L'alphabet des Oméga 3
Une consommation insuffisante d’Oméga 3 a été associée à une telle quantité de troubles psychiques que c’en est stupéfiant : la dépression bien sûr, mais aussi les troubles d’apprentissage et de la mémoire, le déficit d’attention, l’instabilité émotionnelle, l’irritabilité, l’agressivité… On peut même se demander quel rôle majeur il joue dans le cerveau pour agir sur un si large spectre de nos capacités mentales et émotionnelles.
Si la réponse est évidemment plurielle, il est essentiel de souligner les effets de la modification de la composition des membranes des cellules cérébrales sur les fonctions du cerveau. Cela peut paraître très technique, c’est juste fondamental.
Chaque cellule de notre cerveau est recouverte d’une fine membrane qui empêche les substances indésirables d’y entrer, tout en participant aux fonctions de communication des cellules. Cette membrane est composée de deux rangées de phospholipides – des molécules de gras – et sa souplesse dépend bien évidemment du type de lipides qu’on y trouve : plus leur consistance est fluide et plus les membranes cellulaires sont efficaces pour effectuer leur fonction de communication au sein du cerveau, en particulier au niveau des synapses des cellules cérébrales, ces points de passage Des millions de messages passent ainsi par les synapses d’une cellule à chaque heure. Nous l’avons vu, une cellule nerveuse libère un messager chimique appelé neurotransmetteur dans le vide synaptique où il trouve le chemin des récepteurs d’une autre cellule nerveuse, au sein desquels il va s’emboîter (comme une clé dans une serrure). Si le neurotransmetteur, pour une raison ou pour une autre, ne peut pas parfaitement s’emboîter dans son récepteur associé, la communication est stoppée. Si au contraire, l’opération se déroule normalement, il active la cellule jusqu’à ce qu’elle libère à son tour d’autres neurotrans* metteurs qui iront chercher des milliers d’autres récepteurs, et ainsi de suite… Telle une réaction en chaîne impliquant des milliards de cellules cérébrales pour, en fin de compte, générer nos pensées, nos émotions, nos actions…
Chaque neurotransmetteur, comme la sérotonine ou l’acétylcholine, possède une forme propre – laquelle sous- tend un message spécifique – qui doit s’emboîter parfaitement dans le récepteur situé dans la membrane cellulaire d’en face. Or, pour arriver à cet emboîtement parfait nécessaire au déclenchement d’une transmission claire, le récepteur peut être amené à changer légèrement de forme (c’est comme si la serrure se modifiait légèrement pour s’adapter parfaitement à la clé). Si la membrane est riche de lipides suffisamment fluides, comme les huiles de poisson, elle est malléable et souple, et change aisément de configuration. Mais si elle contient trop de graisses plus rigides, comme les graisses animales, la membrane ne parvient pas à se déformer et le neurotransmetteur a du mal à s’emboîter. Soit le message ne passe pas du tout et la communication est interrompue, soit il parvient malgré tout à passer mais de manière atténuée ou brouillée. On peut donc conclure que la facilité de transmission d’un message dans le cerveau dépend de la fluidité de microscopiques molécules de gras dans les membranes des cellules cérébrales. Elles sont en quelque sorte l’huile qui va assouplir les rouages du cerveau. Sans ce lubrifiant, notre mécanique interne risque de se gripper…
Et la différence est impressionnante : selon le Dr Hib- beln, chercheur en psychiatrie aux NIH (National Institues of Health) du Maryland, nous pourrions multiplier par 1 000 l’efficacité de la transmission de nos messages intracérébraux en modifiant simplement la composition donc la consistance de nos membranes lipidiques. Un minuscule changement à l’échelle atomique de nos cellules cérébrales peut donc avoir des conséquences importantes sur notre comportement dans sa globalité ! D’où la nécessité de ne pas les négliger.
Ce n’est pas tout: lorsqu’on manque d’Oméga3, les cellules nerveuses deviennent le siège d’une inflammation chronique qui provoque la destruction de certains messagers chimiques, ceux de la bonne humeur en particulier (que ce soit la sérotonine, la dopamine et/ou la noradré- naline). Concrètement, le cerveau produit en excès des cytokines, qui sont des composés inflammatoires. D’où viennent-elles ? En général, elles grimpent lorsque nous sommes stressés, en cas d’infection, de traumatisme, d’allergies, après un accouchement, lorsque nous sommes exposé(e)s à des polluants, en cas de cancer et de maladie cardiovasculaire. Mais leur niveau est surtout modulé par les graisses polyinsaturées (végétales) de l’alimentation. Les acides gras Oméga 6 en excès les font monter, les acides gras Oméga 3 les font baisser.
