Le vieillissement de la mémoire : les dissociations liées au caractère intentionnel ou non de l'activité mnésique
Les mémoires épisodique/sémantique, les mémoires déclarative/procédurale
Tulving (1972) fut le premier à établir une distinction entre deux systèmes mnésiques autonomes : la mémoire épisodique et la mémoire sémantique. La première, que nous avons déjà présentée, est associée à une recherche consciente des souvenirs. Elle stocke des épisodes datés et spatialisés dans la vie du sujet. Elle est sensible au vieillissement. La mémoire sémantique a un mode de fonctionnement très différent. Elle contient les connaissances du sujet sur le monde qui l’entoure, les mots et les symboles. Elle est mobilisée très souvent de façon inconsciente. Tulving (1983) considère que les effets d’amorçage sont liés au système sémantique mais pas au système épisodique. Les relations structurales entre ces deux systèmes font l’objet de débats théoriques à l’heure actuelle car la mémoire sémantique semble malgré tout «perméable» à la conscience.La dissociation la plus communément admise à l’heure actuelle est celle proposée par Winograd (1975) et directement issue de l’intelligence artificielle, entre mémoire déclarative et mémoire procédurale. La mémoire déclarative se manifeste dans des connaissances verbalisables. Elles sont en principe accessibles à la conscience sous forme de propositions ou d’images mentales. Ces connaissances peuvent être générales (sémantiques) ou spécifiques (épisodiques). On peut donner comme exemple nos connaissances historiques, littéraires (sémantiques) et la connaissance spécifique que l’on a des lieux que nous avons visités par exemple au cours de nos vacances (épisodique). La mémoire épisodique ne serait évaluée que par des tests directs de mémoire, et la mémoire sémantique par des tests directs et indirects. En revanche, la mémoire procédurale s’exprime au cours de l’activité du sujet sans que celui-ci en ait conscience, sous forme de savoir-faire perceptivo-moteurs et cognitifs, d’habituations ou de conditionnements. Les effets d’amorçage seraient alors des exemples d’implication de cette mémoire puisqu’elle n’est accessible qu’à travers des activités implicites. Seuls des tests indirects de mémoire permettraient donc de l’évaluer. On peut donner comme exemple notre savoir-faire pour la réalisation des nœuds : lacer ses chaussures est une activité qu’il est difficile d’apprendre à un enfant, manifestement cet apprentissage ne se fait pas de la même manière que celui des connaissances déclaratives. On peut vérifier qu’il est impossible d’expliquer comment faire un nœud à une personne par téléphone. Cela signifie que certaines de nos connaissances (procédurales) ne sont pas verbalisables et sont donc inaccessibles à la conscience.
Le vieillissement de la mémoire implicite
L’étude des amnésiques (patients atteints d’une pathologie de la mémoire se traduisant par une perte plus ou moins spécifique des souvenirs) a montré l’intérêt des dissociations sémantique-épisodique (Schacter et Tulving, 1982) et déclarative-procédurale (Squire, 1987). Chez ces malades, la mémoire épisodique serait sévèrement touchée alors que les mémoires sémantique et procédurale seraient conservées, témoignant que les effets d’amorçage sont préservés ou quasi préservés. L’interprétation neurologique serait que le système hippocampique serait affecté dans l’amnésie et donc que les mémoires sémantique et surtout procédurale seraient indépendantes de cette structure nerveuse.
Nous avons vu que l’hippocampe est une structure nerveuse très sensible au vieillissement. La conséquence logique devrait donc être une ressemblance entre les amnésiques et les âgés. Cela n’est qu’en partie vérifié. En effet, les tests implicites de mémoire semblent moins affectés par l’âge que les tests explicites mais à la différence de l’amnésie on ne peut pas considérer que la mémoire implicite (sémantique et procédurale) est complètement préservée dans le vieillissement. Certaines recherches ont montré que les
effets d’amorçage n’étaient pas toujours préservés chez les âgés. Nous illustrerons ces résultats contradictoires à l’aide de deux exemples.
Moscovitch (1985) a étudié les différences de performance entre les jeunes et les âgés dans le cadre d’un paradigme de décision lexicale. Rappelons que ce paradigme est un test indirect de mémoire consistant en une première phase à demander à des sujets d’étudier une liste de mots sans qu’ils soient informés de la nature de la tâche. Durant la phase test, on présente une série de lettres et le sujet doit décider s’il s’agit de mots ou de non-mots. On mesure alors les temps de décision. L’auteur a constaté qu’il n’apparaissait pas de différence entre les temps de décision des jeunes et des âgés pour les mots étudiés dans la première phase. En revanche, point important, pour une tâche de reconnaissance (test direct de mémoire) réalisé par les mêmes sujets, les jeunes se montrent plus performants que les âgés. Une préservation des effets d’amorçage chez les âgés a aussi été rapportée pour d’autres tests implicites de mémoire (complètement de trigrammes, identification perceptive, association catégorielle).
En contradiction, d’autres chercheurs (moins nombreux) ont rapporté une non-préservation des effets d’amorçage chez les âgés. Ainsi Howard (1988), avec le paradigme d’épellation d’homophones, a observé que les effets d’amorçage étaient significativement différents entre les jeunes et les âgés selon les contenus et les mots utilisés. Dans ce paradigme, on demande au sujet dans la première phase de répondre à des questions du type «par qui un maire est-il élu ?» Dans la phase test, on demande alors d’épeler des séries de mots homophones telles que «mer, mère, maire». On constate alors (effet d’amorçage) que les sujets ont tendance à épeler le mot «maire», celui de la question. Ce phénomène est observé même si le mot est moins fréquent dans la langue. De tels résultats ont été rapportés avec d’autres paradigmes tels que le complètement de trigrammes ou l’identification perceptive.
Ces contradictions dans les résultats font l’objet de discussions à l’heure actuelle. D’autres expériences sont nécessaires. Enfin, la mémoire sémantique est mobilisée dans beaucoup d’épreuves d’intelligence cristallisée (tests de vocabulaire et de connaissance). Il n’est donc pas étonnant que cette mémoire résiste au vieillissement.