Le droit d’être bien nourri
Vers une agriculture a finalité nourricière
Quel serait notre paysage alimentaire si les agriculteurs s’étaient directement impliqués dans la distribution alimentaire ? Il y a des raisons de penser que la nourriture courante aurait comporté les mêmes quantités de viandes ou de fromages mais une plus forte proportion de produits végétaux complexes et une bien moindre abondance en produits transformés, ce qui correspond à des recommandations consensuelles. L’évolution actuelle vers le gigantisme et le monopole de la grande distribution aurait pu être évitée, de même que le recours trop systématique à des transformations souvent superflues des aliments.
On peut espérer une prise de conscience collective qui mette fin à l’isolement de l’agriculteur et facilite l’organisation de nouveaux types de circuits alimentaires. Cette chaîne d’attention alimentaire et de suivi nutritionnel existe déjà dans quelques cas particuliers. Une minorité d’agriculteurs éclairés, entourés d’une clientèle proche, fonctionnent dans un esprit de convivialité, mais cela demeure exceptionnel. De nombreuses initiatives en France ou dans beaucoup de pays ont permis de rapprocher des groupements de consommateurs et des agriculteurs pour la distribution hebdomadaire de paniers de légumes. Ce mode de distribution est plus avantageux pour chacune des parties, et les légumes des supermarchés ne racontent pas la même histoire que celle des paniers garnis en fonction des produits de saison et remplis de valeurs pour une économie et une écologie solidaires.
L’agriculture doit répondre aux interpellations dont elle fait l’objet, voire prendre l’avis du consommateur pour faire évoluer ses productions et son offre. Les sujets de communication autour de l’agriculture et de l’alimentation ne manquent pas, par exemple, concernant la problématique de la qualité des fruits et légumes, l’optimisation de leur effet santé, le fonctionnement des circuits de distribution et la justification du prix final ou la contamination par les pesticides.
Agriculteurs, acteurs intermédiaires, consommateurs discutant d’objectifs communs pourraient se sentir responsables de la bonne marche de la chaîne alimentaire. Cette approche peut paraître peu réaliste, ce n’est pas si sûr, elle correspond déjà à l’esprit de l’agriculture biologique. Cette dernière est trop peu développée, longtemps exclue du champ de la recherche agronomique, elle n’a pas bénéficié d’une politique de développement attractive pour les agriculteurs. Par réaction aux excès de l’agriculture productiviste, l’agriculture biologique s’est sans doute contrainte à des règles excessives, l’attention de ses membres a trop souvent été imprégnée d’une peur sécuritaire, pas suffisamment tournée vers l’élaboration de produits de qualité assez compétitifs. Cependant, le maintien d’une agriculture biologique active a eu le mérite extraordinaire de montrer qu’il était toujours possible de développer une agriculture naturelle, indépendante de l’agrochimie. Au niveau de la nutrition humaine, l’agriculture bio est animée de l’esprit nourricier qui aurait dû toujours guider nos paysans dans leur stratégie de développement. Les circuits bio s’efforcent de fournir aux consommateurs qui les fréquentent des solutions nutritionnelles intéressantes, des pains bis au levain, une grande diversité de produits céréaliers et de légumes secs distribués en vrac, des biscuits ou des jus de fruits de bonne densité nutritionnelle, des recettes de cuisine saines.
Pour notre société, l’idéal serait de développer un nouveau modèle d’agriculture garante de bonnes pratiques agronomiques et de la valeur nutritionnelle des produits, soucieuse de l’équilibre alimentaire des consommateurs et directement impliquée dans l’élaboration et le contrôle de la qualité finale des produits transformés. Ce nouveau type d’agriculture nourricière, que l’on peut qualifier aussi de durable parce qu’il répond aux besoins de la société à long terme, devrait être soutenu par un gros effort pédagogique pour montrer son adéquation à la nutrition humaine. Il s’agit de proposer une alternative sérieuse à l’agriculture conventionnelle actuelle. Un tel progrès, correspondant à une nouvelle et réelle possibilité de choix pour les consommateurs, demanderait la réunion de beaucoup de compétences technologiques, nutritionnelles, économiques, sociologiques. Il serait essentiel que les agriculteurs et les consommateurs agissent ensemble dans ce sens et parviennent à mobiliser les acteurs intermédiaires nécessaires au succès d’un tel projet.
Combien de techniciens, d’ingénieurs, de scientifiques se dirigent sans convictions vers les industries agroalimentaires ou celles de l’agrochimie parce qu’elles sont génératrices d’emplois ! Pourquoi de jeunes talents dans de nombreux domaines n’accepteraient-ils pas de participer à une nouvelle aventure, à la construction et à la conduite d’un autre type de chaîne alimentaire ? Il paraîtrait normal que la finalité d’un secteur agroalimentaire soit entièrement conçue pour consolider un environnement agricole sain et durable et pour assurer une nutrition humaine optimale. Or les secteurs agroalimentaires majoritaires et la grande distribution exercent actuellement un pouvoir économique et un monopole trop importants qui les ont fort éloignés de l’intérêt général et de la défense des agriculteurs et des consommateurs. En revanche, de nombreuses entreprises peuvent s’insérer dans une nouvelle démarche et œuvrer à la mise en place de circuits de production et de distribution plus adaptés aux besoins de l’homme.
Quelle ouverture, quel avantage évident pour les agriculteurs de ne plus se sentir isolés, d’être conseillés, de participer au suivi du parcours des aliments. Certes, les agriculteurs se sont depuis longtemps organisés pour résoudre de nombreux problèmes d’exploitation agricole, de commercialisation de leurs produits à travers diverses structures dont les coopératives agricoles. Mais, cependant, beaucoup d’entre elles ont acquis une logique finalement bien proche des autres entreprises privées ou capitalistes.