Ces cytokines ont des effets variés sur le système nerveux au niveau du cerveau. Ce que l’on peut constater dans tous les cas, c’est que plus leur niveau est élevé, plus la dépression est grave. L’efficacité des Oméga 3 sur les troubles de l’humeur pourrait aussi venir de leur action à ce niveau-là.
Petit à petit, les chercheurs se sont rendu compte qu’il existait de multiples conséquences pour le cerveau
consécutives à une telle carence en Oméga 3 et à cet excès d’Oméga 6 pro-inflammatoires : les neurones sont plus petits, donc moins à même d’assurer leur travail avec efficacité ; la circulation du sang dans le cerveau est altérée du fait de la fragilisation des vaisseaux sanguins, l’apport en oxygène est donc moins bien assuré. Sans parler des conséquences plus spécifiques et plus techniques dans lesquelles nous n’entrerons pas mais qui soulignent toutes chaque fois que l’activité du cerveau en est globalement perturbée.
En apprenant cela, on a tous envie d’offrir à son cerveau un carburant digne d’une formule 1 ! Il ne s’agit pourtant pas de faire n’importe quoi. Car – excusez- moi, mais je n’y suis pour rien… – il y a Oméga3 et Oméga 3 ! En fait, la famille des Oméga 3 comporte trois membres : le DHA (l’acide docosahexanoïque), l’EPA (l’acide eicosapentaénoïque), et l’ALA (l’acide alpha-lino- lénique). Ne retenez pas leurs noms, ils sont dorénavant tous connus sous leurs abréviations…
- Le DHA a longtemps été considéré comme le roi des acides gras pour le cerveau, il constitue en effet une bonne moitié des molécules qui se cachent dans les membranes des cellules cérébrales. Unique par sa fluidité, on le trouve là où il est le plus utile, c’est-à-dire dans le cortex cérébral (le centre de la pensée), au niveau des photorécepteurs de la rétine de l’œil et dans la mitochondrie des neurones (leur centrale énergétique). D’ailleurs, pour fonctionner, le cerveau va accaparer la quasi-totalité du DHA que vous consommez. Si l’on connaît son rôle pour le développement cérébral, l’on sait moins à quel point le DHA est susceptible d’atténuer l’agressivité et le stress, et d’améliorer la concentration et l’apprentissage. Et ce, même chez les personnes qui ont une alimentation correcte et un cerveau bien nourri semblant fonctionner normalement… Il jouerait également un rôle important dans la protection du cœur.
- L’EPA a d’abord intéressé les chercheurs pour son rôle dans la régulation des facteurs sanguins et dans les préventions des maladies cardiaques. On sait aujourd’hui qu’il est tout aussi essentiel pour nos neurones. Bien que les cellules cérébrales en contiennent nettement moins que chez son illustre prédécesseur, une carence peut entraîner l’apparition de troubles mentaux. Anti-inflammatoire et antiallergique, il remporte maintenant la palme d’or lorsqu’il s’agit de traiter les différents troubles de l’humeur, qu’il s’agisse de la dépression ou de l’anxiété. A raison de 1 g/jour, il est également efficace pour améliorer le sommeil et la libido. Notons que l’organisme est capable si nécessaire de transformer l’EPA en DHA.
- L’ALA, ou acide alpha-linolénique, se trouve ‘dans l’huile de noix, de colza, de cameline ou encore de lin, et dans certaines algues… L’organisme est en principe capable de convertir l’ALA en EPA et DHA. Malheureusement, cette conversion est souvent mauvaise et, en tout cas, tellement variable d’un individu à l’autre qu’il est impératif de consommer des aliments riches en EPA et DHA, donc du poisson et des fruits de mer, pour être sûr de ne pas être carencé et combler nos besoins cérébraux.
Alors maintenant, qu est-ce que je mange (ou pas) ?
