Le monde des micronutriments
La perception que nous avons des aliments est globale, elle met en jeu des circuits de reconnaissance complexes mais limités. En fait, notre capacité de perception des aliments concerne essentiellement la matrice alimentaire, sa texture, sa couleur, son goût. Finalement, la composition fine d’un aliment nous échappe même si notre palais est capable de déceler les caractéristiques organoleptiques des produits. À côté des composés énergétiques et minéraux, il existe un monde particulier, celui des micronutriments d’une très grande complexité et que les nutritionnistes s’efforcent d’explorer. Le fait que la perception des micronutriments échappe à nos sens a entraîné de nombreuses dérives dans l’élaboration de la qualité nutritionnelle des aliments. Seule la reconnaissance de la face cachée des aliments permettra d’améliorer leur valeur nutritionnelle. Cela est un enjeu nouveau très important pour caractériser la qualité des fruits et légumes ou des produits laitiers, pour comprendre l’influence des modes de culture sur la composition des produits végétaux ou pour assurer le suivi des micronutriments durant les étapes de conservation et de transformation des aliments.
Longtemps, les aliments ont été décrits dans les tables alimentaires en fonction de mêmes critères : nature des apports énergétiques, présence de fibres alimentaires, teneur en minéraux et vitamines. Néanmoins cette approche ne rend pas compte de la spécificité et de la complexité des divers aliments (particulièrement pour le monde végétal). En effet, en plus des vitamines, les
végétaux comprennent une très grande diversité de microconstituants susceptibles d’être absorbés et d’exercer des effets biologiques divers. Certains de ces composés tels que les polyphénols, les caroténoïdes, les phytostérols sont retrouvés dans de nombreux produits végétaux, d’autres micronutriments sont spécifiques des espèces botaniques particulières : les isoflavones du soja qui jouent un rôle de phyto-œstrogènes, les glucosinolates des crucifères tels que le chou, les composés soufrés des alliacés.
De nombreuses enquêtes épidémiologiques ont montré l’importance de la consommation des fruits et légumes ou de céréales peu raffinées dans la prévention des pathologies majeures telles que les cancers, les maladies cardio-vasculaires, l’ostéopo- rose ou les maladies neurodégénératives. Pour comprendre l’effet de ces produits végétaux sur la santé, il est nécessaire de connaître leur composition fine.
Les vitamines ne suffisent donc pas à décrire l’ensemble des biomolécules présentes dans les aliments, et les nutritionnistes regroupent aujourd’hui les vitamines et ces diverses molécules naturelles susceptibles d’exercer un effet sur l’organisme sous le terme de micronutriments ou de phytomicronutriments pour spécifier leur origine végétale. La notion de micronutriments fait donc référence à un ensemble très hétérogène et très complexe de composés, dont la biodisponibilité et les mécanismes d’action ne sont pas toujours également connus.
À la différence des vitamines et des oligo-éléments pour lesquels il existe des apports nutritionnels conseillés bien définis, les autres phytomicronutriments ne bénéficient pas de recommandations bien précises. Pourtant, il convient de maîtriser l’apport de ces biomolécules pour améliorer l’efficacité de l’alimentation dans la prévention des pathologies. Cette maîtrise de la densité en micronutriments est largement facilitée par une alimentation équilibrée et riche en produits végétaux.
La chaîne biologique des vitamines
La chaîne de production alimentaire a cherché à satisfaire les besoins énergétiques sans prendre suffisamment en compte la complexité et la disponibilité en micronutriments, or l’énergie
peut devenir toxique pour l’organisme lorsqu’elle est mal environnée en facteurs de protection.
Le métabolisme cellulaire est contrôlé par une multitude d’enzymes dont le fonctionnement nécessite des « cofacteurs » provenant des vitamines, principalement celles du groupe B. Les organismes animaux empruntent donc au monde végétal, aux champignons, aux levures ainsi qu’aux bactéries, les vitamines indispensables au bon fonctionnement des enzymes qui orchestrent la vie cellulaire. La teneur en vitamines B des produits animaux et végétaux est très variable, et la complémentarité de ces produits permet de satisfaire largement les besoins. Curieusement, les produits végétaux permettent de couvrir tous les besoins en vitamines sauf la vitamine B12 que l’on peut trouver par ailleurs dans certains produits fermentés et surtout dans les produits animaux.
