Le rouge à lèvres
Le rouge à lèvres est le cosmétique le plus sexy. Après son invention, il devint rapidement, pour la plupart des femmes, un article indispensable, en dépit de ses inconvénients :
les premiers rouges à lèvres se cassaient facilement, n’étaient pas indélébiles, et devenaient rances. De nos jours, ils n’ont plus ces défauts et se présentent sous une multitude de couleurs et de textures.
Les films en Technicolor sont probablement à l’origine du fait que les lèvres rouge vif devinrent un élément acceptable de la beauté féminine ; en effet, pendant des siècles, on a pensé que cet artifice devait être réservé aux prostituées ou aux actrices.
Les procédés Technicolor avaient tendance à rendre les lèvres artificiellement rouges, mais, néanmoins, les films d’Hollywood imposèrent une mode que beaucoup, à cette époque, souhaitaient suivre, la meilleure façon de le faire étant d’utiliser un rouge à lèvres. Effectivement, cela a généré une demande d’un produit inventé une vingtaine d’années plus tôt, et la popularité du rouge à lèvres est encore intacte aujourd’hui.
En fait, l’image du rouge à lèvres a été renforcée par des chansons populaires aux États-Unis telles que These foolish things remind me of you (Ces choses insensées réveillent ton souvenir en moi) de Holt Marvell, en 1935, chanson romantique qui commençait par cette phrase : « A cigarette that bears a lipstick’s traces… [une cigarette qui porte des traces de rouge à lèvres…] ». Et, en 1959, la chanson Lipstick on your collar (Du rouge à lèvres sur ton col), écrite par Edna Lewis et George Goering, l’associant même à un soupçon de tromperie.
Actuellement, les femmes dépensent environ 1 500 millions d’euros par an pour leurs rouges à lèvres à travers le monde.bâton lui-même doit se faire en douceur, qu’il fasse chaud ou froid. Il doit conserver sa forme et ne pas se briser ; il ne doit pas se détériorer au contact de l’air ou de l’humidité, ni cacher des microbes, ni être fabriqué à partir de matériaux toxiques ou dangereux pour la santé : un ensemble de critères vraiment contraignants. Toutes ces conditions n’étaient pas satisfaites, mais la plupart d’entre elles l’étaient.
Les lèvres constituent une partie assez fragile du corps humain. Leur peau est recouverte d’une fine couche cornée constituée d’un tissu faiblement adipeux, et, de ce fait, elle se dessèche facilement. Normalement, l’humidification des lèvres est obtenue simplement en se les léchant, mais même cela ne permet pas d’affronter des conditions de sécheresse particulièrement dures que l’on peut subir dans des climats extrêmes. Il est alors préférable de se protéger les lèvres avec un produit gras provenant d’une plante, d’un animal ou d’une usine de produits chimiques.
À cet effet, les baumes à lèvres contiennent des produits tels que Thuile de ricin (issue des plantes), la lanoline (obtenue à partir de la laine du mouton) ou encore la vaseline (dérivée du pétrole ou des silicones, produits de l’industrie chimique).
Les générations plus anciennes de femmes avaient aussi coutume de mettre en valeur la couleur de leurs lèvres. Les premières à le faire furent probablement les femmes de l’Egypte ancienne qui utilisaient le henné, une plante colorante. Un autre pigment utilisé était un colorant rouge pourpre appelé fucus, obtenu à partir d’un matériau végétal. Il semble même que certaines femmes aient appliqué du cinabre, le pigment rouge intense que les peintres utilisaient (y compris pour les peintures rupestres, il y a de cela 20 000 ans), mais il était à déconseiller car il s’agissait d’oxyde de mercure qui, lui, est toxique.
C’est aux Etats-Unis, en 1915, que Maurice Lévy fabriqua les premiers rouges à lèvres vendus sous forme de tubes. Leur couleur était due au carmin, un colorant naturel extrait de la cochenille produite par un petit insecte rouge appelé Dactylopius coccus vivant sur une variété de cactus de la région du Mexique. (La femelle de cette espèce produit le colorant.) Ces premiers rouges à lèvres présentaient l’inconvénient de ne pas être indélébiles, autrement dit, ils tâchaient toute chose mise à leur contact, laissant des traces révélatrices sur les tasses, les joues, les cigarettes… et les cols.