- 2 cuillerées à soupe d’huile de colza dans une salade constituent un premier apport intéressant mais non suffisant (à condition de supprimer parallèlement l’huile de tournesol). Vous pouvez alterner avec les huiles végétales de noix et/ou de caméline. Il existe en magasin biologique des mélanges d’huiles choisies pour leur richesse en Oméga 3. Particulièrement goûteux, ils se conservent en bouteille de
verre opaque ou en bidon métallique, mais jamais en plastique, au frigo. Ne les faites jamais cuire. Vous pouvez également faire votre propre mélange en associant huile de colza et huile d’olive, c’est délicieux et parfaitement équilibré. Vous pouvez les remplacer par 6 ou 7 noix.
- Pour compléter cet apport, mangez une portion de poisson gras deux à trois fois par semaine, du type sardines, maquereaux, harengs ou de temps en temps du saumon. Mais attention, rappelle le Pr Bourre, il existe de grandes disparités entre les espèces sauvages, jusqu’à quarante fois plus riches en Oméga 3, et celles d’élevage (pourquoi ? C’est très simple, car si, en lieu et place des algues qu’ils trouvent dans leur environnement naturel, on donne à manger aux poissons du maïs et du soja bourrés d’Oméga 6, ils ne risquent plus de contenir d’Oméga3…). Notez que les chercheurs ont calculé que, s’il fallait rétablir l’équilibre entre Oméga 6 et Oméga 3 dans la population mondiale à l’aide du poisson, l’ensemble des stocks de nos océans serait épuisé en moins d’un mois. Déjà que les réserves mondiales sont au plus bas… Toute la solution ne peut donc pas se trouver là.
- Les fruits de mer, les crustacés, mais aussi la seiche, le poulpe et les escargots contiennent des Oméga 3 en quantité.
- Les plus gros poissons, en bout de chaîne alimentaire, comme le thon, l’espadon ou le requin, devraient être plus rarement consommés (et même jamais chez la femme enceinte et l’enfant), car ils concentrent les pollutions marines comme le mercure (très dangereux pour le cerveau) ou la dioxine (cancérigène).
- Le mode de préparation du poisson doit limiter les hautes températures (que les Oméga 3 ne supportent pas). Achetez du poisson de qualité pour le manger cru, mariné, cuit à la vapeur ou au court-bouillon feu éteint (on plonge le poisson dans l’eau chaude après avoir coupé le feu).
- Le fumage des poissons entraîne à la fois une perte des Oméga 3 et une imprégnation par des substances toxiques. Réservez donc le poisson fumé pour les grandes occasions.
- Les œufs de poule devraient être naturellement riches en Oméga 3, à condition que les volatiles aient été bien nourris (mieux vaut donc les choisir bio et éviter les œufs de batteries).
- Enfin, il existe aujourd’hui des produits enrichis en Oméga 3 comme les œufs, ou certaines viandes, grâce à la présence de ces acides gras dans l’alimentation de base des animaux (Association de producteurs Bleu-Blanc- Cœur ou le concept Columbus-Belovo). Rappelons- nous quand même que, pendant des siècles, les animaux broutaient l’herbe bien verte (et surtout très riche en Oméga 3) de nos prairies avant que l’industrie agroalimentaire ne leur donne à manger du soja à gogo, celui- ci étant bourré d’Oméga 6, que l’on retrouvera évidemment dans nos assiettes. La solution se trouve d’ailleurs probablement du côté de l’évolution des méthodes d’élevage, comme l’explique Pierre Weil dans son livre absolument décoiffant Tous gros demain ?
- Et les graines de lin ? Ne rêvez pas, il semble que, consommées entières, leur biodisponibilité en Oméga 3 soit quasi nulle (même si tout le monde n’est pas d’accord là-dessus) : vous pouvez au choix la broyer, la faire tremper, ou la faire cuire pour bénéficier de ses nutriments. Quant à l’huile de lin, encore interdite en France (même si son autorisation est imminente), on la trouve sous forme de compléments alimentaires. Attention quand même car elle s’oxyde très facilement (ceci expliquant cela).
- Un apport plus important d’Oméga 3 dans l’alimentation doit systématiquement être associé à un apport
Oméga 3, vous pourrez en réduire un peu les apports. Comme le conseille le Dr Jean-Paul Curtay, nutrithéra- peute, ce sera aussi le cas si vous vous trouvez dans des situations où il existe un risque important de saignement (troisième trimestre de grossesse, avant une opération ou en cas de pathologie hémorragique).