Les aliments purifiés dans notre alimentation (sucre, matières grasses, farine blanche) privent l’organisme de ces micronutriments parce qu’ils ont été éliminés au cours du raffinage. On trouve, par exemple, trois à quatre fois plus de vitamines du groupe B dans la farine complète que dans la farine blanche. De plus, toutes ces vitamines ne sont pas entièrement stables et peuvent être détruites ou perdues au cours des procédés de fabrication ou des traitements culinaires. Même si un déficit d’apport en vitamines ne s’extériorise pas par des signes cliniques particuliers, on ne peut exclure que cet appauvrissement des aliments ait des conséquences sur l’organisme, sur le vieillissement cérébral ou sur le développement des maladies cardio-vasculaires par exemple. Plutôt que de supplémenter les produits alimentaires en vitamines B pour restaurer les pertes (la plupart de ces vitamines ont une très faible toxicité), il est sans doute préférable d’essayer de préserver la complexité des aliments naturels pour disposer de la plus grande panoplie possible de micronutriments.
Les vitamines, que l’on peut considérer comme des micronutriments indispensables au métabolisme cellulaire, peuvent aussi jouer des rôles complexes, à la façon des hormones ou des médiateurs cellulaires, pour réguler le fonctionnement de l’organisme. C’est le cas, par exemple, de la vitamine A qui assure la protection et la différenciation des épithéliums ou de la vita-
mine D qui favorise l’absorption, le transport ou la fixation du calcium dans les os. Par le biais de leurs métabolites spécifiques, ces vitamines modulent le fonctionnement cellulaire comme d’autres effecteurs (hormones, facteurs de croissance, médiateurs lipidiques).
Un faible apport alimentaire de vitamine D ainsi qu’un ensoleillement insuffisant pour la synthèse cutanée de cette vitamine peuvent avoir des répercussions négatives non seulement sur la fixation du calcium osseux, mais aussi sur la prévention des cancers. De même, une alimentation pauvre en vitamine A (manque de lait, beurre, œufs, poisson, foie), en produits végétaux colorés (riches en caroténoïdes précurseurs de la vitamine A) peut altérer des fonctions aussi fondamentales que la vision, la croissance ou les défenses immunitaires. Par ses puissants effets de différenciation cellulaire (une cellule qui acquiert sa fonction spécifique ne deviendra pas cancéreuse), la vitamine A via ses métabolites constitue un facteur de protection pour de nombreux tissus (peau, poumons). Les impacts physiologiques des vitamines A et D sont certainement renforcés par d’autres micronutriments, en particulier ceux qui neutralisent diverses molécules agressives. Puisque ces vitamines exercent des effets protecteurs puissants au sein de l’organisme, leur apport en quantité élevée pourrait sembler intéressant, mais il existe des risques de toxicité en cas d’administration trop élevée.
Dans les pays occidentaux, les carences sévères en vitamines sont donc devenues très rares, mais cela ne signifie pas que leur apport soit optimal pour la santé. La stratégie la plus sûre est de conserver la richesse naturelle des aliments en vitamines. Ni l’appauvrissement des aliments dans une chaîne alimentaire pro- ductiviste, ni leur enrichissement artificiel ne constituent une approche sûre pour bien traiter la problématique des apports en vitamines comme celle des autres micronutriments.
Longtemps le public a été sensibilisé à l’importance des vitamines, sachant que ce sont des molécules entièrement indispensables au fonctionnement de l’organisme. Cependant, le concept de vitamines étant trop réducteur, il tend à être remplacé par le terme de micronutriments. Néanmoins, beaucoup de micronutriments qui s’avèrent utiles dans la nutrition préventive ne revêtent
pas les mêmes caractères essentiels spécifiques aux vitamines. Les nutritionnistes ont eu une grande difficulté à faire admettre l’importance de nombreux microconstituants dont la fonction ne pouvait être identifiée à des vitamines, pourtant ces composés sont largement responsables de l’effet santé des produits végétaux.