Une démarche nouvelle d’agriculture-alimentation-santé nécessiterait de bien mieux connaître les facteurs limitants dans l’élaboration de la qualité nutritionnelle et dans l’adoption de comportements alimentaires protecteurs de la part du consommateur. Cela supposerait de résoudre les problèmes d’approvisionnement des villes, de fixer des objectifs à atteindre pour les différentes parties concernées, au niveau de l’environnement, de la qualité de vie, du bien-être et de la santé, de s’engager dans une démarche de responsabilité sur un enjeu majeur de notre fonctionnement vital.
Aucun aspect pour la réussite d’une telle entreprise ne devrait être négligé : par l’adaptation des modes d’agriculture et du traitement des aliments en fonction des objectifs nutritionnels à atteindre, par le développement de l’information nutritionnelle, par la mise en place d’une véritable nutrition préventive. Les preuves de l’intérêt d’un système d’alimentation conçu pour le bien-être de l’homme, construit en harmonie avec les professionnels et la population apparaîtront clairement dans la durée. Le fait qu’il soit possible de mieux gérer la chaîne alimentaire dans l’intérêt de tous semble évident, tant la démarche actuelle d’une division du travail et d’une approche sans liens des secteurs de l’alimentation et de la santé est caricaturale.
Que la chaîne alimentaire n’ait jamais réellement été conçue pour en tirer tous les bénéfices potentiels est sans doute le résultat d’une évolution trop rapide des techniques et des modes alimentaires ainsi que du manque de recul des professionnels et des citoyens dans ce domaine. Beaucoup d’entreprises alimentaires développent leurs activités sans posséder de compétences dans le domaine des relations entre alimentation et santé. Peut-on imaginer qu’un constructeur automobile ou d’autres objets d’usage courant méconnaissent les risques liés à l’utilisation des produits commercialisés ?
La nécessité d’assurer une formation suffisante à tous les acteurs de la production alimentaire, la complexité des systèmes à gérer, la longueur des évolutions possibles, l’importance des ruptures à opérer peuvent paraître comme autant d’obstacles insurmontables. Pourtant, il semble bien exister un consensus sur la nécessité d’une meilleure gestion de la chaîne alimentaire dont les performances sont trop souvent appréciées à l’aune des résultats de la balance commerciale de l’agroalimentaire ou du volume des achats des ménages. Il faudrait plutôt considérer comme critère de réussite l’adhésion des producteurs et des divers intermédiaires à de bonnes pratiques et des consommateurs à des modes alimentaires équilibrés. Le fait que le monde agricole de demain se sente responsable, en partenariat avec les autres acteurs de la gestion d’une alimentation préventive, est une des conditions fondamentales pour opérer des changements durables et souhaitables dans notre environnement agricole et alimentaire.
Une alimentation avec une finalité santé plus forte
Deux domaines qui interagissent fortement ensemble touchent particulièrement la vie humaine, celui de la santé et celui de l’alimentation. On sait à quel point le secteur de la santé a bénéficié d’un investissement social fort. Logiquement cette sensibilisation aurait dû se prolonger jusqu’au secteur alimentaire puisqu’il est acquis maintenant qu’une bonne nutrition est essentielle à la préservation de la santé. Des liens plus sérieux sont en train d’être tissés, mais beaucoup de retard a été pris pour la mise en place d’une chaîne alimentaire porteuse de santé.
La société a instauré un système de solidarité pour le remboursement des dépenses de santé. L’essentiel des efforts a porté sur la prise en charge des malades et l’élaboration d’un système de soins pour tous. Ce système de santé a été organisé pour répondre au coup par coup aux demandes de soins de la population si bien que les moyens consacrés à la prévention sont négligeables par rapport à ceux consacrés au traitement des patholo- gies. Ce système, on le sait maintenant, entraîne une dérive des dépenses difficilement maîtrisable, et, finalement, une partie de plus en plus grande du budget des ménages via les cotisations ou les impôts est consacrée au financement de la Sécurité sociale. Comme le budget des ménages n’est pas extensible, l’augmentation des coûts de la santé contribue à réduire la part du revenu consacrée à la nourriture. Dans le même temps, l’industrialisation de l’alimentation a permis de disposer d’une offre alimentaire peu onéreuse, mais de qualité nutritionnelle incertaine, avec des conséquences majeures sur la prévalence de maladies dites de civilisation telles que le diabète par exemple. Un cercle vicieux a donc largement été amorcé. En consacrant des efforts considérables à traiter les pathologies sans organiser une prévention à long terme, des moyens suffisants n’ont pas été consacrés à la gestion de la chaîne alimentaire pourtant fondamentalement porteuse de bien-être et de santé.
Dans une société de partage des tâches, nos concitoyens sont entièrement tributaires des professionnels de l’alimentation pour la qualité de leur nourriture. Dans un dialogue de sourds, il est objecté qu’il revient au consommateur de faire les bons choix pour être bien nourri. Ce dernier, confronté à des offres de prix très intéressantes, sans information et sans compétences claires, adopte donc les aliments transformés qui lui sont proposés, sans se rendre compte que cela peut, à la longue, nuire à sa santé ou ne pas lui apporter la forme, le bien-être et le statut nutritionnel optimaux nécessaires à la prévention d’un très grand nombre de pathologies. Or, pour des raisons historiques très complexes, la production alimentaire a pu se développer sans un cahier des charges permettant de garantir une qualité nutritionnelle optimale, de plus les connaissances nécessaires au développement des meilleures technologies n’étaient pas disponibles. Sans une connaissance fine de la biochimie des acides gras, il n’est pas étonnant que la production des premières margarines ait abouti à la synthèse d’acides gras « trans » (avec une chaîne carbonée déformée) peu recommandables sur le plan nutritionnel. De même, il ne semble pas facile de maîtriser la production d’huiles qui aient gardé toute leur richesse en micronutriments. Il a fallu du temps pour comprendre que la production de pain blanc n’était pas un idéal alimentaire à atteindre, que la production de sucre (si nécessaire lorsque l’on en était dépourvu) se révélerait plus tard comme un des facteurs responsables, avec l’excès de gras et la sédentarité, d’une épidémie mondiale d’obésité.
