Les défenses naturelles des biologistes
Levine, dans un des premiers articles de recherche biologique consacré au sujet, démontra expérimentalement le rôle des endorphines dans l’analgésie induite par le placebo. Ce travail est l’une des plus précoces publications non philosophiques ou épistémolo- giques consacrées à ce thème. Il porte sur les douleurs postopératoires en chirurgie dentaire (extraction de dent de sagesse sous anesthésie locale) et montre que l’analgésie susceptible detre induite par le placebo disparaît sous naloxone, molécule inhibant spécifiquement l’action des substances opiacées. La conclusion logique de l’étude est que l’action analgésique du placebo a pour médiateur les endorphines, ces curieuses substances sécrétées par l’organisme, ayant une action équivalente à celle de la morphine et que notre organisme utilise, entre autres, pour lutter contre la douleur ou induire le plaisir. Cette étude a été rapidement contestée par Goldstein qui a montré que le spectaculaire effet analgésique de l’hypnose n’était pas antagonisé par la naloxone, ce que Gowdey interprète en supposant que les plus bas degrés d’analgésie induits par les placebos étaient sous-tendus parla suggestion et n’impliquaient pas de mécanisme endor- phinique. L’hypothèse de Levine reste la seule, à notre connaissance, à proposer un mécanisme biologique plausible à l’action du placebo.
Néanmoins, d’autres hypothèses pourraient être imaginées, faisant appel à la physiologie des mécanismes naturels de défense, puisque l’effet placebo représente, par définition, la conséquence directe d’un mécanisme naturel de défense favorisé ou, du moins, non entravé par la médecine.
Le cas de ce sujet âgé de 94 ans mérite d’être rapporté. À chaque printemps de sa longue existence, cet homme souffrait d’un formidable rhume des foins, source inépuisable de plaisanteries faciles pour son entourage. Le volume sonore de ses éternuements ne le cédait qu a l’abondance de ses projections salivaires. À chaque printemps, donc, il éternua. A l’exception d’un seul, où pourtant, selon les historiens, le temps fut exceptionnellement ensoleillé et chaud, le sinistre printemps 1940, celui de l’exode où, fuyant l’envahisseur avec femme et enfants, il fut contraint de dormir dans les granges à foin, au beau milieu des champs de graminées. Pas une fois, il n’éternua cette année-là. Ce phénomène peut, de façon spéculative, il est vrai, être interprété comme une conséquence du stress et de l’augmentation de sécrétion de cortisol qui, classiquement, l’accompagne. C’est pour les mêmes raisons que peut être comprise l’absence quasi constante de symptômes allergiques aigus dans des situations telles que les examens oraux (par bonheur très souvent au printemps) chez les étudiants ou les interventions en public pour les orateurs et les comédiens. Cette hypothèse pourrait être assez facilement testée expérimentalement sur des sujets allergiques en situation d’examen. A priori, si le prescripteur de placebo sait se montrer convaincant, il devrait arriver à rassurer les étudiants sur leur risque d’allergie, donc réduire leur niveau de stress et, par conséquent, augmenter le nombre des éternuements.
La remarquable, mais très transitoire, efficacité des « suggestions rassurantes » chez les parkinsoniens peut être interprétée de façon inverse. La maladie de l’arkinson se définit essentiellement par une destruc- lion progressive de certains noyaux gris centraux riches en dopamine, et se traite en fournissant un pré- curseur direct de ce neuro-transmetteur, la L-DOPA. La dopamine joue un rôle important dans la motricité volontaire, mais également dans le contrôle des émotions, ce qui permet de mieux comprendre l’extrême émotivité des patients souffrant de la maladie de Par- kinson. Il peut être imaginé, toujours de façon spéculative, et dans une perspective économique, que le regain d’assurance donné par le médecin entraîne une sorte d’épargne en dopamine qui, dès lors, devient l ransitoirement plus disponible dans les noyaux gris centraux.
Ces exemples d’allégements, voire de disparition Iransitoire de certains symptômes, sous l’effet de facteurs non pharmacologiques, constituent des modèles utilisables pour mieux comprendre l’effet placebo qui, dans un sens large, peut-être même légèrement abusif, pourrait être défini comme « tout effet thérapeutique non spécifique observé dans une relation soignante, soit sans le recours, soit surajouté à une substance pharmacologiquement active ou à une méthode spécifiquement efficace ». C’est le fondement même de l’approche psychosomatique.