La vitamine C
Sans vitamine C, nous contracterions le scorbut, à l’instar de nombreuses personnes par le passé. Avec une bonne alimentation, nous pouvons avoir toute la vitamine C néces¬saire pour être en bonne santé. Certains pensent même que de très fortes doses de vitamine C permettent d’éviter le cancer. Ce fut la théorie d’une personne deux fois lauréate du prix Nobel, mais elle avait probablement tort.
Les maladies par carence alimentaire sont rares car une alimentation rationnelle apporte à notre corps tout ce dont il a besoin. Même si vous mangez n’importe quoi, vous ne serez pas atteint par ce genre de maladie. Par définition, une maladie par carence est le manque d’un nutriment mineur mais essentiel que l’on trouve généralement dans peu d’aliments.
L’iode est un bon exemple : une carence en iode provoque un goitre qui se caractérise par un cou enflé. Il est répandu dans certaines régions où la teneur en iode des sols est faible ; cette maladie a été plus ou moins éradiquée en ajoutant de petites quantités d’iodure de potassium au chlorure de sodium. Le rachitisme est une maladie de l’enfance provoquée par une insuffisance en vitamine D et en calcium qui entraîne la déformation des jambes qualifiées d’arquées.
Une carence en vitamine B1 engendre le béribéri, maladie qui se développait par temps de famine et qui provoque une inflammation des nerfs. La maladie par carence la plus connue est le scorbut qui est provoqué par une carence en vitamine C. Fort heureusement, elle reste rare aujourd’hui mais elle a touché les générations précédentes.
Pour une performance optimale, notre corps a besoin de 2000 mg de vitamine C et nous pouvons en absorber jusqu’à 500 mg par jour bien que nous n’en ayons peut-être pas besoin, l’excédent étant éliminé par les reins. Théoriquement, la dose journalière de 10 mg permet uniquement de prévenir le scorbut, mais nous avons toutes les raisons de croire aujourd’hui qu’une dose dix fois plus importante apportera beaucoup de bien-être sur le long terme. Certaines personnes prennent des doses cent fois plus importantes croyant que cela prévient le vieillissement, les cardiopathies et même le cancer.
La vitamine C est nécessaire pour la production d’hormones et elle se trouve en plus fortes concentrations dans les glandes surrénales et l’hypophyse. Elle protège contre l’oxydation car chaque cellule de notre corps doit lutter contre des milliers de radicaux libres oxydants et destructeurs. La plupart de ces radicaux sont des sous- produits de processus naturels, mais ils sont neutralisés par la vitamine C. Celle-ci est impliquée dans le processus d’absorption du fer dans l’organisme et dans notre capacité à supporter le froid. Elle joue un rôle essentiel dans le métabolisme des acides aminés tels que
le tryptophane, la phénylalanine et la tyrosine, et dans la synthèse des polysaccharides et du collagène. La vitamine C est nécessaire pour la fabrication du cartilage, de la dentine, des os et des dents. Elle protège également l’organisme lorsqu’il est en état de stress ou exposé à un rayonnement ionisant. Une blessure grave augmente l’utilisation de vitamine C dans l’organisme car cette dernière joue un rôle dans la croissance des nouveaux tissus ; elle est donc indispensable pour la cicatrisation de plaies et la formation des os. En résumé, la vitamine C est vraiment remarquable et en manquer est un vrai désastre.
Presque tous les animaux fabriquent leur propre vitamine C à l’exception des poissons, des chauves-souris, des scarabées, des cochons d’Inde et… des hommes. Il y a vingt-cinq millions d’années, nos ancêtres primates ont perdu un gène permettant de produire l’enzyme L-gulonolactone oxydase sans laquelle nous ne pouvons pas fabriquer de vitamine C.
Cela canalisa tous ceux qui suivirent cette branche de l’évolution à un régime essentiellement végétarien pour avoir leur dose quotidienne de vitamine C. Cela concernait aussi l’Homme bien que, nous le verrons plus loin, il soit possible d’obtenir la dose suffisante de vitamine C à partir de viande fraîche.