À mesure que les industries de première transformation (production d’ingrédients simples de type farine, sucre, huile) et de deuxième transformation (biscuits, boissons, pâtes, yaourts, etc.) prirent leur essor, il aurait été possible d’optimiser la valeur nutritionnelle des produits en fonction des connaissances acquises. Des limites de densité nutritionnelle à respecter pour les diverses classes de produits auraient pu être définies. Ces règles de bonne pratique n’ont pas été mises couramment en place à ce jour.
Évidemment, c’est l’état nutritionnel de la population dans son ensemble qui en pâtit. L’offre majoritaire de pain blanc ne permet pas de bénéficier de la richesse des produits céréaliers en magnésium, si bien que les apports recommandés en cet élément sont mal couverts pour une large majorité de personnes. Il était pourtant prévisible que l’introduction des matières grasses ou de sucre dans un très grand nombre de produits exercerait des effets défavorables sur le statut nutritionnel des populations, que la prédominance de certaines huiles déséquilibrées en acides gras aurait des répercussions profondes sur l’équilibre physiologique du consommateur, que l’introduction de sel caché dans divers aliments et leur appauvrissement en potassium (antidote du sodium) auraient des répercussions physiopathologiques importantes. Tout cela était bien prévisible, mais n’a pas contribué à générer de nouvelles pratiques sans doute parce que cela pouvait constituer un frein économique à court terme. Parfois, les professionnels de l’alimentation s’abritent derrière d’apparentes incertitudes pour continuer leurs activités sans contraintes d’objectifs nutritionnels à atteindre et sans se soucier de l’impact sur la santé publique des produits qu’ils commercialisent. En l’absence d’un éclairage visionnaire suffisant de la part de ses responsables et de ses spécialistes, les pouvoirs publics ont laissé se développer, sans obligation de densité nutritionnelle, une production alimentaire anarchique dont on mesure les conséquences aux États-Unis et maintenant dans bien d’autres pays. J’ai la conviction qu’une autre politique aurait pu être menée si on n’avait pas systématiquement recherché l’essor d’une activité agroalimentaire le plus puissante possible. Heureusement, une vision nouvelle et largement partagée concernant l’alimentation se développe ; on n’attend plus seulement des aliments qu’ils nous nourrissent mais aussi qu’ils aident à la préservation de la santér C’est pourquoi l’information dans ce domaine est devenue un enjeu considérable.
Le droit a l’information face des lobbies
Pour dégager un consensus sur le discours nutritionnel, il est important que les responsables concernés puissent le faire en toute indépendance. En fait, nous n’avons jamais été dans cette situation idéale. Aux États-Unis en particulier, les filières de production se sont organisées en lobbies pour piloter les recherches susceptibles de dégager des arguments favorables à leurs intérêts.
En France, comme dans tous les autres pays occidentaux, les lobbies sont omniprésents : celui du sel, pour rassurer le public sur le risque lié à une surconsommation de cet élément d’autant que la réduction de sel dans les aliments diminuerait fortement la consommation d’eaux minérales et de boissons sucrées et toucherait bien des industries florissantes ; celui du sucre, qui entretient la confusion dans les esprits entre le besoin indispensable de glucides (sous forme d’aliments complexes) et le besoin en sucre beaucoup plus limité ; celui des matières grasses, qui met l’accent sur la responsabilité des glucides (toutes classes confondues) dans le risque de surcharge pondérale sous prétexte qu’aux États- Unis la consommation de matières grasses a été légèrement réduite sans résultat visible sur l’état de la population américaine (il est cocasse que les deux lobbies producteurs de calories vides se renvoient la responsabilité d’être à l’origine de l’épidémie de l’obésité alors que chacun d’entre eux y participe entièrement) ; celui de la filière laitière, qui s’est emparé du calcium comme étant l’exclusivité de cet aliment dont même les adultes devraient se gaver pour lutter contre l’ostéoporose (avec des résultats peu convaincants).
Les arguments nutritionnels sont donc une affaire de marketing. La démarche n’est pas d’analyser les qualités nutritionnelles d’un produit pour aboutir à une consommation équilibrée du consommateur. Les filières ou les divers producteurs cherchent systématiquement les arguments qui pourront servir à l’achat de leur produit même si les allégations nutritionnelles sont fort éloignées de l’impact réel du produit ou à relativiser dans le cadre de la globalité du régime. Des besoins nouveaux sont suscités pour assurer une protection souvent imaginaire, notamment au niveau digestif.
Pourtant, le droit à une information le plus complète et le plus claire possible semble évident dans une société prétendument démocratique. Paradoxalement, la qualité de l’offre alimentaire est très difficile à évaluer pour le public compte tenu de l’omniprésence des lobbies avec leurs arguments partiels ou erronés, mais aussi compte tenu du cloisonnement disciplinaire du secteur de l’alimentation et de la santé. La production alimentaire s’est développée en effet sans expertise sur l’effet santé des aliments. Par ailleurs, le discours sur la santé est, pour une large majorité de la population, dévolu au corps médical qui pendant très longtemps n’a pas bénéficié de formation notable en nutrition. Même actuellement, cette formation est beaucoup trop éloignée de la connaissance des aliments et donc a un caractère très approximatif. La démarche de nutrition préventive devrait être plus présente dans le quotidien de la pratique médicale.
