Le diagnostic d'anorexie mentale
Le diagnostic d’anorexie mentale à l’adolescence est un diagnostic clinique positif et ne doit plus être un diagnostic d’élimination. Le tableau clinique est très caractéristique et les symptômes relativement stéréotypés. Bien qu’il s’agisse classiquement d’une « maladie de fille », cette pathologie peut également concerner le garçon.
Tout commence, le plus souvent, par un désir de « suivre un régime », quelquefois apparemment justifié du fait d’un discret surpoids. Mais contrairement aux autres adolescents qui commencent un régime et « craquent » au bout de quelques semaines, l’anorexique va très rapidement dépasser les limites du raisonnable. Parfois, on retrouve un cofacteur déclenchant, en apparence banal, comme un voyage à l’étranger, un déménagement, etc. C’est la perte de poids qui motive le plus souvent une première consultation chez le médecin. Cette consultation est habituellement à l’initiative des parents du fait du déni des troubles de la part de l’adolescente : elle ne demande rien et ne se trouve pas malade ! A ce moment-là, la restriction alimentaire s’est aggravée et le syndrome anorexique s’est confirmé, associant la triade symptomatique bien connue : anorexie, amaigrissement et aménorrhée.
Anorexie:
Il s’agit d’un comportement de restriction alimentaire volontaire. Le terme d’anorexie n’est donc pas le mieux choisi car il existe, au moins au début, une véritable sensation de faim avec lutte active contre celle-ci. Ce fait n’est d’ailleurs souvent reconnu par l’anorexique qu’au cours du travail psychothérapeutique ultérieur. Elle dira au contraire qu’elle n’a pas faim. Ce n’est que lorsque l’amaigrissement est important ou prolongé qu’une véritable anorexie, au sens propre du terme, peut apparaître. Au fur et à mesure de l’évolution, l’anorexique devient de plus en plus envahie par des préoccupations centrées sur la nourriture : calcul des calories, préparation des repas, sélection et tri des aliments, diminution de la fréquence des repas, par ailleurs « interminables », etc. Les repas familiaux deviennent l’occasion de conflits et de tensions : les parents ont les yeux rivés sur l’assiette de leur enfant, qui peut être amené à cacher la nourriture au cours des repas en différents endroits incongrus (à l’intérieur des joues, dans les poches). A cette conduite de restriction alimentaire volontaire, peuvent, mais rarement dès ce stade, s’associer des crises boulimiques. Des manœuvres purgatives sont également possibles comme des vomissements provoqués ou l’utilisation de laxatifs. Il ne potomanie peut également s’installer; Ces comportements restent longtemps cachées, l’anorexique “en éprouvant un véritable sentiment de honte. L’existence de vomissements répétés sera suspectée devant certains signes cliniques visibles dès l’examen de la peau, comme des durillons en regard des articulations métacarpo-phalangiennes (en contact avec les arcades dentaires lorsque la patiente met les doigts dans sa bouche pour vomir) ou une hypertrophie des parotides. L’ionogramme sanguin retrouvera une hypokaliémie avec alcalose.
Amaigrissement:
Au tout début la restriction alimentaire chez l’anorexique peut entraîner une diminution de la vitesse de croissance pondérale, sans qu’il y ait une perte de poids en valeur absolue. Ainsi tout infléchissement de la courbe de poids peut être le premier signe objectif d’une anorexie mentale.jll est donc primordial d’étudier attentivement l’itinéraire de croissance staturo-pondérale à l’aide des courbes pédiatriques de croissance somatique 1 de M.F. Rolland-Cachera et M. Sempé. Afin d’évaluer au mieux l’état trophique, on peut s’aider des courbes pédiatriques de corpulence 1, utilisant l’indice de Quételet ou BMI (Body Mass Index) : poids en kg/(taille en m)2.
Durant l’adolescence, contrairement à ce qui se passe à l’âge adulte, il n’existe pas de mesure satisfaisante du « poids idéal ». On peut cependant évaluer le poids souhaitable pour l’âge et la taille en fonction de l’analyse de la courbe de croissance. Il est important de calculer le déficit pondéral, correspondant au degré relatif d’amaigrissement par rapport au poids antérieur, ou au poids souhaité. Dans l’anorexie mentale, l’amaigrissement atteint souvent rapidement 20 à 30 % et, dans les cas extrêmes, jusqu’à 50 % du poids souhaitable. Malgré cette maigreur évidente, il existe au début de l’anorexie mentale un déni farouche de cette réalité et ce contraste est caractéristique de la maladie. Ce déni est parfois remplacé par une reconnaissance apparente par la patiente du trouble du comportement alimentaire et de la maigreur, mais dans ce cas, l’adolescente reconnaît son incapacité à modifier ce dysfonctionnement.
Chez la très jeune adolescente, cette conduite alimentaire conduisant à l’amaigrissement peut retentir sur la croissance staturale et le développement pubertaire. Il n’est pas rare de voir des blocages pubertaires avec infléchissement puis cassure de la courbe de taille, pouvant même aboutir dans les situations chroniques à une réduction de la taille définitive.
Le tableau clinique et biologique complet, conséquence de l’amaigrissement, est détaillé ultérieurement.