Bien se protéger pour vivre pleinement sa vie
La découverte de l’importance des agressions dues aux divers radicaux libres ou au métabolisme oxydatif caractéristique de la vie cellulaire a permis d’élucider le rôle protecteur de nombreux micronutriments et leur importance dans le maintien de la santé. Si la respiration est étroitement associée à la vie, paradoxalement le simple fait de respirer, d’oxyder des substrats dans la mitochondrie entraîne une production d’espèces oxygénées réactives et par la suite de radicaux libres potentiellement délétères pour de nombreux constituants cellulaires. Ces molécules réactives sont susceptibles de jouer divers rôles physiologiques en particulier comme médiateurs cellulaires. Elles peuvent également participer aux systèmes de défense en détruisant des agents pathogènes ou être directement impliquées dans le développement normal d’un processus inflammatoire. De plus, il existe aussi des sources exogènes de radicaux libres, liées au tabagisme, à la pollution, à l’utilisation de diverses drogues, à la contamination par des pesticides, qui nécessitent un renforcement des défenses de l’organisme afin d’éviter le développement de processus pathologiques. Les effets délétères de ces molécules réactives peuvent conduire à la désorganisation des structures membra- naires, à l’oxydation de certaines classes de lipides impliqués dans le développement de l’athérosclérose, à l’altération de certaines protéines, ou même de l’ADN, ce qui est souvent une étape importante du processus cancéreux.
Sans des systèmes efficaces de détoxification des radicaux libres et des espèces oxygénées réactives, la vie cellulaire serait impossible. Heureusement, les organismes vivants disposent de ces systèmes de défense, principalement des enzymes fonctionnant avec des oligo-éléments (zinc, sélénium, cuivre, fer, manganèse) ou des molécules protectrices synthétisées par les cellules. De plus, les cellules possèdent des mécanismes de réparation de l’ADN très efficaces. Certes, les organismes ont acquis des systèmes de défense de base, mais le monde animal a également emprunté au monde végétal (particulièrement exposé aux radicaux libres) une large gamme d’antioxydants (vitamine C, E, polyphénols, caroténoïdes…). Ainsi, l’homme est devenu tributaire pour sa longévité de ces antioxydants d’origine végétale. La diversité des micronutriments du monde végétal permet d’élargir la gamme de protection possible contre un très grand nombre d’espèces moléculaires. Chaque micronutriment peut lui-même épargner un autre antioxydant ou renforcer son action.
Il y a ainsi dans l’organisme un savant équilibre entre, d’un côté, la production de radicaux libres par diverses activités cellulaires et, d’un autre côté, les systèmes de protection. Cette balance dite du « stress oxydant » peut être déséquilibrée par un excès de production radicalaire et/ou par une protection insuffisante. Lorsque les systèmes de défense antioxydante ne suffisent pas à maîtriser la production de radicaux libres, les risques d’altération cellulaire, de vieillissement sont fortement accrus. Néanmoins une certaine usure cellulaire est inévitable, de plus le vieillissement lui-même contribue à diminuer l’efficacité des systèmes de défense. Ainsi, il existe des situations où les diverses lignes de défense sont dépassées face à une production anormale de radicaux libres.
On observe donc que le stress oxydant est impliqué dans le développement d’un très grand nombre de pathologies (inflammatoires, cardio-vasculaires, neurodégénératives, rénales, oculaires, respiratoires, cancers). Cependant, même si les radicaux libres sont responsables d’un des facteurs initiaux de déclenchement, l’origine de la plupart des maladies n’en demeure pas moins mul- tifactorielle. De plus, de nombreuses maladies, en particulier inflammatoires, induisent elles-mêmes le développement d’un stress oxydant.