Pour améliorer les relations entre alimentation et santé, nous souffrons de l’absence d’un corps important de nutritionnistes pertinents capables de dynamiser ce domaine. Jusqu’à présent, les deux grands corps professionnels de l’alimentation et de la médecine se sont côtoyés sans relation étroite. Ce manque de suivi et d’interaction, de mise en commun de compétences ne permet pas de gérer au mieux la chaîne alimentaire. L’importance de cette dernière mériterait bien sûr d’être mise en valeur, bonifiée par un corps de nutritionnistes de bon niveau. Il est notable qu’il n’existe pas en France de grande école pour la formation de nutritionnistes. Cette formation nécessiterait une approche multidisciplinaire très large concernant la connaissance des aliments, de la digestion, du métabolisme, de la physiologie, des diverses pathologies, du comportement alimentaire, des aspects socioéconomiques, etc. En l’absence d’un corps de nutritionnistes et d’une masse critique suffisante de personnes compétentes, la gestion de la chaîne alimentaire est assurée par une très grande diversité d’acteurs dont les recommandations sont très hétérogènes ou contradictoires. Les voix parfois discordantes des nutritionnistes ont laissé libre cours aux appétits des lobbies agroalimentaires. Ainsi, le public est décontenancé par ces avis divergents. Malgré toutes ces difficultés, la nécessité de dégager des informations claires s’impose fortement face à la complexité et à l’opacité de l’offre alimentaire, face à l’apparition d’une très grande diversité de succédanés alimentaires (sirop de glucose aromatisé au miel, surimi, hors-d’œuvre et desserts artificiels). Il s’agirait de faciliter la perception de l’intérêt nutrition- nel des produits proposés et de favoriser l’adoption de comportements alimentaires sûrs. Il existe un large consensus pour reconnaître qu’un tel éclairage est un objectif social majeur, mais bien peu d’initiatives sont prises dans ce but si ce n’est notre timide PNNS (Programme national nutrition santé).
Certes, de nombreuses réglementations ont été conçues pour guider la production alimentaire, pour la définition des signes officiels de qualité mais selon des critères génériques trop imprécis sur le plan nutritionnel. La création d’agences telles que l’AFSSA, plus ou moins récentes selon les pays, chargées de statuer sur la valeur des aliments constitue une étape importante pour clarifier et assainir la production alimentaire. Cependant, ces agences se prononcent principalement sur le développement de nouveaux produits alors qu’il y a un travail de fond considérable à faire sur la correction des dérives actuelles (par exemple dans le domaine des calories vides) et donc sur les produits déjà existants.
Pour informer correctement le public et développer des approches nutritionnelles nouvelles, il faudrait concevoir des structures de formation adaptées aux exigences du terrain. Confrontée à un paysage alimentaire bien complexe, une large partie de la population n’a pas les connaissances suffisantes ou le temps pour effectuer les bons choix. Ainsi, de nombreux foyers ont perdu leurs repères nutritionnels et ont des connaissances trop imprécises sur l’art de bien s’alimenter. De plus, une maîtrise individuelle de l’alimentation devient indispensable compte tenu de l’éclatement des structures familiales.
Pour l’instant tout au moins, et tant que l’industrie agroalimentaire n’aura pas accompli dans la durée un travail de sape et de déculturation suffisamment avancé, il est possible de s’appuyer sur les cultures culinaires spécifiques des populations ou des régions pour vulgariser des modes alimentaires sûrs et protecteurs. S’il s’agit de toucher des populations méditerranéennes, par exemple, il est très judicieux de faire découvrir l’intérêt de leurs pratiques culinaires traditionnelles aux familles qui les ont délaissées. La préservation de la culture ne commence pas au théâtre, elle est aussi vécue au sein des cuisines et souvent affadie dans les supermarchés. S’il est juste et bien conçu, le discours nutritionnel ne peut qu’enrichir le patrimoine culturel des populations.
Apprendre a lire ,mais aussi a manger
L’état d’esprit de la majorité des communes ou des collectivités régionales est de confier à des sociétés de services le soin d’assurer les repas avec le respect des règles diététiques conventionnelles et des consignes de sécurité. Heureusement, de nombreuses associations de parents exercent un droit de regard pour améliorer ce fonctionnement, et de nombreuses initiatives intéressantes sont prises pour favoriser la consommation de produits régionaux, pour améliorer l’ordinaire ou corriger certaines erreurs diététiques manifestes. Souvent les institutions elles-mêmes, par le biais de distributeurs de boissons ou de gadgets sucrés, participent directement à la déstructuration du comportement alimentaire des adolescents. Pourtant la prévention de l’obésité des jeunes est un phénomène de santé publique qui mérite une même prise de conscience que pour le tabac. L’objection classique de ‘ ^ beaucoup de décideurs est de considérer qu’il vaut mieux éduquer les esprits plutôt que d’interdire. En fait les circulaires vaguement incitatives ont peu de poids par rapport au matraquage publicitaire. Il est urgent d’envisager un contrôle des messages publicitaires et des pratiques de distribution alimentaire. Dans l’enceinte des établissements scolaires, il serait tout à fait normal d’exiger une distribution de produits alimentaires ou de fruits et légumes de qualité, cela pourrait être confié à des agriculteurs, à des sociétés de services ou à d’autres structures respectant un cahier des charges approprié. Il s’agirait d’une activité économique tout aussi rentable et valable que bien d’autres. Il est curieux de mettre l’accent sur le respect du civisme et de bafouer des règles fondamentales d’hygiène nutritionnelle pour l’avenir des jeunes. Il faut espérer que cette situation évolue rapidement sous la pression de l’opinion publique et d’une réglementation nouvelle.
