Le corps anticancer : L’énergie du combat
Arrivée au dojo, à la porte de Paris, Jacqueline fut d’abord frappée par la jeunesse des gens en kimono qui l’accueillaient en souriant. Plusieurs avaient tout juste 40 ans. À part l’une d’entre elles, dont la tête rasée trahissait son parcours de chimiothérapie, rien dans leur aspect, ni dans leur attitude ne rappelait la maladie. Elle se rendit compte tout à coup que rien dans son aspect à elle ne le rappelait non plus. C’était déjà rassurant. Avant de commencer les exercices physiques, selon le rituel japonais, tous les élèves s’alignèrent, à genoux face à l’enseignant, puis, comme lui, ils saluèrent en inclinant le buste ce qu’ils s’apprêtaient à faire ensemble : s’engager dans un acte de respect pour leur propre corps, au contact de leur force de vie. En percevant la sereine détermination de chacun de ces êtres qui avaient tous souffert comme elle, tous choisi de se battre comme elle, qui étaient tous animés d’espoir comme elle, Jacqueline sentit sa gorge se serrer. Elle sut, à cet instant, qu’elle avait eu raison de venir dans ce lieu.
Une fois debout, le jeune maître – un ancien champion d’Europe en individuel et du monde par équipe – lui fit remarquer qu’elle se tenait courbée, le regard au sol. En se regardant dans le miroir, Jacqueline voyait qu’effectivement depuis ses deux opérations elle avait pris l’apparence d’une « petite vieille ». Intérieurement aussi, elle se sentait vieillie. Il se plaça à côté d’elle, lui montra les gestes de frappe D’abord au ralenti, puis avec le mouvement type : sec, fort, puissant, et le cri – le « kiaï » profond, qui surgit de tout le corps. Jacqueline sourit… Ce n’était pas pour elle, ça… Elle ne s’était jamais battue de sa vie, pas même pour dire « non » à sa famille ou à ses amis qui en avaient bien abusé ! Elle n’était certainement pas une karatéka… Mais depuis le début de son traitement, la voix du docteur Bouillet l’accompagnait. Il avait dit : « Vous allez voir, c’est formidable. » Comme tout ce qu’il lui avait annoncé s’était réalisé, elle décida de mettre son corps en action, et lança la frappe imaginaire avec un petit cri timide. On l’entendit à peine, mais c’était déjà un grand pas pour elle. À la fin de la première séance, elle était en sueur. Elle avait poussé et tiré sur son corps comme elle ne savait pas qu’elle pouvait le faire. Elle avait frappé l’air de ses mains et de ses pieds. Elle avait crié. Elle avait senti sa… force. Jacqueline était tout étonnée de ce qui s’était passé, de cette énergie qu’elle avait découverte tout au fond de son corps et dont elle n’avait jamais soupçonné l’existence. Elle en était toute ragaillardie.
Jusqu’à la fin des six cycles de chimiothérapie qu’elle devait subir, elle vint religieusement, deux fois par semaine. Pourtant, l’épuisement était tel parfois qu’elle avait des idées de mort. Quand elle allait en métro au club de sport, elle avait souvent mal au cœur et de la peine à se tenir droite. Elle se demandait comment elle allait y arriver. Mais elle ne lâcha pas. Aujourd’hui, elle se rend compte que les amis qu’elle s’est faits au club lui redonnaient du courage. De voir ces êtres, dont elle connaissait la maladie, se mobiliser avec une telle vigueur lui rappelait, quand le doute l’assaillait, qu’elle aussi était encore en vie. Et de faire bouger son corps, d’envoyer ce cri venu du fond d’elle-même, contre sa maladie, contre tout ce qu’elle subissait, lui redonnait de la force physique. Se battre encore, et encore, contre les ennemis, tous les ennemis invisibles qui avaient voulu lui voler sa vie… Finalement, elle était moins fatiguée après chaque séance qu’avant !
De nombreux patients se souviennent que, à certaines périodes de leur chimiothérapie, la fatigue était telle qu’ils en étaient réduits à se traîner du lit au canapé pendant les deux semaines qui suivaient l’injection du liquide qui guérit et empoisonne à la fois. La fatigue du cancer, ajoutée à celle des traitements, est un des aspects les plus décourageants de la maladie. Elle affecte jusqu’à 90 % des patients et peut parfois se prolonger pendant des années après la fin du traitement. Le repos n’y fait rien, ni le sommeil. C’est tout le corps qui semble gainé de plomb. Il y a encore quarante ans, on disait aux malades cardiaques après un infarctus que leur fatigue venait de la faiblesse de leur cœur. On leur expliquait qu’ils étaient désormais des « infirmes cardiaques » et on leur prescrivait le repos complet. Mais cela n’arrangeait rien à leur épuisement, et encore moins à leur moral ! Aujourd’hui, on leur apprend à se remettre à l’exercice le plus vite possible. La cancérologie en est encore au tout début de cette révolution et très peu de patients reçoivent ces conseils. Pourtant, comme le décrit un article du docteur Amit Sood, chirurgien cancérologue de la clinique Mayo aux États-Unis, on sait aujourd’hui que l’exercice physique est une des méthodes les plus avérées pour soulager la fatigue liée à la maladie ou à son traitement.
Jacqueline, elle, n’a jamais arrêté le karaté. Quatre ans et demi après son diagnostic initial, son cancérologue lui a annoncé qu’elle était tirée d’affaire. Survivre aussi longtemps à ce type de cancer est rarissime et signifie que le mal est vaincu. Mais elle a pris goût à ce nouveau rapport avec son corps et avec sa vie. Retrouver son corps, à chaque séance, sentir qu’elle peut agir dessus, aller chercher son énergie au fond de son ventre… Pour elle, c’est une manière de garder la maladie à distance. Deux fois par semaine, en kimono, elle prend la posture de combat. Elle se tient droite, le regard inflexible. Et elle s’entend dire fermement « à nous deux » au fantôme de son cancer – si d’aventure il nourrissait des velléités de retour.
Jacqueline fait bien de persévérer. On a désormais toutes les raisons de penser que la pratique régulière d’une activité physique réduit considérablement le risque de rechute. Pour ce qui concerne le cancer du sein, dans un éditorial du plus grand journal international de cancérologie, le Journal of Clinical Oncology, la chercheuse Wendy Demark-Wahnerfried, de l’université de Duke, met en avant une réduction du risque de l’ordre de 50 à 60 %. Un effet tellement impressionnant qu’elle n’hésite pas à le comparer à celui de la chimiothérapie par l’Herceptin (pour le cancer du sein HER-2-positif), un médicament révolutionnaire qualifié en 2005 d’« avancée majeure » et de « grand tournant dans l’éradication de la souffrance et de la mort par cancer ». Contrairement aux traitements hormonaux classiques, l’effet protecteur de l’activité physique n’est pas limité aux cancers du sein porteurs de récepteurs aux œstrogènes. Deux études, une de la clinique Mayo, l’autre de l’université de Caroline du Nord, montrent des effets comparables sur les cancers négatifs pour ces récepteurs. De plus, mieux encore que l’Herceptin, les bénéfices de l’exercice physique ne se cantonnent pas aux récidives du cancer du sein. Un niveau de protection comparable a été démontré contre la récidive ou l’aggravation du cancer de la prostate (jusqu’à 70 % de réduction du risque de mort chez les hommes de plus de 65 ans !), ainsi que du cancer du côlon et du rectum. Il existe aussi un effet protecteur documenté contre le cancer de l’ovaire, de l’utérus, du testicule et du poumon.
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