Aménorrhée:
L’aménorrhée est un signe constant dans l’anorexie mentale. Elle peut être primaire, lorsque les règles ne sont jamais apparues, ou secondaire. On parle d’aménorrhée secondaire après une période d’interruption de 3 mois de règles précédemment régulières ou de 6 mois en cas de règles irrégulières, ce qui est le plus souvent le cas à l’adolescence. Un traitement hormonal œstroprogestatif, chez une anorexique, peut la masquer du fait des hémorragies de privation. L’arrêt des règles coïncide le plus souvent avec le début de l’amaigrissement, mais il peut parfois le précéder. Cet arrêt ne semble donc pas initialement lié à la perte de poids, mais plutôt à une atteinte fonctionnelle et primaire de l’axe hypothalamo-hypophyso-gonadique. Ainsi, une aménorrhée secondaire chez une adolescente ayant une stagnation pondérale doit toujours faire évoquer, outre une grossesse, la possibilité d’une anorexie mentale. L’aménorrhée est habituellement un des derniers symptômes physiques à disparaître, alors même que la patiente a retrouvé un poids normal. Il importe de préciser aux patientes que cet état ne les protège pas d’une éventuelle grossesse. En effet, quelques rares cas de grossesses secondaires à une ovulation post-coïtale ont été décrits.
Symptômes associés:
Hyperactivité:
Dans cette pathologie, le comportement peut être modifié de façon stéréotypée. Il n’est ainsi pas rare d’observer une hyperactivité physique ou intellectuelle.
L’hyperactivité physique consiste, par exemple, en la pratique d’activités sportives extrascolaires intensives. Certaines patientes peuvent également s’obliger à de longs trajets à pied, préférer systématiquement les escaliers à l’ascenseur, faire de la gymnastique à la maison de façon excessive, etc. Toutes ces activités sont comme un besoin nouveau dont elles ne peuvent se passer et dont elles tirent un certain « plaisir ». L’hyperactivité intellectuelle est elle aussi quasiment toujours retrouvée. Mais en réalité, il existe souvent une disproportion anormale entre le temps passé à étudier et les performances scolaires proprement dites. La réputation d’intelligence « remarquable » de ces patientes est donc à nuancer, car les résultats sont meilleurs pour l’apprentissage que pour la créativité et les processus intellectuels purs. Il n’est d’ailleurs pas rare qu’au décours de la prise en charge thérapeutique, les processus anorexiques s’estompant, les performances scolaires fléchissent.
Au début de la maladie, l’hyperactivité n’est pas modifiée par le degré d’amaigrissement : bien au contraire, plus la patiente maigrit, plus elle est active et mieux elle se sent. L’hyperactivité diminue par épuisement physique seulement lorsque l’amaigrissement devient extrême.
Trouble de la perception de l’image du corps:
Il existe dans l’anorexie mentale un trouble de la perception de l’image du corps avec méconnaissance de la maigreur. Ceci rend compte, chez ces patientes, de leur absence d’inquiétude sur leur état de santé. Malgré un état physique altéré, il persiste chez elles un désir éperdu de maigrir ou une peur intense de grossir. Tout ceci explique l’état physique souvent déjà très impressionnant dans lequel les anorexiques peuvent arriver en consultation.
Blocage de la sexualisation:
L’amaigrissement va progressivement gommer tous les stigmates de développement pubertaire (absence de règles, régression du volume mammaire). Lorsqu’une vie sexuelle génitale existe, elle se fait souvent sans plaisir réel et finit par disparaître. Le domaine de la vie affective et sexuelle est d’ailleurs celui qui risque de rester le plus longtemps perturbé ou insatisfaisant au cours de l’évolution.
Sur le plan relationnel, il existe par ailleurs une régression affective avec un isolement des pairs et un surinvestissement des relations familiales, notamment avec la mère. L’entourage proche remarque aussi un changement de comportement chez cette fille jusque-là sage et obéissante : elle devient plus irritable, exigeante et susceptible, et cherche à éviter certains sujets.
Absence d’autre pathologie psychiatrique:
Outre la triade classique, il existe un élément indispensable au diagnostic d’anorexie mentale primaire : l’absence de (roubles mentaux majeurs associés, en particulier du registre psychotique. Mais deux points méritent d’être soulignés ici :
– l’absence de pathologie psychiatrique avérée chez l’anorexique n’exclut pas pour autant l’existence éventuelle de certains troubles de la personnalité sous-jacents (qui peuvent d’ailleurs conditionner en partie le pronostic à long terme).
– il peut exister des manifestations d’anorexie mentale, parfois inquiétantes au plan somatique, dans le cadre des psychoses. Mais dans ce cas, on n’est plus dans le cadre de l’anorexie mentale primaire, dont il est question dans cet ouvrage.
Critères diagnostiques:
Des critères diagnostiques ont été proposés pour l’anorexie mentale. Ils sont surtout d’intérêt nosographique, permettant d’inclure dans les études des échantillons de patients comparables. Les critères diagnostiques les plus communément utilisés sont ceux de Feighner et ceux du DSM IV (Diagnostic Statistical Manual). Les critères de Feighner ont l’avantage d’être facilement utilisables par le clinicien, mais ils ne sont pas les mieux adaptés pour l’anorexie mentale de l’adolescent (en particulier pour les plus jeunes). Ils ont surtout l’inconvénient d’être trop restrictifs dans leur exigence d’une perte de poids d’au moins 25 %.
A l’inverse, les critères du DSM IV favorisent les aspects psychopathologiques au détriment des caractéristiques somatiques de la maladie. Nous proposons, sur la base de notre expérience pédiatrique, une synthèse entre les critères de Feighner et les critères du DSM IV, plus accessible à un diagnostic clinique simple.
Vidéo : Le diagnostic d’anorexie mentale
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