Dans la mesure où la transmission du savoir-faire familial est perdue, le bon sens voudrait que soit confié à l’Éducation nationale le soi ri d’apprendre aux jeunes la façon de bien s’alimenter. À cette fin, il conviendrait d’imaginer entièrement des formations nouvelles adaptées à la vie moderne et aux problématiques actuelles. Dans un premier temps, l’enseignement de la nutrition ne peut êtfe basé que sur une approche globale, concrète, conviviale pour quelle corresponde à la vie de tous les jours. Les technocrates de l’éducation nationale ont jugé que l’enseignement de la cuisine au collège avait un caractère ringard et l’ont supprimé, parfois les parents ont prolongé cette attitude, si bien que des jeunes quittent parfois leur foyer en étant très mal préparés à prendre en charge leur alimentation ou celle de leur conjoint ou enfant. Dans ce dernier cas, les conseils du médecin ou du pédiatre deviennent le principal recours pour guider les jeunes parents avec un suivi qui ne peut être que très approximatif.
Sur le terrain, l’enseignement de la nutrition dans les programmes de l’Éducation nationale demeure beaucoup trop théorique, faute d’une formation suffisante de la part des enseignants et d’une approche nouvelle qui tienne compte des avancées de la nutrition préventive et de la réalité concrète de notre paysage alimentaire. Enseigner qu’il faut consommer des protéines, des glucides, des lipides, des minéraux et des vitamines ne permet guère d’acquérir une culture nutritionnelle valable. De plus, l’Éducation nationale ou les structures régionales ont fait preuve de beaucoup de légèreté dans la gestion de l’alimentation des enfants ou des jeunes dont elles ont la charge. En maternelle, il serait particulièrement utile, rassurant, éducatif que les enfants puissent parfois assister à la préparation de leurs repas. On sait à quel point on a négligé les bénéfices de ce type de convivialité au profit de garanties hygiénistes (souvent apparentes) ou sous couvert de rentabilité. Beaucoup d’efforts sont faits pour l’amélioration des cantines scolaires, mais leur gestion est trop déconnectée de l’éducation nutritionnelle. Un travail d’information théorique pour la justification des menus pourrait être mené. Les élèves devraient être associés à la préparation des menus, des repas et se sentir impliqués par la bonne gestion de l’ensemble. À travers cette pratique, des informations pourraient être diffusées dans les familles et aider à la future indépendance des jeunes adultes.
L’état d’esprit de la majorité des communes ou des collectivités régionales est de confier à des sociétés de services le soin d’assurer les repas avec le respect des règles diététiques conventionnelles et des consignes de sécurité. Heureusement, de nombreuses associations de parents exercent un droit de regard pour améliorer ce fonctionnement, et de nombreuses initiatives intéressantes sont prises pour favoriser la consommation de produits régionaux, pour améliorer l’ordinaire ou corriger certaines erreurs diététiques manifestes. Souvent les institutions elles-mêmes, par le biais de distributeurs de boissons ou de gadgets sucrés, participent directement à la déstructuration du comportement alimentaire des adolescents. Pourtant la prévention de l’obésité des jeunes est un phénomène de santé publique qui mérite une même prise de conscience que pour le tabac. L’objection classique de ‘ ^ beaucoup de décideurs est de considérer qu’il vaut mieux éduquer les esprits plutôt que d’interdire. En fait les circulaires vaguement incitatives ont peu de poids par rapport au matraquage publicitaire. Il est urgent d’envisager un contrôle des messages publicitaires et des pratiques de distribution alimentaire. Dans l’enceinte des établissements scolaires, il serait tout à fait normal d’exiger une distribution de produits alimentaires ou de fruits et légumes de qualité, cela pourrait être confié à des agriculteurs, à des sociétés de services ou à d’autres structures respectant un cahier des charges approprié. Il s’agirait d’une activité économique tout aussi rentable et valable que bien d’autres. Il est curieux de mettre l’accent sur le respect du civisme et de bafouer des règles fondamentales d’hygiène nutritionnelle pour l’avenir des jeunes. Il faut espérer que cette situation évolue rapidement sous la pression de l’opinion publique et d’une réglementation nouvelle.
Favoriser l’émergence de choix éclairés
Arrivés au stade universitaire, il semblerait normal que les étudiants (bien qu’ils aient souvent d’autres soucis) soient directement associés à la gestion de leurs restaurants de façon plus étroite que par le biais d’une participation lointaine à des comités de gestion. En fait, de même que le futur citoyen doit connaître les règles de l’institution, de la vie collective, le citoyen consommateur devrait disposer d’une formation satisfaisante en matière de nutrition préventive et de sécurité alimentaire. Non seulement il faut donc mettre en place cette formation, mais il convient aussi de vérifier les connaissances acquises lors du passage d’examens tels que le bac.
Déjà, un des problèmes majeurs concerne la formation des jeunes à l’art de bien „’alimenter lorsqu’ils quittent le domicile familial pour devenir autonomes. Il est certes possible de vivre un temps avec des pâtes alimentaires, mais l’absence de toute culture culinaire est difficilement compatible avec le maintien d’un bon état nutritionnel. Sans un acquis notable en nutrition, les nouveaux parents doivent nourrir leurs enfants alors qu’ils n’ont pas appris à se prendre en charge eux-mêmes. Or on sait à quel point l’alimentation est importante pour le développement harmonieux de l’enfant, de son intelligence et de ses capacités physiques, de même la fonction nourricière des parents joue un rôle clé dans l’équilibre des relations affectives. Par le biais de produits prêts à l’emploi, souvent trop sucrés ou aromatisés, le secteur agroalimentaire fidélise les enfants et les futurs consommateurs aux produits industriels dépossédant les parents de leur rôle nourricier (sans que ces derniers en prennent bien conscience).