La protection oxydante est donc une problématique complexe, et il ne s’agit pas de vouloir expliquer l’entière origine des pathologies par un concept réducteur. Le paradoxe est également que les radicaux libres font partie intégrante du
fonctionnement cellulaire, en particulier comme source de médiateurs divers. Par ailleurs, les micronutriments qui ont des vertus antioxydantes n’exercent pas seulement leurs effets bénéfiques en empêchant la production radicalaire, ils peuvent agir par bien d’autres mécanismes d’action. Alors que la protection antioxydante a une réalité physiologique essentielle, il est très difficile de mettre en évidence les effets bénéfiques de l’administration d’antioxydants isolés. Ainsi, bien que les fruits et légumes soient une source essentielle d’antioxydants, on ne peut réduire leur rôle à cet apport. L’intérêt d’une alimentation naturelle n’est pas de bloquer au maximum la production radicalaire, mais d’assurer une sécurité antioxydante et de faciliter le fonctionnement de l’organisme par les effets cellulaires d’un grand nombre de micronutriments.
Le paradoxe des antioxydants
Parce que les vitamines C et E ont des atouts considérables, les chercheurs ont essayé d’inonder l’organisme avec des doses vingt à cinquante fois plus élevées que les apports naturels sans résultats physiologiques significatifs. Cela montre à quel point l’organisme possède des systèmes de régulations complexes (et il est sans doute heureux que l’homme ne puisse pas disposer de leviers puissants pour contrôler ses propres processus de vieillissement). Néanmoins, le rôle de la vitamine E est loin d’être négligeable puisqu’elle est indispensable à une bonne fertilité et qu’elle joue un rôle fondamental pour le maintien de l’intégrité des membranes cellulaires. Cette vitamine E est absorbée et transportée avec les lipides et elle protège ainsi les structures riches en lipides de l’organisme et donc le cerveau ou les lipoprotéines circulantes. Cependant, il ne suffit pas d’administrer des doses élevées de vitamine E pour prévenir sûrement les pathologies cardio-vasculaires ou neurodégénératives. C’est bien là le paradoxe des antioxydants qui concerne également les effets de la vitamine C.
L’acide ascorbique est essentiel à la neutralisation des radicaux libres dans les milieux intracellulaires et il aide ainsi à la régénération des antioxydants liposolubles. Lorsque l’on absorbe, à trop forte dose, de la vitamine C en comprimés, l’absorption intestinale est vite saturée, et les reins accélèrent son élimination.
Ayant conservé l’équipement génétique de notre ancien statut de chasseurs-cueilleurs, nous avons un besoin très élevé de vitamine C (de plus de 100 mg par jour), que seule une consommation généreuse de fruits et légumes peut satisfaire. La diversité des effets biologiques de la vitamine C est considérable. Elle participe à la synthèse du collagène et à la production de neurotransmetteurs, elle exerce aussi un rôle favorable sur l’ossification, améliore la digestibilité du fer d’origine végétale, stimule le métabolisme énergétique et facilite l’élimination du cholestérol. Ses divers effets métaboliques, son pouvoir antioxydant lui confèrent une activité protectrice primordiale au niveau cardio-vasculaire. Son effet protecteur vis-à-vis du cancer provient non seulement de son pouvoir antioxydant, mais aussi de sa capacité – qu’elle partage avec les polyphénols de divers fruits et légumes – à inhiber la formation endogène de nitrosamines (à partir des nitrates et des nitrites), l’un des agents cancérigènes les plus puissants de l’estomac.
Bien que la vitamine C naturelle ou de synthèse ait, à dose identique, sensiblement les mêmes biodisponibilités, la vitamine C ajoutée dans certains aliments stérilisés tels que le lait contribue à la formation de produits indésirables par réaction avec divers constituants. Les enfants et les adolescents ont tendance à délaisser les fruits et légumes frais, et la tentation est donc grande de leur proposer des aliments enrichis comme les jus de fruits industriels, les céréales de petit déjeuner ou encore les produits laitiers, ce qui ne leur apportera pas les mêmes bienfaits que la vitamine C naturelle consommée avec les fruits et les légumes frais, et associée à d’autres micronutriments protecteurs.
