Le bizzar de placebo
Lors d’une tournée de césariennes en Charolais, un vétérinaire m’expliquait que dans telle ferme, où l’ambiance était assez tendue du fait d’un certain nombre de problèmes (divorce, vente prochaine des biens), les césariennes se passaient mal depuis quelque temps. Les animaux que l’on opère normalement debout, sous anesthésie locale, s’agitaient, se blessaient parfois. La prescription à laquelle j’assistais
fut pour le moins inhabituelle, puisqu’elle consista à installer une table à jeu dans 1 etable et à demander aux garçons de ferme de « tranquillement taper le carton » au milieu des animaux, de façon à ce que les vaches retrouvent une certaine sérénité, si toutefois ce terme paraît approprié en matière bovine. Dans la ferme suivante, en revanche, pas de problèmes domestiques, les affaires marchaient bien, le couple était stable et harmonieux les vaches ruminaient tranquillement pendant que l’on incisait leur utérus. Autre exemple tirée de la pratique vétérinaire : que fait un praticien si certaines génisses rétives refusent de donner leur lait lors des premières traites
Il leur injecte de l’ocytocine, hormone qui déclenche l’expulsion du liquide. Au bout de deux ou trois injections, il suffit de légèrement piquer l’animal du bout de l’aiguille pour obtenir un résultat identique. De l’importance de la psychologie de l’environnement et du conditionnement chez les ruminants?
Quittons la ferme pour la maison. Que consta- tons-nous? Que les animaux domestiques se révèlent pareillement sensibles, une fois de plus par l’intermédiaire de leurs maîtres. Les vétérinaires, notamment en pratique canine, savent tous parfaitement que l’eczéma du chien est souvent amélioré par des médicaments vraiment anodins, à partir du moment où les propriétaires participent bien au traitement, sont rassurés et, du coup, changent d’attitude. Même chose pour le nourrisson, d’ailleurs. Lorsqu’un bébé pleure la nuit et ne dort pas, il est bien connu que le plus efficace est de prescrire un somnifère ou un tranquillisant aux parents. Ceux-ci, rassérénés, ne communiqueront plus leur angoisse à l’enfant qui pourra -enfin – dormir et les laisser dormir.
Les adultes bien portants n’échappent pas plus à l’emprise du placebo. Dès 1961, Pierre Pichot a étudié les effets du placebo chez des sujets sains, ne présentant donc, par définition, aucun symptôme. Un comprimé parfaitement inerte de lactose fut administré à des étudiants en médecine, sans aucun commentaire sur ses éventuels effets. Le lendemain, par l’intermédiaire d’un questionnaire, il leur fut demandé ce qu’ils avaient ressenti. Trois catégories de symptômes furent explorées : physiques, intellectuels et thymiques (humeur). Dans chacune de ces trois catégories, 15 à 25 % des sujets avaient bien noté un changement, la moitié dans le sens d’une amélioration, l’autre moitié d’une aggravation. Monsieur de La Palisse aurait conclu à tort que si ces sujets étaient bien portants, c’était donc qu’ils n’étaient pas malades, ni physiquement ni mentalement. C’est en fait le Docteur Knock qui avait raison : « Tout homme bien portant est un malade qui s’ignore. » Dans ces conditions particulières, un produit inerte peut arriver à provoquer un véritable tour de force : améliorer la santé de quelqu’un qui pourtant ne se plaignait de rien !
Toujours chez les sujets sains, une étude de Reed a mis en lumière l’importance de l’état d’esprit, en l’occurrence de l’amour-propre, dans le développement d’un effet placebo. Dans une première partie de l’expérience, deux sujets A et B étaient placés ensemble, dans une demi-obscurité où ils étaient supposés participer à « de mystérieuses expérimentations ». Monsieur A reçut cent gamma de LSD (drogue hallucinogène) per os, alors que Monsieur B reçut un placebo. Aucun des deux ne connaissait la nature de ce qu’il avait absorbé. Au cours des heures qui suivirent, les deux sujets présentèrent des signes de la lignée psychotique tout à fait caractéristiques de la drogue. On expliqua alors aux deux mêmes sujets ce qu’était une réaction psychotique sous placebo. Dans un deuxième temps, les rôles furent inversés, toujours sans que les patients soient avertis : Monsieur A reçut cette fois du placebo et Monsieur B cent gamma de LSD. Aucun des deux ne présenta le moindre signe psychotique. Ne pas perdre la face devant l’autre, en faisant le clown sous placebo se révéla une motivation suffisante pour annihiler totalement l’effet d’une drogue aussi puissante que le LSD!