Il semble donc raisonnable et humain que la société et les pouvoirs publics investissent beaucoup mieux le domaine de la nutrition. Cela est capital dans le cadre d’une politique générale de prévention nutritionnelle qui fait actuellement tant défaut dans nos sociétés en pleine mutation, riches en termes de pouvoir économique mais peu sûres en termes de dynamisme humain et de gestion de la santé.
Souvent les approches diététiques enseignées concernent seulement la gestion de régimes particuliers, le contrôle précis des apports caloriques ou nutritionnels. Il est important aussi d’œuvrer sur le terrain pour apprendre aux consommateurs les plus désemparés l’art de bien s’alimenter, ce qui nécessite un engagement et une approche diététique nouveaux. Pour développer au maximum la nutrition préventive, pour gérer en quelque sorte la santé à long terme par une alimentation adaptée, pour assurer à tous les niveaux l’information et l’assistance nutrition- nelle indispensables à cette fin, il est important de trouver une nouvelle place aux diététiciens et aux nutritionnistes. La formation actuelle, trop centrée sur l’application de régimes spécifiques doit être élargie vers une approche intégrée de l’assiette jusqu’au champ, pour introduire une logique nutritionnelle dans toutes les étapes de l’élaboration des aliments et des choix alimentaires. Il serait souhaitable que le corps médical en collaboration avec les autres acteurs de la production alimentaire s’implique fortement dans cette démarche.
Assurer les besoins de convivailité
L’aspiration la plus fondamentale, liée à la prise alimentaire, concerne le plaisir affectif que l’homme trouve à partager son repas avec d’autres, des parents, des amis, des collègues ou même des inconnus. Cette aspiration profondément humaine est résumée par le thème de convivialité. Puisque cette convivialité est profondément inscrite dans l’homme, qu’il en a un besoin indispensable, qu’il en tire un réconfort essentiel, la production alimentaire aurait dû être conçue, organisée jusque dans ses moindres détails pour l’épanouissement humain à travers le besoin de partage alimentaire inscrit dans nos gènes de primates évolués.
On a surtout analysé la transition nutritionnelle de la seconde moitié du XXe siècle sous l’angle de la modification de la nature des aliments ou des nutriments ingérés, du passage des aliments bruts aux aliments transformés et empaquetés. Les conséquences de cette transition nutritionnelle n’ont pas suffisamment été abordées sous l’angle de la destruction de la convivialité. Certes, la sédentarité, les excès de sucre et de gras, les frigos bien garnis ont joué un rôle direct dans le développement de l’obésité, mais une large déstructuration des repas et une mauvaise prise en compte de la dimension conviviale de l’alimentation ont fortement contribué à l’amplification de cette épidémie mondiale.
L’approche dominante du secteur agroalimentaire a été de confectionner des aliments et des boissons avec une conservation le plus longue possible afin que chaque consommateur puisse en disposer en permanence. Ainsi, même si l’individu ne fait aucun effort pour préparer ou partager un repas, il dispose à volonté d’aliments caloriques dont les plus caricaturaux sont disponibles chez les marchands de journaux et les stations-service. Dans un esprit de santé publique, et de bien-être sociétal, il serait fortement souhaitable que l’offre agroalimentaire contribue à favoriser la convivialité plutôt que les pratiques de consommation individuelle.
De nouveaux modèles alternatifs de distribution alimentaire
L’esprit de convivialité ne se limite pas aux convives du repas, le plaisir de manger est finalement l’aboutissement du travail des paysans et de tous les intermédiaires qui ont œuvré du champ jusqu’à l’assiette. Un des défauts récurrents d’une alimentation mondialisée et standardisée est de créer une distance très grande entre le consommateur et l’origine agricole des aliments, or une large majorité des gens sont restés dans leur esprit très proches du monde rural et sont sensibles à la naturalité de leurs aliments. À l’avenir, il est clair que le consommateur aura à se positionner à travers ses choix alimentaires, sur les méthodes d’agriculture et d’élevage qu’il veut favoriser, sur l’importance qu’il accorde à la préservation des espaces naturels. Encore faut- il que l’origine des aliments ne lui semble pas trop lointaine, qu’il comprenne la nécessité de pratiquer des échanges équitables, qu’il attribue une valeur marchande suffisante à son alimentation de façon à maintenir une chaîne alimentaire bénéfique pour tous.
La dimension conviviale de l’alimentation a donc un caractère très large. Elle devrait être à la fois une revendication forte et aussi une exigence pour tous puisque le consommateur a une lourde responsabilité par ses choix, par la nature de ses dépenses sur l’évolution de la chaîne alimentaire. Cette évolution sera lourde de conséquences à de nombreux niveaux, celui de l’environnement jusqu’à celui du fonctionnement le plus intime de l’homme.
À travers son mode d’agriculture et de nourriture, l’homme pourra s’intégrer dans une chaîne écologique équilibrée ou participer à la dégradation de pans entiers d’espaces naturels, assurer son avenir biologique et son équilibre psychique ou prendre des risques de transformations métaboliques et de perturbations psychiques. La gestion de la chaîne alimentaire à visée humaine doit être compatible avec la préservation et le partage équitable des ressources naturelles.