De l’utilité d’un teint carotte
Les caroténoïdes sont, avec la chlorophylle et les antho- cyanes, les pigments les plus répandus dans la nature. Ils sont présents dans tous les organes des végétaux. Ainsi, on les trouve dans les feuilles (chou, épinard, salade, persil), dans les racines ou tubercules (carotte, patate douce), dans certaines graines (maïs), dans divers fruits (tomate, poivron, potiron, pastèque, melon, abricot, mangue, goyave, etc.). On a longtemps cru que leur rôle se limitait à la synthèse de la vitamine A dont on
connaît le rôle indispensable. Effectivement, certains caroténoï- des (comme le bêtacarotène de la carotte) servent à la synthèse de cette vitamine, et l’efficacité de cette conversion est d’autant plus importante que l’ingestion de vitamine A est faible. Par ailleurs, les caroténoïdes ont l’avantage de ne pas être toxiques, et une consommation équilibrée de fruits et légumes diminue les besoins en vitamine A ou peut même la remplacer. Des études épidémiologiques montrant l’influence favorable de la consommation de fruits et légumes riches en caroténoïdes pour la prévention de certaines pathologies dégénératives ont relancé l’intérêt porté à ces phytomicronutriments. En effet, les caroténoïdes exercent des effets spécifiques différents de ceux de la vitamine A. En association avec d’autres micronutriments, le lycopène, abondant dans la tomate, pourrait jouer un rôle dans la prévention du cancer de la prostate. D’autres caroténoïdes tels que la lutéine sont des pigments indispensables pour la prévention de la dégénérescence maculaire à l’origine de beaucoup de cécités. Une alimentation très riche en caroténoïdes contribue à protéger la peau des risques du cancer induit par l’exposition au soleil. Les capacités d’absorption des caroténoïdes peuvent différer fortement selon les individus, et la possibilité de développer un «teint carotte» est sans doute très variable. Afin que la chaîne de protection complexe exercée par les caroténoïdes et la vitamine A puisse se manifester de façon optimale, il est donc important de disposer d’un large éventail de ces micronutriments. Cependant, l’administration à dose élevée de bêtacarotène s’est révélée plutôt dangereuse pour la santé, ce qui est une nouvelle illustration du paradoxe des antioxydants. Par contre dans les fruits et légumes, les caroténoïdes ne présentent aucun risque de toxicité, bien au contraire. La recherche de la pilule miracle est encore présente dans beaucoup d’esprit. Quelle naïveté d’essayer de reproduire, par exemple par un seul caroténoïde, la complexité d’un légume vert riche de ses chloroplastes équipés d’une batterie impressionnante de micronutriments pour assurer la photosynthèse. En plus des caroténoïdes, ces chloroplastes sont riches en vitamine E et en chlorophylle dont on n’a pas suffisamment exploré l’intérêt nutritionnel. Dans les légumes foliaires, la vitamine B9 ou acide folique vient renforcer les effets protecteurs des autres
phytomicronutriments. Ainsi, une bonne alimentation passe par une utilisation généreuse de fruits et de légumes réellement colorés (autrement que par l’apparence extérieure), et cela constitue un enseignement simple et fort utile.
Les polyphénols en pleine lumière
Avec plus de 5 milles molécules, le monde des polyphénols est parmi le plus extraordinaire dans le domaine des micronutriments. Ces polyphénols qui caractérisent la diversité du vin, du chocolat, du thé, sont en fait répandus dans tout le règne végétal mais ne sont pas nécessairement visibles au premier aspect. Quand une tranche d’avocat, de pomme ou de pomme de terre brunit lentement à l’air libre, cela permet de mettre en évidence la présence de polyphénols fraîchement oxydés.
Avant leur récente notoriété, l’intérêt nutritionnel des polyphénols a longtemps été négligé. Ce sont pourtant les antioxydants les plus abondants des aliments. De plus, l’homme en consomme environ 1 g par jour, soit dix fois plus que la vitamine C et cent fois plus que la vitamine E ou les caroténoïdes. Les polyphénols sont présents dans toutes les plantes, mais leur nature et leur teneur varient fortement d’une espèce à l’autre.