La solution était d’utiliser des agents colorants qui teinteraient la peau en rouge ; ceux-ci apparurent en 1925 et furent populaires chez toute une génération de femmes jusqu’aux années I960, lorsque leurs filles rejetèrent les lèvres rouge vif. Les conditions requises pour avoir un rouge à lèvres parfait sont techniquement très astreignantes. On doit obtenir la couleur et l’effet désirés, fût-il mat, luisant, brillant, nacré ou perlé. Le rouge à lèvres doit recouvrir uniformément, ne pas être gras, avoir un goût neutre, être persistant dans le temps, et bien sûr, être pratiquement indélébile. L’utilisation du
On choisit l’huile et la cire de façon à obtenir un onguent dont on peut enduire les lèvres en douceur tout en permettant au rouge à lèvres de rester ferme dans son étui. Le rouge à lèvres doit aussi résister à des températures atteignant 50 °C. On a utilisé toutes sortes d’huiles, y compris des huiles naturelles, telles que l’huile d’olive, le beurre de cacao, l’huile minérale (également connue sous le nom de paraffine) qui est un produit dérivé de l’industrie pétrochimique. Aujourd’hui, l’huile la plus appropriée est l’huile de ricin car elle présente l’avantage de sécher, après application, en formant un film résistant et brillant. Dans certaines marques, l’huile de ricin purifiée constitue presque la moitié du poids du rouge à lèvres.
L’industrie chimique fournit des produits de remplacement de l’huile de ricin qui sont incolores, inodores, non toxiques et non gras.Dans la composition du rouge à lèvres, on trouve de la cire car elle est nécessaire pour lui donner sa forme ; les cires les plus typiques sont la cire d’abeille, la cire de carnauba et la cire de candelilla. On préfère la cire d’abeille qui, chimiquement, se compose, entre autres, d’acide carotique et d’éther myricilpalmitique et qui fond à 63 °C.
Elle a largement été utilisée à travers les siècles pour la fabrication des encaustiques, des bougies et même des médicaments. La cire de carnauba, appelée également cire du Brésil, suinte des feuilles d’un pin d’Amérique du Sud (Copernicia prunifera). Cette cire qui est plus dure et fond à 87 °C était aussi initialement utilisée pour la fabrication d’encaustiques, des bougies, et comme agent imperméabilisant ; elle constitue encore l’élément de base dans les cires pour voitures. Son principal constituant est l’alcool de carnauba. On trouve la cire de candelilla au Mexique ; on l’extrait de la plante candelilla (pedilanthus macrocarpus). Elle fond à 67 °C et on l’utilise uniquement lorsque l’emploi de la cire d’abeille et de la cire de carnauba est trop onéreux. Elle servait autrefois de cire à cacheter et on l’utilise encore sur des documents d’État car elle retient l’empreinte d’un timbre officiel.
On pensait autrefois que la lanoline, extraite de la laine du mouton, provoquait une réaction allergique chez l’homme.
On sait maintenant qu’il n’en est rien et la lanoline, bien que rarement signalée en raison d’une campagne médiatique antérieure effrayante, est devenue un ingrédient majeur dans certains cosmétiques. Certains brillants à lèvres peuvent contenir plus de 70 % de lanoline, tandis que le fard à paupières peut en contenir plus de 50 % et le rouge à lèvres, plus de 25 %. Les crèmes nettoyantes, les fonds de teint, les crèmes lavâtes pour les mains, les crèmes de nuit, les shampoings, les crèmes solaires contiennent tous un léger pourcentage de lanoline. Son avenir reste cependant incertain car un léger doute persiste quant à son innocuité et il est prouvé qu’elle provoque des dermatites de contact chez certains individus.La couleur d’un rouge à lèvres (le plus souvent une nuance de rose ou rouge) est obtenue à partir d’un pigment ou d’un colorant.
Les colorants les plus utilisés sont l’orange n° 5 et le rouge n » 22 de la liste D & C (Drugs and Cosmetics) agréée par la Food and Drug Administration (Organisme américain de contrôle des aliments et des médica¬ments). Les noms chimiques de ces colorants sont respectivement le 4’,5’-dibromofluorescéine et le 2’,4’,5’,7’-tétrabromofluorescéine ; la première molécule comporte deux atomes de brome (d’où le préfixe di-) alors que la seconde en comporte quatre (d’où le préfixe tétra-). Ce dernier composé est plus simplement connu sous le nom d’éosine.