Peu d’aliments contiennent de la vitamine C, et lorsqu’elle existe, elle est souvent détruite par la cuisson, car elle est très sensible à la chaleur, ou par une longue période de conservation, car elle est aussi sensible à l’oxygène. Un quart de la vitamine C d’un chou est détruit après une ébullition de dix minutes et la majeure partie de la vitamine C restante se retrouve dans l’eau.
L’apport journalier recommandé (AJR) ou l’apport nutritionnel de référence (ANR)1 en vitamine C est de 40 mg au Royaume-Uni, 60 mg en France et aux Etats-Unis, 90 mg en Russie, mais cela peut correspondre à un apport minimal.
En effet, dans certaines situations, notre besoin en vitamine C peut être plus important : en période de grossesse ou d’allaitement, en cas de blessure ou de maladie, ou encore pendant la vieillesse. En 1989, Balz Frei, de l’Université de Californie à Berkeley, a indiqué que lorsqu’il n’y a plus de vitamine C dans le sang, les dégâts de l’oxydation touchent les graisses et les protéines et il suggère donc une dose journalière minimale de 150 mg. Les travaux ultérieurs de Bruce Ames, également de Berkeley, indiquent que cette dose est peut-être même trop faible.
Ames croyait que la vitamine C a un rôle particulier à jouer dans la protection du spermatozoïde en raison de sa forte concentration dans le liquide séminal et il a montré que plus la concentration en vitamine C était importante, plus on limitait les dommages de l’oxydation de l’ADN du spermatozoïde. Il en a conclu que, pour les hommes, la dose journalière nécessaire est de 250 mg au minimum, s’ils veulent protéger parfaitement leur sperme. (La fertilité masculine est abordée plus longuement au chapitre 3.)
En ce qui nous concerne, le problème est que les aliments les plus courants et les plus savoureux ne contiennent pas du tout de vitamine C : c’est le cas du beurre, du fromage, des œufs, de la marga¬rine, de la viande, du poisson, du poulet, du pain, des biscuits, du chocolat, des céréales, des pâtes, du riz, des noix et des haricots. Les fruits et légumes en contiennent une certaine quantité mais peu d’entre eux sont riches en vitamine C. Une simple pomme de terre est une bonne source de vitamine C et c’est essentiellement grâce à elle qu’au XIXe siècle, on a pu éradiquer le scorbut. Nous devons connaître les aliments riches en vitamine C et en consommer chaque jour.
D’autres aliments qui, pour une part de 100 g, contiennent au moins 50 mg de vitamine C sont les poivrons rouges et verts, le chou et les épinards ; les haricots, n’appartiennent pas à cette catégorie, mais ils sont consommés en si grande quantité qu’ils constituent une source importante de vitamine C. Tous les fruits contiennent de la vitamine C et la mangue et le melon Honeydew en sont particulièrement riches. Le lait maternel contient 50-70 mg de vitamine C par litre et un bébé nourri au lait maternel n’est pratiquement jamais en danger car il boit
en moyenne 750 ml de lait par jour qui lui en apportent environ 50 mg. Par ailleurs, le lait frais de vache contient environ 10 mg de vitamine C par litre ; cette teneur varie en fonction de la période de l’année et elle est bien plus faible au début du printemps.
Si l’on suit le conseil des diététiciens qui incitent à consommer cinq fruits et légumes par jour, il est inutile de prendre de la vitamine C sous forme de complément diététique. Elle est maintenant incorporée dans de nombreux aliments et boissons et particulièrement dans les aliments traités qui, de ce fait, pourraient bien avoir perdu le peu de vitamine naturelle présente. Malgré toutes ces sources disponibles, si vous mangez souvent dans les « fast food », il vous est conseillé de prendre une dose journalière, pouvant atteindre 1 000 mg, de vitamine C en comprimé.
Ajoutée à la farine, la vitamine C est un agent améliorant qui rend la pâte plus élastique et le pain plus gros mais elle est détruite par la cuisson. Elle est aussi utilisée en pisciculture pour prévenir des malformations de l’arête centrale dont l’origine est une carence en vitamine C. On l’ajoute aux tranches de fruits et légumes pour les empêcher de brunir et à certains aliments pour les conserver car la vitamine C a des propriétés anti-oxydantes. En Europe, lorsqu’elle est utilisée comme additif alimentaire, elle a même son propre code : E300.