Si, pour satisfaire des intérêts capitalistique ou nationaux, des territoires sont stérilisés, des agricultures marginalisées, des peuples asservis à des modes alimentaires standardisés, l’avenir de l’homme est bien mal engagé. L’homme ne peut donc fonder son humanisme que sur le respect, à toutes les étapes de la chaîne alimentaire, d’un esprit de partage dans le sens d’un développement durable. Cet esprit d’universalité et de solidarité, qui gagnerait à régir les échanges agricoles, est bien éloigné du marchandage actuel des pays riches entre eux ou vis-à-vis des pays en développement. Le droit élémentaire des peuples à se nourrir eux-mêmes est bafoué par la mise sur le marché de matières premières à des coûts dérisoires. De même, l’exportation de modèles alimentaires occidentaux dominants est un manque évident de respect pour les autres peuples dont les cultures sont marginalisées. Par contre, il y a un bénéfice réel, pour tous ceux qui le peuvent, à emprunter et à adopter des modes alimentaires ou des préparations culinaires originales qui font la richesse du patrimoine mondial. Il est sûrement intéressant que les Français apprennent à aimer les tajines marocains, le « pumpemickel » allemand ou les pitas du Moyen-Orient, le tofu asiatique, les tortillas mexicaines, le taboulé ou le hoummous libanais, les falafels juifs, la moussaka méditerranéenne, les chapatis indiens, le chili con came américain, le gaspacho andalou ou la soupe d’Hal- loween. L’adoption d’une partie de la culture de l’autre est aussi une excellente manière de le comprendre, et de diversifier et d’équilibrer sa propre alimentation. Souvent des modes alimentaires de par le monde se sont révélés extrêmement protecteurs vis-à-vis de certaines maladies. On sait à quel point il serait intéressant de transposer la diète méditerranéenne, le fameux régime crétois, à l’ensemble des régions françaises par exemple pour lutter contre l’infarctus du myocarde.
L’intérêt de partager les ressources et les savoir-faire culinaires, pour un enrichissement réciproque, est particulièrement prégnant en matière d’alimentation humaine et serait une voie originale de mondialisation. Ce métissage culturel est bien différent d’une certaine uniformisation des goûts prônée par la domination des géants de l’agroalimentaire, par la civilisation « Coca- Cola » et « MacDonald ». Le danger réside dans la capacité des pays riches occidentaux, dotés d’une industrie agroalimentaire surpuissante, de faire consommer aux pays du sud ou de l’Asie des produits manufacturés ou des produits animaux dans l’esprit de conquérir de nouveaux marchés. Ce péril est déjà bien réel puisqu’on peut mesurer les conséquences de « la transition nutri- tionnelle » que nous avons subie dans beaucoup de pays du Sud.
La marchandisation de la nourriture n’est sûrement pas le bon moyen pour vaincre la faim dans le monde. En revanche, il est souhaitable d’enrichir, chaque fois que cela est possible, le patrimoine culinaire des populations. Au-delà du bonheur de partager le plaisir des autres à travers leurs aliments, il est également important de mettre en commun l’immensité des connaissances acquises pour élaborer des systèmes de nutrition préventive en fonction des ressources disponibles. En effet, puisque nos connaissances ont tellement évolué dans ce domaine, il devient élémentaire au niveau éthique d’en faire bénéficier tous les peuples. C’est d’une certaine manière ce que pratique la communauté scientifique dont le fondement est de diffuser en permanence les connaissances nouvelles. Toutefois, il y a une grande distance entre les approches souvent trop théoriques des scientifiques et le développement de politiques nationales de santé publique dans le domaine alimentaire.
Attention aux enfants et aux adolescents
La solidité et la sûreté du comportement nutritionnel se préparent dès le plus jeune âge et se nourrissent de la convivialité familiale. La mise en place d’une nutrition préventive chez le jeune, avec pour objectif une santé à long terme, peut paraître paradoxale à un moment de la vie où l’horizon de la maladie et de la mort est entièrement occulté, suscitant bien des comportements à risque. C’est pour cela qu’il est important que les jeunes disposent d’acquis nutritionnels sûrs puisque la problématique d’une bonne alimentation rentre peu dans le champ de leurs préoccupations. Pourtant, l’influence des modes alimentaires pratiqués durant l’enfance et l’adolescence est souvent déterminante pour assurer un bon état de santé tout au long de la vie. C’est pourquoi il semble important de structurer le comportement alimentaire des enfants et des adolescents d’autant que l’apprentissage du goût est souvent long, la découverte de nouveaux aliments difficile et les réactions de néophobie courantes. On comprend tout l’intérêt de familiariser les enfants aux aliments inconnus dans un contexte socio-affectif chaleureux. Dans la société actuelle, l’enfant ne peut trouver seul les bons repères, or les jeunes sont particulièrement sensibles aux influences publicitaires que la famille ou les pouvoirs publics tempèrent difficilement.
Parfois, la crise de l’adolescence se manifeste par des comportements excessifs, des déviations du comportement alimentaire allant jusqu’à la boulimie, l’anorexie et son cortège de souffrances auxquelles les victimes ont du mal à mettre un terme. Dans cette période où le phénotype de l’état adulte se met en place, la privation comme l’excès alimentaire vont perturber le futur état d’équilibre corporel et psychologique ; d’où l’importance de la bonne gestion de cette étape tourmentée de la vie.
Ces déviations du comportement alimentaire révèlent la complexité des contradictions intérieures de la personne et peuvent être indépendantes des facteurs nutritionnels extérieurs. Cependant, l’augmentation de la prévalence actuelle de la boulimie et de l’anorexie conduit à poser le problème de l’influence, sans doute bien réelle, de l’offre alimentaire et de la déstructuration des repas sur le développement de ces syndromes.
