Le rituel de la prescription du placebo
Le phénomène est assez délicat à prouver, mais il me semble bien que le Gelsemium 15 CH homéopathique que, parfois, dans le décorum de mon service, je prescris solennellement, juste avant les examens, aux étudiants sujets au trac, est nettement plus efficace que celui que je prescris entre la poire et le fromage à mes propres enfants, pourtant confrontés à la même situation. Il est vrai que ces derniers connaissent peut-être un peu trop bien mes idées ! Le cadre de la prescription, le rite de l’ordonnance qui signale la fin de la consultation et le début des soins majorent certainement les effets des médicaments.
La force de l’ordonnance
L’ordonnance a un rôle que certains prescripteurs semblent avoir compris, jouant sur la texture du papier, la typographie, la couleur de l’en-tête et surtout, la liste des diplômes, attestations, titres, décorations et qualifications en tout genre, destinés à impressionner le lecteur et à magnifier l’effet de ce qui est prescrit en dessous.
La qualité de l’inscription figurant sur l’ordonnance est d’ailleurs un facteur étonnamment homogène chez les médecins. Pourquoi donc le fait d’utiliser une écriture illisible, seulement déchiffrable par les pauvres pharmaciens, est-il si habituel chez les disciples de Hippocrate, au mépris de toute prudence, lorsqu’on connaît les dangers associés à l’utilisation de certains produits et la nécessaire précision de certains dosages? Renseignement pris, il paraîtrait que c’est pareil dans les pays d’écriture arabe et en Chine où les idéogrammes sont pourtant bien différents de chez nous. À se demander si des cours d’anti-écriture ne font pas partie du cursus médical1 ! Et que l’on ne vienne pas dire que ce phénomène s’explique par la
rapidité imposée lors de la prise des notes en amphithéâtre ou par l’obligation de rédiger les ordonnances dans n’importe quelles conditions. De nombreux corps de métiers pourraient invoquer les mêmes arguments et n’écrivent pas illisiblement pour autant! La seule explication plausible réside dans la nécessité de préserver le mystère de la prescription et de ne le dévoiler qu’aux acolytes-pharmaciens, jugés seuls dignes de décrypter la formule incantatoire.
De fait, lorsqu’un médicament devient disponible sans ordonnance, il est tout à fait habituel d’observer qu’il perd une partie de son efficacité. N’étant plus manié exclusivement par le médecin, il est privé de sa double potentialité de produit bienfaisant (remède) et dangereux (poison). Il en devient presque neutre. Le suicide à l’aspirine est d’ailleurs très rare dans notre pays.
La solennité de la consultation
Ce n’est pas par vanité que le Docteur Knock, charlatan de génie, interdisait toute espèce de familiarité dans son village, exigeant, en toutes circonstances, d’être appelé « Docteur » mais bien parce qu’il avait parfaitement compris que le respect favorise la confiance et par conséquent augmente l’efficacité thérapeutique. À l’évidence, titres et diplômes jouent un rôle. Dans une étude portant sur l’ulcère gastrique, le même placebo avait été présenté de façon différente à deux groupes de patients répartis au hasard. Dans le premier groupe, c’est le médecin qui présentait le produit comme nouveau et prometteur, dans l’autre groupe, c’était l’infirmière. Les résultats favorables ont atteint 70% dans le premier cas et 25 % dans le second. De même, lorsqu’un traitement est prescrit par un grand et célèbre patron dont la liste d’attente est de plusieurs mois, qui représente le dernier recours et reçoit dans un environnement technologiquement sophistiqué, entouré d’une cour d’assistants divers, il est concevable, bien que profondément injuste, que l’effet thérapeutique des prescriptions puisse être amplifié par rapport à celui du modeste praticien qui assure lui-même le secrétariat, la rédaction des ordonnances, la prise de rendez-vous et auprès de qui on peut accéder le plus souvent dans la journée. Voilà pourquoi aux États-Unis, dans tout cabinet médical qui se respecte, il est de bon ton d’arborer au mur, joliment encadrés, le plus grand nombre possible de diplômes et parchemins. La monarchie française l’avait déjà parfaitement compris, qui attribuait au souverain le pouvoir de guérir les écrouelles ‘, le jour du sacre et dans des circonstances bien définies. Malheureusement, si le bénéfice pour le prestige de la royauté était certain, aucune étude épi- démiologique contrôlée ne permet à l’heure actuelle de mesurer l’efficacité de ce traitement. Il n’est pourtant pas impossible que ce rituel ait pu avoir certains résultats. Peut-être, qui sait, nos actuels présidents devraient-ils, juste pour voir…
Le prix des choses
« Monsieur Purgon ne vous a pas ordonné de mettre quatre francs. Mettez, mettez trois livres… De ce mois, j’ai pris… huit médecines et… douze lavements; et l’autre mois, il y avait douze médecines et vingt lavements. Je ne m’étonne pas si je ne me porte pas si bien ce mois-ci que l’autre. » Molière n’avait guère confiance dans la médecine de son temps. Il en a probablement d’autant mieux saisi le rapport qui existe entre la dépense, la gravité de la maladie et l’efficacité du traitement. Tout se paie, la consultation comme le médicament. C’est sans aucun doute la psychanalyse qui a le plus théorisé sur cet aspect des choses en insistant sur l’aspect thérapeutique du paiement. Un traitement qui ne coûte rien ne vaut rien. Lorsqu’il avait l’impression que la cure psychanalytique n’avançait plus, un de nos maîtres, Pierre Dubor, avait pour coutume de nous expliquer qu’il fallait demander à ce que la patiente ne paie plus en chèque mais en argent liquide. En effet, lorsque la psychanalyse concerne une femme mariée qui ne travaille pas – professionnellement s’entend – le paiement, la remise d’un argent non gagné par soi-même représente, selon lui, l’un des obstacles majeurs à la cure, d’où une perte d’efficacité. De plus, toujours selon lui, un certain nombre de femmes ont des difficultés pour symboliser l’argent. La même somme payée en liquide aura beaucoup plus d’effet que si elle est remise en chèque ou pire, en carte de crédit. Freud lui-même faisait de la solvabilité des patients l’un des critères majeurs d’indication de la psychanalyse et ne se privait pas d’insister sur ce point dans sa correspondance.
Vidéo : Le rituel de la prescription du placebo
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