Le vieillissement de l’intelligence
Donner une définition consensuelle Le vieillissement de l’intelligence est probablement chose impossible. A la question « qu’est-ce que le temps ? », Newton répondait à l’un de ses contemporains « C’est la distance parcourue par un corps rapportée à sa vitesse de déplacement. » Une telle définition lui permettait par là-même de définir la vitesse et la distance. Circulaires et relatifs, tels sont les contenus des concepts scientifiques. Quelques siècles plus tard, Binet, inventeur du célèbre test d’intelligence, définissait cette dernière comme la fonction mentale mesurée par son test. Circularité de la définition, relativité du contenu, tout comme Newton, Binet assimila le problème de la définition avec le problème de la mesure. Malgré tout, la comparaison entre le projet de Newton et celui de Binet, si elle est valide dans son fondement, ne l’est plus dans sa réalisation. Car les mesures fondant la théorie de la gravitation universelle sont monodimensionnelles, elles se définissent sans ambiguïté en unités de distance, de vitesse, de masse… Rien de tel quand on aborde la question au regard de l’intelligence, car la mesure est ici pluridimensionnelle. Parler d’unité d’intelligence, voire d’atome d’intelligence, comme le font certains chercheurs, relève plus de la métaphore que du concept scientifique. Il faut s’y résigner l’intelligence est un phénomène complexe dont toute mesure est irrémédiablement ambiguë.
La relativité de la définition de l’intelligence est inhérente à sa manifestation. Elle n’existe qu’en fonction de son expression dans un contexte. Elle est l’adaptation de moyens à la réalisation d’un but ou d’une finalité (Oléron, 1994). A ce titre, elle peut mobiliser des savoirs acquis contenus en mémoire, ou bien élaborer de nouvelles stratégies. Assimiler adaptation et intelligence revient, comme le faisait Piaget (1967), à la considérer comme le prolongement psychologique de phénomènes adaptatifs de nature biologique. Il s’agirait de l’aspect le plus sophistiqué du phénomène d’adaptation.
Tout organisme, pour survivre dans un écosystème, doit posséder des stratégies d’alimentation et de reproduction. L’intelligence est donc inhérente à la vie, ses manifestations sont observables chez toute espèce animale. Au cours de l’évolution, l’adaptation héréditaire cède le pas à l’adaptation par élaboration de stratégies nouvelles : il s’agit de la loi du relais, l’apprentissage relayant l’hérédité. L’homme apparaît ainsi, selon cette définition, comme l’animal le plus intelligent, qui ne se contente pas de s’adapter mais adapte son environnement à ses besoins. Des spécificités apparaissent déjà chez le bébé humain (Lécuyer, 1989).
Cette relativité nous conduit-elle alors à considérer que l’intelligence ne peut être que décrite dans ses manifestations variées et dépendantes des contextes ? Il y aurait là une impossibilité à la modéliser. Ce parti pris paraît abusif. Dans une recherche longitudinale conduite avec des âgés, Willis et al. (1992) ont montré que les performances aux tests d’intelligence étaient corrélées aux adaptations nécessaires aux activités quotidiennes telles que les transports, les soins ou les courses. Il existerait donc, au-delà de la diversité des contextes dans lesquels elle s’exprime, des mesures de l’intelligence, c’est-à-dire des tests qui possèdent une certaine validité écologique.
Les tests sont des outils de mesure dont la critique, parfois féroce, contraste avec l’intensité et la généralisation de leur utilisation. On a évoqué leur côté artificiel, éloigné des situations sociales et assimilant l’intelligence à une seule forme de pensée, la pensée rationnelle. Il semble que ces critiques soient abusives. Anderson (1985), dans un ouvrage intitulé The Adaptative Character ofThought, considère, expérimentations à l’appui, que toutes les conduites apparaissent rationnelles quand elles s’expriment de façon optimale. Ce point de vue était déjà celui de Piaget (1970).
Deux types d’approches de l’intelligence et de son vieillissement apparaissent ainsi dans la littérature, l’une qualifiée de cognitive (Piaget, Schaie), centrée sur la dimension adaptative de l’intelligence et l’autre qualifiée de psychométrique (Cattell, Horn), centrée sur les liens et sur les modifications au cours de l’âge des performances aux tests d’intelligence. Ces deux approches doivent être considérées comme complémentaires même si elles apparaissent parfois difficiles à concilier. Cela est inhérent aux difficultés à appréhender l’intelligence.