Ces colorants sont fabriqués à partir de la fluorescéine, un colorant jaune, qui devient orange lors de la réaction d’addition de deux atomes de brome. L’addition de deux atomes de brome supplémentaires conduit à l’éosine, qui est rouge avec une légère pointe bleutée. On peut rendre la couleur plus intense en la transformant en pigment- laque, terme technique utilisé pour désigner un colorant absorbé par la surface de matériaux inorganiques tels que l’alumine. La couleur finale du colorant est déterminée par sa réaction chimique avec la protéine de la peau. Les groupements aminés de la protéine se lient au colorant pour le rendre presque indélébile mais aussi le transformer en un rouge profond.
Grâce à sa superbe capacité de revêtement, le dioxyde de titane entre aussi dans la composition du rouge à lèvres tout comme dans celles des peintures, mais, dans le cas des rouges à lèvres, sa blancheur permet en plus d’éclaircir le colorant rouge pour donner différents tons de rose.
Les rouges à lèvres ne sont pas tous rouges ou roses, évidemment ! Dans un monde de distractions et de séduction, certains hommes et femmes soucieux d’attirer l’attention, et peut-être même de choquer, se sont coloré les lèvres de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, et même en noir. Chez les fabricants de rouge à lèvres, les chimistes ont beaucoup travaillé pour pallier cette absence de nouveaux colorants. Toutes sortes de couleurs magnifiques sont disponibles, le problème étant d’obtenir une autorisation de mise sur le marché (AMM).
Plutôt que de passer des années à essayer de prouver qu’un nouveau colorant ne présente absolument aucun danger, procédé risqué et onéreux qui peut facilement échouer, les chimistes font maintenant confiance à la technologie pour fabriquer les tons et les effets dictés par la mode.
On peut obtenir n’importe quelle couleur en utilisant des pigments à interférence, et les chimistes s’appuient sur la façon dont ces pigments reflètent la lumière lorsqu’ils sont déposés sur la surface d’une particule de dioxyde de titane. Lorsqu’un rayon lumineux heurte une telle particule, il peut être réfléchi, réfracté ou diffusé dans différentes directions qui sont déterminées par la surface de la particule plutôt que par la couleur intrinsèque de la molécule de colorant. L’addition de petites particules sphériques, appelées microsphères peut également améliorer la texture du rouge à lèvres, tout en le rendant moins gras et plus réfléchissant.
Ces petites sphères élaborées à l’aide d’un polymère, le polyméthylméthacrylate, renferment et libèrent lentement d’autres ingrédients tels que la vitamine E, l’acide folique et des fluor polymères, connus pour être bénéfiques pour la peau. Les fluoro- polymères présentent des avantages durant la fabrication, car, d’une part ils donnent au rouge à lèvres une sensation de douceur et une touche d’élégance, d’autre part, ils l’empêchent aussi de coller aux moules.
Lors de la fabrication d’un rouge à lèvres, on chauffe les différents ingrédients et on agite jusqu’à obtention d’un mélange liquide homogène que l’on verse dans des moules métalliques, ensuite refroidis pour donner le bâton. Ce dernier est passé à la flamme une demi- seconde, ce qui permet de lui donner un aspect lisse et brillant et de gommer les imperfections.
Les rouges à lèvres perlés contiennent du nitrure de bore (voir ci-dessous) qui donne aux lèvres brillance cet effet. Certains fabricants ajoutent des particules de mica ou de silice pour accentuer le chatoiement. Les rouges à lèvres mats contiennent davantage de cire et de pigment, ce qui leur donne plus de texture et moins d’éclat. Les rouges à lèvres brillants contiennent plus d’huile et moins de cire, ce qui les rend trop mous pour pouvoir en faire des bâtons solides. Le produit est donc commercialisé en petits pots. Les rouges à lèvres longue tenue contiennent habituellement de l’huile de silicone qui assure la permanence de la couleur.
Durant les années 1990, le rouge à lèvres a fait du chemin grâce à la chimie ! Il est maintenant considéré comme un élément indispensable de la séduction féminine qui peut parfois induire un autre type de chimie entre deux personnes. Cependant, alors que les lèvres d’une femme peuvent exprimer une chose, le reste de son visage peut traduire une histoire moins attrayante, et c’est alors qu’elle pourrait bien se tourner une fois de plus vers la chimie.