Les effets de l'âge sur les différentes modalités sensorielles et activités perceptives : Les effets psychologiques des changements auditifs et visuels liés à l’âge
Nous avons vu que parmi les aires cérébrales particulièrement affectées par l’âge ne figuraient pas les aires primaires de réception de l’audition et de la vision. En revanche, les aires associatives qui établissement des corrélations entre les différentes aires cérébrales semblent affectées par l’âge. En conséquence il est logique de constater, comme en témoignent un certain nombre de recherches (Horn, 1980 ; Schaie et al., 1964 ; Raz et al., 1990), qu’il n’existe pas de lien significatif entre les déficits sensoriels de natures auditive et visuelle et le fonctionnement cognitif général (mémoire et intelligence). En revanche, certains travaux laissent supposer qu’il pourrait en être autrement après 60-70 ans. Il est évident que cette fourchette d’âges n’a qu’une valeur statistique. Les déficits auditifs et visuels apparaissant chez l’âgé ne seraient pas seulement de nature périphérique comme c’est le cas la plupart du temps chez le sujet jeune, mais aussi de nature centrale, c’est-à- dire liés à des détériorations neuronales (Wemer et al., 1990 ; Fozard, 1990). Par ailleurs, certaines recherches (Thomas et al., 1983) ont témoigné d’un lien entre les déficits sensoriels auditif et visuel et des tests cognitifs. Enfin, la maladie d’Alzheimer est associée à une dégénérescence du nerf optique et à une acuité visuelle très déficitaire.
Une recherche de Lindenberger et al. (1994) mérite d’être mentionnée pour illustrer ce changement de signification des déficits auditifs et visuels chez l’âgé de plus de 60-70 ans. La finalité de l’expérience était d’étudier si les acuités visuelle et auditive constituaient de bons prédicateurs du niveau intellectuel chez les personnes de plus de 70 ans. On sait que chez l’adulte jeune, il n’existe pas de corrélation entre ces acuités et le niveau intellectuel. Cela signifierait autrement que les porteurs de lunettes aurait un QI (coefficient d’intelligence) moins élevé que les autres ! L’échantillon était constitué de cent cinquante-six sujets de plus de 70 ans divisés en deux groupes, de plus et de moins de 85 ans, et dont les caractéristiques sont représentées sur le tableau 4.4.
Chaque sujet a passé une batterie de quatorze tests cognitifs mesurant cinq grandes dimensions cognitives : la vitesse (trois tests), le raisonnement (trois tests), la mémoire (trois tests), la connaissance (trois tests) et la fluidité (deux tests). Nous développerons ces différentes dimensions dans le chapitre 5 consacré au vieillissement de l’intelligence.
La santé subjective a été évaluée à l’aide d’une échelle sur laquelle le sujet devait auto évaluer son état de santé. La santé objective a été mesurée par le nombre de maladies diagnostiquées chez le sujet. L’acuité visuelle a été mesurée avec le test classique des lettres et l’acuité auditive par les seuils en décibels des hauteurs tonales. Le tableau révèle que les différences significatives entre les deux groupes apparaissent avec les variables « âge », « acuité – visuelle » et « acuité auditive ».
Les auteurs ont alors réalisé une analyse structurale afin de déterminer la nature des relations statistiques, c’est-à-dire les corrélations entre l’âge, l’acuité visuelle, l’acuité auditive et l’intelligence. Une corrélation est une mesure du lien qui peut exister entre deux séries de mesures. Elle est comprise entre – 1 et + 1. Imaginons qu’un chercheur veuille savoir s’il existe un lien entre le QI (coefficient d’intelligence) et la taille d’un individu. A cette fin, il établira pour une population donnée deux séries de mesures, la première relative à la taille et la seconde au QI. En simplifiant, on peut prédire qu’il peut observer trois types de liens entre les deux séries de mesures. Dans le premier cas de figure, le chercheur constate que plus l’individu est grand et plus son QI est élevé. Il en déduira que les individus de grande taille sont plus intelligents que les individus de petite taille. La corrélation qu’il aura mesurée sera alors proche de la valeur « + 1 ». Mais il peut aussi, deuxième cas de figure, observer le lien inverse : plus les individus sont petits et plus leur QI est élevé. La corrélation mesurée sera alors proche de la valeur « – 1 ». Enfin, dernier cas de figure, et c’est ce qu’il observerait réellement, aucun lien n’apparaît entre la taille et le QI. La corrélation sera alors proche de la valeur « 0 ». Par ailleurs, une corrélation mesure un lien statistique mais n’établit pas un lien de causalité. Imaginons que l’on constate une corrélation positive entre l’évolution de la température au Brésil et l’évolution du moral des Français. Le statisticien constatera l’existence d’un lien statistique mais le chercheur devra donner un sens à ce lien en établissant un modèle de lien causal permettant de passer de la météorologie brésilienne au moral des Français. Sans l’élaboration d’un tel modèle, la corrélation ne sera qu’un nombre sans intérêt scientifique. Les analyses structurales, parfois appelées analyses en pistes causales, permettent aux chercheurs de tester leurs modèles théoriques afin de donner un sens aux liens statistiques qu’ils observent. Les résultats de la recherche de Lindenberger et al. (1994) apparaissent sous forme d’un diagramme structural.
On peut avancer l’hypothèse que la baisse d’acuité visuelle et auditive liée au vieillissement a pour conséquence une sorte de privation sensorielle qui limite les stimulations environnementales nécessaires aux activités cogniti- ves. Il s’ensuit une baisse générale des activités intellectuelles qui sont par là même de moins en moins sollicitées. La personne âgée est victime dans ce cas d’une sorte d’« autisme intellectuel ».
Le vieillissement perceptif est très différentiel. Certaines modalités sensorielles comme l’olfaction ne sont que très peu affectées par l’âge alors que d’autres telles que l’audition sont sévèrement touchées. Trois modalités sont essentiellement concernées par la sénescence : l’équilibre, l’audition et la vision. Leur vieillissement a des conséquences importantes, parfois graves, au niveau tant psychologique que social. Enfin, les déficits sensoriels de natures auditive et visuelle apparaissent comme des causes importantes d’un déclin général dans le fonctionnement des activités intellectuelles.