Ce qui inquiète le plus la société est le développement actuel de la surcharge pondérale, voire de l’obésité de l’enfant. L’influence de l’offre et du mode alimentaire semble déterminante dans le développement de ce qui ressemble à une épidémie mondiale. Sous l’influence des modes de vie confortables, de temps passé devant des écrans de télévision ou d’ordinateurs et surtout d’une nourriture industrielle parfaitement assimilable, de jeunes enfants gavés présentent des états de surcharge pondérale très précocement. Dans ces conditions, sous l’effet de fréquentes stimulations nutritionnelles relayées par des signaux endocriniens, le tissu adipeux se développe anormalement. Ainsi, une situation de dérive vers le surpoids est créée avec une porte d’entrée toujours plus grande ouverte pour le stockage et relativement fermée pour la sortie des acides gras (via la mobilisation des graisses) qui ne peut être que très lente pour ne pas intoxiquer l’organisme. Maintenant que l’obésité arrive à se développer si précocement chez les jeunes, certains d’entre eux développent le syndrome du diabète de type 2, caractéristique plutôt de la résistance à l’insuline de sujets âgés.
Les nutritionnistes ont cherché à identifier les facteurs nutri- tionnels impliqués dans le développement de l’obésité juvénile sans résultats convaincants. L’allaitement maternel est la première mesure préventive face au risque de développement ulté- , rieur de la surcharge pondérale parce que le lait maternel est adapté à la physiologie du bébé, alors que l’on maîtrise encore mal les apports énergétiques des laits 1er âge. Les conséquences de la malnutrition fœtale, qui peut avoir des origines très diverses, sont souvent prolongées par les effets d’une nourriture infantile trop riche en énergie et en protéines ou déséquilibrée en acides gras essentiels. Ainsi, un usage important de produits laitiers et de beaucoup d’autres aliments et boissons de forte densité énergétique constitue un facteur de développement de l’obésité de l’enfant, dans un contexte de sédentarité. Lorsqu’une prédisposition génétique et un environnement défavorable se conjuguent, les risques de devenir obèse du bébé issu de parents en surcharge pondérale sont très élevés. Le développement précoce du tissu adipeux crée ensuite un terrain métabolique favorable à l’installation durable d’un état d’obésité à l’âge adulte. Sans aucun démarrage précoce, l’obésité peut aussi se développer assez tardivement chez des jeunes ou des adultes exposés à des excès alimentaires et bien peu maîtres de leur comportement. L’apparition de ce syndrome est ensuite grandement facilitée à la génération suivante, et il devient urgent de réfléchir aux méthodes, sans doute bien nouvelles, à mettre en place pour interrompre cette chaîne de transformation du phénotype.
La survenue de cette épidémie de l’obésité à l’échelon mondial est à l’origine d’une remise en question de l’offre agroalimentaire de mauvaise qualité et d’un vif encouragement à lutter contre la sédentarité. Il faut souligner de plus que cette sorte de malnutrition touche maintenant les classes les plus défavorisées, les moins averties de l’importance de la prévention et les moins aptes à disposer de facteurs environnementaux favorables.
Vieillir en bonne santé
Finalement, il revient au consommateur de gérer lui-même au mieux sa santé par l’alimentation, ce qui nécessite qu’il ait reçu une information claire et qu’il adapte son comportement en conséquence. Compte tenu de la complexité des régulations physiologiques, des influences socioéconomiques et culturelles, des spécificités des représentations mentales, l’adoption de bonnes pratiques, compatibles avec une gestion optimale de la nutrition préventive, peut sembler difficile et nécessite d’acquérir très tôt de bonnes bases.
L’allongement de l’espérance de vie est souvent mis en avant en faveur de l’efficacité de notre système alimentaire. Cette problématique est fort complexe. En toute rigueur, les centenaires actuels n’ont connu ce qui est appelé « la transition nutrition- nelle » (un terme bien édulcoré) que dans la seconde moitié de leur vie alors que les fondements de leur santé, leurs habitudes alimentaires étaient déjà bien établis. Réciproquement, il est difficile de parier que la génération des jeunes, les plus accros aux « Coca-Cola, fast-foods et calories vides », améliorera son espérance de vie. Par contre, pour une bonne majorité de la population, il est possible de trouver dans l’offre alimentaire actuelle, par des choix éclairés, une alimentation favorable au bien vivre et au bon vieillissement. Cependant il n’est pas toujours facile de s’approvisionner, par exemple, en fruits et légumes ou en d’autres denrées de bonne valeur nutritionnelle. La mise en place d’une bonne gestion de la santé par l’alimentation devrait donc concerner tous les acteurs de la production alimentaire, d’où la nécessité d’une sensibilisation nouvelle sur ce sujet. De même, il est important de faciliter la perception du consommateur et surtout de ne pas brouiller les messages, de ne pas opposer naïvement, comme nous l’avons précédemment montré, qualité organoleptique (qu’il est possible de manipuler par des arômes, du sucre, du gras, du sel ou d’autres artifices) et qualité nutritionnelle (liée à 1’équilibre de la composition en nutriments et micronutriments). Il n’en reste pas moins que le consommateur doit ajuster son propre comportement à sa physiologie, à ses spécificités digestives et métaboliques qui font de chacun d’entre nous un être unique.
L’argument majeur montrant que l’approche nutritionnelle préventive n’est pais actuellement satisfaisante (et bien peu soutenue par une politique de santé publique) concerne l’importance des pathologies qui se déroulent à un âge tardif. La maladie est tellement prégnante dans nos sociétés que l’on a oublié qu’il est possible de vieillir sans pathologies graves, la vieillesse est un devenir, et les maladies qui l’accompagnent ne sont pas une fatalité. Il est probable que la science mettra en évidence l’essentiel des mécanismes de prévention et des conditions nécessaires au Ipon vieillissement. L’homme saura-t-il mettre à profit ces connaissances pour construire un environnement favorable à son bien- être et à sa santé ?
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