Les plantes, tout comme la plupart des animaux, produisent la vitamine C pour la même raison : se protéger contre les méfaits des oxydants, plus précisément de l’ozone de l’air et aussi des radicaux libres qui sont les sous-produits de la photosynthèse. Pour les plantes, elle représente la meilleure arme pour lutter contre les stress de l’environnement tels que la sécheresse, le froid ou la pollution atmosphérique. Elles utilisent la vitamine C dans leur propre processus de croissance et les arbres à feuilles persistantes, tels que les pins avec leurs aiguilles, en ont particulièrement besoin pour leur protection.
Jusqu’à récemment, les scientifiques ne comprenaient pas comment les plantes fabriquaient la vitamine C. Ce problème n’a été résolu qu’en 1998 par Nicholas Smirnoff et ses collaborateurs du Département of Biological Science (Département des Sciences Biologiques) de l’Université d’Exeter, en Angleterre. Ils ont produit cette vitamine à partir du glucose, via un autre sucre, le galactose, et ils ont montré qu’en nourrissant directement les feuilles avec ce dernier produit, elles pouvaient très rapidement produire de la vitamine C. Le groupe d’Exeter a même été capable d’isoler l’enzyme responsable de cette transformation, la L-galactose-déshydrogénase.
Les ravages du scorbut Si le scorbut n’est plus un souci pour nous, il a cependant été une menace omniprésente pour les générations précédentes, en particulier chez les personnes qui avaient un accès limité aux fruits et aux légumes, comme les marins au long cours et les citadins. Toutes les personnes vivant dans les régions du Nord y étaient effectivement exposées à la fin de l’hiver lorsque les aliments frais venaient à manquer.
Il ne fait aucun doute que le scorbut existait dans l’Antiquité, mais on a vu apparaître de nombreux cas de cette maladie uniquement lorsque les marins européens commencèrent à effectuer de longs voyages. Lorsque le navigateur portugais Vasco de Gama (1460-1524) atteint le premier le cap de Bonne Espérance, en 1497, 100 de ses marins sur un contingent de 160 périrent de scorbut. De même, Ferdinand Magellan (1480-1521) qui a contourné l’Amérique du Sud en 1520 a subi de lourdes pertes en marins.
Le Français Jacques Cartier (1491-1557) qui projeta, en 1535, d’explorer les régions du nord-ouest de Terre Neuve, a dû faire face à une épidémie de scorbut, mais par chance, les secours étaient à portée de main. Les autochtones lui apprirent que le remède était une décoction de feuilles, ce qui fut fait. En une semaine, l’épidémie fut enrayée et ses hommes étaient en voie de guérison. On ne peut savoir maintenant ce qu’étaient ces feuilles (il a fait référence à un arbre que les autochtones appelaient hannedd), mais une décoction d’aiguilles de jeune pin est une boisson riche en vitamine C, et c’est probablement ce qu’ils ont utilisé.
Vers la fin du seizième siècle, le scorbut fut reconnu comme maladie et on proposa pour son traitement divers remèdes à base de plantes. John Gérard (1545-1612), dans son ouvrage Herball (Dictionnaire des Plantes) publié en 1597, proposa du cresson de terre et de la barbarée précoce (une plante de la famille des crucifères qui pousse au bord de la mer). En février 1600, James Lancaster, commandant d’une flotte et responsable d’une expédition vers les Indes orientales, avait embarqué avec lui des oranges et des citrons : il n’eut aucun cas de scorbut sur son bateau alors que, sur les autres bateaux, ils se déclaraient en nombre. En fait, il avait exigé de ses marins qu’ils prennent trois cuillerées de jus chaque matin.
