dernier. Les caractéristiques du médicament déterminent en partie cette confiance. Comment réagiriez-vous si votre pharmacien vous proposait une pilule grise ou noire ayant une forme inhabituelle ? Quand vous avez la grippe ou le rhume, avez-vous davantage confiance en un sirop au goût fort et mauvais qu’en un autre si doux que vous le sentez à peine passer dans la gorge ? Les compagnies pharmaceutiques ont vite compris que plus un remède est subjectivement perçu comme efficace, plus il a des chances de 1 être. Elles jouent donc sur son aspect, sa couleur, sa présentation, son goût. Le contexte dans lequel un traitement est administré joue aussi un rôle important pour susciter cette confiance. Quand on est malade, on a besoin d’une ambiance rassurante et calme, et les thérapeutes le savent. Une chambre d’hôpital avec fenêtre, un bureau de consultation accueillant et bien décoré favorisent la détente et aident à enclencher les processus de guérison.
Avez-vous déjà pris conscience des rituels que vous mettez en place lorsque vous êtes malade ? Personnellement, j’aime passer la journée en pyjama, me préparer un bouillon de poulet ou m’emmitoufler dans une couverture douce et chaude. Nous avons tous adopté de ces habitudes qui nous réconfortent quand nous nous sentons vulnérables. Ces gestes que nous avons appris très jeunes induisent l’effet placebo parce qu’ils sont associés à des souvenirs où quelqu’un, bien souvent la mère, a pris soin de nous. Certains conditionnements agissent dans le même sens. Je me souviens d un patient qui souffrait d asthme. Quand il était en proie à une violente crise, il n’avait qu’à se présenter à l’urgence de l’hôpital pour que celle-ci s’atténue. La seule vue du milieu où il avait déjà été soulagé suffisait à déclencher les processus physiologiques pour la faire cesser. Nous réagissons tous à de tels conditionnements qui se sont souvent installés tôt durant l’enfance alors que certains soins reçus nous ont soulagés. C’est ce qui explique que nous ressentions un soulagement dès que nous mettons le pied dans le bureau du médecin en qui nous avons confiance, ou encore que nous sentions les effets d’un médicament connu avant même que celui-ci ait eu le temps d’agir.
Il est un autre puissant moteur psychologique susceptible de déclencher l’effet placebo. Rossi (2002) et Crombez (2003) observent que, quand on étudie des cas de guérison spontanée, les raisons invoquées par les individus sont très variées. Pour certains, c’est l’amour qui les a guéris; pour d’autres, c’est la combativité.
Certains attribuent leur guérison au changement dans leur alimentation, d’autres à la réalisation d’un vieux rêve. Au-delà de ces variations personnelles, il existe un dénominateur commun à toutes ces situations: c’est la croyance très forte qu’a l’individu dans le moyen qu’il utilise. Les attentes et les croyances sont particulièrement déterminantes dans l’effet placebo il semble qu’elles arrivent en tête de liste des facteurs psychologiques influençant les processus de guérison. La perception que l’on a d’une maladie et des traitements proposés exerce une grande influence sur l’efficacité de ces derniers. Par exemple, plus on possède d’informations sur les taux de réussite élevés et les effets prévus d’un médicament prescrit, plus on a confiance et plus on a des chances de ressentir précisément les effets escomptés, même si le médicament administré est une substance inactive, une pilule composée de farine et d’eau, par exemple. À l’inverse, quand quelqu’un s’attend au pire, il entretient peu d’espoir et risque de mal réagir au médicament proposé. Par ailleurs, de nombreuses études révèlent que l’attitude face à la maladie agit sur les systèmes immunitaire et endocrinien. Ainsi, les personnes combatives, persuadées de pouvoir s’en sortir, ont plus de chance de guérir que celles qui se résignent.
Des facteurs relationnels
Jusqu’à présent, on a surtout parlé de l’influence du psychisme sur le corps propre. D’autres observations tendent à montrer l’effet que peut avoir un esprit sur le corps d’un autre. La qualité de la relation de confiance entre le patient et son médecin ou thérapeute s’avère aussi d’une grande importance pour favoriser la guérison. Ici, la personnalité du soignant compte pour beaucoup. Un médecin qui communique bien son enthousiasme et sa confiance dans le médicament qu’il prescrit, celui qui sait susciter l’espoir chez son patient, a plus de chance d’augmenter l’efficacité de son traitement. Les études montrent que les médecins qui prennent le temps d’écouter le malade sont ceux qui provoquent le plus l’effet placebo, allant même jusqu’à ne pas avoir besoin de prescrire quoi que ce soit. De nombreuses études montrent qu’un intervenant chaleureux, empathique, sensible, attentif et capable de compassion maximise l’effet placebo chez ses patients.
Peut-être avez-vous déjà éprouvé à quel point une présence aimante et rassurante peut contribuer à la guérison. La mère qui regarde intensément et avec amour son enfant malade lui donne espoir, l’aide à combattre et lui insuffle de la vie. Le psychothérapeute qui regarde droit dans les yeux son patient profondément déprimé et qui lui communique son désir de l’aider agit comme une sonde lancée dans les profondeurs de l’océan à laquelle le noyé peut s’accrocher pour remonter à la surface. Jean-François Beauchemin, dans un récit intitulé La fabrication de l’aube, apporte un témoignage émouvant de l’effet que peut avoir une relation affective sur les processus de guérison. Terrassé par une maladie grave qui menace de l’emporter, il parvient à guérir en se raccrochant aux êtres qui lui sont chers : « On a dit plus tard que mon rétablissement avait été dû aux médicaments et aux soins du personnel infirmier. C’est le point de vue de ceux qui ne virent de moi que la pelure. Au-dedans brûlait une lanterne. Tu l’allumais et, toujours, cela devenait le contrepoison de la souffrance31. » Quand une personne se sent aimée jusqu’au plus profond de son âme, plusieurs études démontrent que son corps réagit : le système immunitaire se renforce, la sérotonine est produite en abondance. D’autres observations rapportées par Fecteau tendent à démontrer que l’intention de faire du bien ou de guérir peut avoir des effets étonnants sur la physiologie de celui qui en est l’objet. Les sceptiques auront peut-être du mal à accorder foi aux résultats de ces recherches, mais ceux qui ont éprouvé les bienfaits d’un amour chargé d’intention bienveillante ne pourront que confirmer ces observations.
L’effet placebo: un processus de guérison naturel véritable
Sous l’influence de l’un ou l’autre des facteurs décrits précédemment, les études démontrent hors de tout doute qu’un processus de guérison véritable et mesurable physiologiquement s’enclenche. Les réactions corporelles déclenchées sont les mêmes que celles enregistrées après la prise d’un médicament actif et efficace. Devant ces découvertes étonnantes, une redéfinition de l’effet placebo s’impose. Alors qu’on ne l’avait jamais trop pris au sérieux, aujourd’hui, on le définit comme «[…] une modification réelle de la condition physique ou mentale d’un individu provoquée par le simple fait de recevoir des soins, peu importe leur efficacité32». Cette réaction biologique serait initiée au niveau du cortex cerebral et permettrait l’activation des systèmes nerveux, immunitaire et endocrinien. L’effet placebo est tellement universel que Rossi (2002) le considère comme la pierre angulaire de la guérison du corps par l’esprit. Par lui, l’imaginaire se trouve à être au cœur des processus naturels de guérison de l’organisme. Pour mieux comprendre la place qu’il y occupe, voyons en quoi consistent ces processus dans leur ensemble.