Les acides phénoliques, dont le plus célèbre a conduit à la synthèse de l’aspirine, sont largement distribués dans les aliments et les boissons (tel l’acide caféique du café), de même que les fla- vonoïdes qui ont une structure moléculaire plus complexe. Certains de ces flavonoïdes sont spécifiques des diverses espèces botaniques ou variétés, présents principalement dans les agrumes, le thé ou les produits du soja par exemple. Les anthocyanes de couleur bleue, rouge, violette, si abondantes dans divers fruits et quelques légumes, ne font pas que barbouiller les joues des enfants ou tacher les vêtements, elles exerceraient des effets très bénéfiques sur le système circulatoire et même sur la protection du cerveau. D’autres molécules (tanins), au joli nom scientifique de proanthocyanidines, sont responsables du goût amer et astringent retrouve dans un très grand nombre de produits : kakis, pommes à cidre, vin, thé, chocolat.
Afin d’explorer le rôle protecteur des polyphénols, présents en quantités très variables dans les produits végétaux et les boissons,
il est nécessaire de comprendre leur devenir dans l’organisme. En effet, le niveau d’absorption intestinale, le métabolisme et les propriétés biologiques varient très largement d’un polyphénol à l’autre, et les composés les plus abondants dans les régimes ne sont pas nécessairement les plus actifs dans l’organisme.
Les effets biologiques des divers polyphénols et notamment des flavonoïdes ne peuvent être réduits à leur rôle antioxydant. Ainsi, les produits du soja sont riches en isoflavones qualifiées de phyto-œstrogènes parce quelles présentent des propriétés qui s’apparentent lointainement à celles des œstrogènes naturels. Ces phyto-œstrogènes pourraient jouer un rôle intéressant pour la prévention de l’ostéoporose et du cancer du sein. Les populations asiatiques, grandes consommatrices de soja, semblent beaucoup moins sujettes à ce type de cancer. D’autres produits végétaux (céréales complètes, légumes secs, graines de lin) contiennent d’autres sources de phyto-œstrogènes (appelées lignanes). Plusieurs types de polyphénols peuvent avoir des propriétés antiinflammatoires, antivirales, anticarcinogènes, modifier l’activité d’enzymes cellulaires, affecter les mécanismes de division cellulaire. Ces micronutriments forment, pour l’organisme, une sorte de pharmacopée nutritionnelle dont il est difficile d’apprécier le bénéfice, compte tenu de la diversité de leurs actions, à l’inverse d’un médicament qui a une action bien ciblée. En attendant d’en savoir plus, ne nous privons surtout pas de fruits rouges pour leur richesse en anthocyanes, de thé vert, de chocolat noir, de cidre ou de vin (avec modération) pour leur richesse en tanins, de pommes rustiques plus riches en polyphénols que certaines variétés récentes, de fruits et légumes.
Bien d’autres micronutriments (composés soufrés, terpènes, saponines, phytostérols) sont susceptibles d’avoir des rôles biologiques intéressants. Les épices, les herbes, les aromates dont l’intérêt n’est pas seulement de donner du goût aux aliments, sont particulièrement riches en micronutriments. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que les produits comestibles contiennent aussi des substances potentiellement toxiques, mais l’organisme semble maîtriser leur neutralisation. Chaque famille botanique apporte des micronutriments spécifiques dont il est difficile de faire une description exhaustive. Assumer sa condition d’omnivore consiste donc à opérer des choix alimentaires variés en produits animaux et végétaux complémentaires pour l’apport d’énergie ou la fourniture d’une large gamme de micronutriments. Cela correspond d’ailleurs à la culture nutritionnelle d’un grand nombre de peuples autour du Bassin méditerranéen et dans de nombreuses régions du monde.
Cette condition d’omnivore, ce contact, cette imprégnation naturelle des organismes avec la diversité moléculaire des aliments naturels est de plus en plus mal assurée par l’écran de l’offre agroalimentaire, riche en produits énergétiques, en arômes de synthèse. Il y a donc une nécessité à faire évoluer la chaîne alimentaire vers la distribution le plus complète possible de tous les aliments naturels dans leur complexité.
Vidéo : Le monde des micronutriments
Vidéo démonstrative pour tout savoir sur : Le monde des micronutriments