La compagnie des Indes Orientales devint une entreprise partisane des agrumes et le médecin de la compagnie John Woodall (1556-1643) vanta leurs vertus dans son ouvrage Surgeons mate (Le compagnon du médecin), publié en 1612. Le traitement était efficace, mais son bienfait était attribué à l’acidité de la boisson plutôt qu’à sa provenance. Les boissons fruitées se conservant difficilement dans les climats chauds, ils les remplaçaient par d’autres boissons acides telles que du vinaigre ou quelques gouttes d’acide sulfurique dans de l’eau.
Cet espoir de guérison mal placé en l’acide sulfurique a duré une centaine d’années. À un stade avancé de la maladie, une personne atteinte de scorbut a les membres enflés, particulièrement les jambes et les pieds, souvent foncés et décolorés comme s’ils étaient sévèrement contusionnés : cela est provoqué par des hémorragies sous-cutanées. La personne a une haleine fétide due à des gencives ulcérées et sanguinolentes, et elle perd généralement ses dents. Les prisonniers retenus sur les vieux rafiots et ceux transportés vers les colonies étaient souvent sujets au scorbut et leur état s’aggravait en raison des châtiments sévères qui leur étaient infligés.
Certains médecins ont formulé un conseil qui mettrait finalement un terme à cette menace que constituait le scorbut : en 1734, le docteur Johannes Bachstrom de Leyden, en Hollande, conseilla aux responsables du ravitaillement d’approvisionner les bateaux en légumes pour prévenir l’apparition du scorbut en mer. Malheureusement, ce conseil ne fut pas suivi alors qu’il aurait pu sauver bien des vies. Par ailleurs, un certain docteur Mead conseilla tout simplement aux patients de respirer la vapeur d’un sol froid, avis qui ne fut pas non plus suivi, et quand bien même il l’eût été, il n’aurait sauvé aucune vie.
James Lind (1716-1794) publia en 1753 l’ouvrage devenu classique A Treatise ofScurvy ( Un traité sur le Scorbut) et distingua trois types de scorbut. Le premier, et le plus grave, « se propage avec une grande virulence… comme une épidémie ou une catastrophe mondiale », tel que le subirent les marins durant leurs voyages au long cours, les populations des villes assiégées ou même toute la population pendant la grande épidémie en Hollande en 1562. Le second type était moins grave et endémique, autrement dit, on enregistrait toujours quelques cas et la population n’était jamais totalement débarrassée de la maladie. Lind pensait que les peuples vivant dans le grand Nord, en Islande, au
Groenland, en Scandinavie et au Nord de la Russie étaient les plus vulnérables. Dans le troisième type, le moins grave, une personne pouvait contracter occasionnellement la maladie, comme on pouvait le constater dans des régions telles que la Grande-Bretagne et particulièrement à Londres.
Lind était un grand partisan de la prévention de la maladie par la consommation d’agrumes, et il a fondé son affirmation sur une expérience effectuée sur douze patients atteints de scorbut sur le bateau Salsbury. En mai 1747, il constitua six groupes et prescrivit à chaque paire un remède différent : cidre, acide sulfurique, vinaigre, eau de mer, préparation médicinale ou agrume. (La préparation pharmaceutique était constituée d’ail, de graines de moutarde, de raifort et de myrrhe.) Le traitement à base d’agrumes, deux oranges et un citron par jour, a permis aux deux hommes de guérir en une semaine, alors que l’état de santé des autres personnes ne s’améliorait pas. Hélas, les conclusions de Lind ne furent pas appliquées immédiatement et durant la guerre de Sept Ans (1756-1763) entre l’Angleterre et la France, la Royal Navy a perdu plus de 100 000 marins malades du scorbut. En 1781, 1 600 marins d’une flotte anglaise de 12 000 hommes périrent de cette maladie.
Cependant, certains capitaines commencèrent à prendre en considération les résultats de Lind. Ainsi, le capitaine de marine anglais James Cook (1728-1779) prit du chou pour son voyage de trois ans autour du monde (1772-1775) et n’a enregistré aucune perte humaine due à cette maladie. Alors que ce légume en conserve aurait suffi à assurer une certaine protection, sa politique était de prendre à bord de grandes quantités de fruits et légumes frais chaque fois que cela était possible pour se préserver au mieux de la maladie.