La respiration: les échanges gazeux respiratoires
La caractérisation des échanges gazeux respiratoires:
Si, dès Aristote (384-322 av. J.-C.), on a su que la ventilation pulmonaire était primordiale au maintien de la vie, son rôle précis est, lui, demeuré ensuite incompris pendant plus de quinze siècles. Les mouvements pulmonaires furent d’abord considérés comme intrinsèquement vitaux puis, en 1667, Robert Hooke, physicien et naturaliste anglais (1635-1703), précisa que seul le renouvellement de l’air à l’intérieur des poumons était indispensable à la vie. Nombre de médecins et de chimistes des XVIIe et XVIIIe siècles s’attachèrent alors à rechercher 1’« esprit vital » que cet air était censé porter. Parmi eux, l’irlandais Robert Boyle (1627-1691) et l’Anglais John Mayow (1640-1679) se montrèrent
certainement les plus inventifs dans les dispositifs expérimentaux qu’ils conçurent.
L’expérience de Boyle (1660):
En 1660, Robert Boyle met au point une machine (figure 1) qui comprend un réservoir en verre et une pompe actionnée par une manivelle permettant d’en extraire l’air. A l’aide de cette ingénieuse invention, il réalise l’expérience suivante :
«La nature ayant, comme nous l’apprennent les zoologistes, fourni aux canards et aux autres gibiers d’eau une structure particulière de quelques vaisseaux et du cœur, pour leur permettre, quand ils ont l’occasion de plonger, de rester un grand moment sous l’eau sans préjudice; j’ai pensé […] que de tels oiseaux étaient plus à même que d’autres animaux de supporter l’absence d’air […].
Nous mîmes un canard mature […] dans le réservoir […] puis nous pompâmes l’air […]; déjà, en l’espace d’une minute, il apparut défait, et entre la première et la deuxième minute, sa lutte et ses mouvements convulsifs s’accrurent tant, sa tête pendant mollement, qu’il sembla juste sur le point de mourir. […] Nous le sauvâmes en faisant arriver l’air sur lui. »
Boyle reprend la même expérience, avec cette fois une chandelle allumée en lieu et place du canard. Après un court instant, cette dernière s’éteint. Il démontre ainsi que l’air joue un rôle essentiel à la fois pour la respiration des organismes vivants et pour la combustion.
L’expérience de Mayow (1674):
Huit ans après l’expérience de Boyle, John Mayow publie un traité sur la respiration Tractatus duo Quorom pnor agit de Respi- ratione – qui relate de nombreuses expérimentations sur les altérations de l’air par la respiration et par la combustion. Poursuivant ses recherches au Wadham College d’Oxford (Angleterre), il émet, dans son ouvrage Tractatus Quinque Medico-physici (1674), l’hypothèse qu’un «esprit nitro- aérien» est présent dans l’air et est indispensable à la respiration. Ce postulat repose sur plusieurs résultats expérimentaux.
Une souris est introduite dans une cloche de verre retournée sur une membrane humide fermant hermétiquement un bocal contenant de l’eau. Au bout d’un certain temps, la membrane humide s’incurve dans la cloche de verre prouvant ainsi la consommation de gaz dans cette enceinte. L’expérience est reproduite en remplaçant la souris par une bougie allumée : le même résultat est obtenu. John Mayow précise :
« En mesurant le volume de l’air qui restait, je me suis assuré qu’il avait diminué d’un quatorzième. Il résulte de là que l’air perd, par la respiration des animaux connue par la combustion, de sa force élastique ; et il faut croire que les animaux, tout comme le feu, enlèvent à l’air des particules du même genre.
[…] Dans le but de mieux comprendre cette matière, je fis une nouvelle expérience avec le même effet – une expérience à partir de laquelle il sera aisé de percevoir dans quelle proportion l’air est diminué relativement à son volume, quand il est privé de particules vitales par la respiration de l’animal. Ainsi, plaçons un petit animal sur un support approprié à l’intérieur d’un verre renversé, ou mieux, plaçons l’animal dans une cage appropriée et suspendue dans une cloche de verre retournée dans un récipient. Puis faire en sorte que le verre inversé trempe dans l’eau de telle manière que l’eau enfermée dans la cloche soit maintenue au même niveau que l’eau à l’extérieur, et ceci peut-être réalisé fait par le moyen du siphon de caoutchouc.
[…] et ainsi vous verrez bientôt l’eau monter sensiblement dans la cloche de verre, bien que la chaleur produite par la présence de l’animal et le souffle de celui-ci aurait dû provoquer un effet inverse. »
John Mayow conclut qu’un «esprit nitro-aérien» a été consommé lors de la respiration ou de la combustion. Notons toutefois que les résultats apparemment très démonstratifs de ces expériences reposent en fait sur la grande différence de solubilité des gaz respiratoires dans l’eau. En effet, le dioxyde de carbone étant 30 fois plus soluble dans l’eau que le dioxygène, il passe plus rapidement en solution ce qui provoque une diminution de pression sous la cloche de verre où l’animal est enfermé.
L’expérience de Lavoisier (1777):
La caractérisation de la nature chimique des gaz respiratoires attend la seconde moitié du XVIIIe siècle, avec les travaux du chimiste français Antoine-Laurent Lavoisier (1743-1794). Ils s’appuient sur une découverte du chimiste et physicien anglais Joseph Black (1728-1799) qui, en 1754, décrit la capacité des résidus calcinés de carbonate de calcium ou de magnésium, en solution dans l’eau, à fixer le dioxyde de carbone. Autrement dit, il met en évidence la précipitation de l’eau de chaux par le dioxyde de carbone . Lavoisier utilise cette propriété pour réaliser des tests chimiques à l’aide d’un dispositif expérimental de sa conception :
«J’ai mis un moineau franc sous une cloche de verre remplie d’air commun et plongée dans une jatte pleine de mercure; la partie vide de la cloche était de 31 pouces cubiques : l’animal n’a paru nullement affecté pendant les premiers instants, il était seulement un peu assoupi; au bout d’un quart d’heure, il a commencé à s’agiter, sa respiration est devenue pénible et précipitée, et, à compter de cet instant, les accidents ont été en augmentant ; enfin, au bout de 55 minutes, il est mort avec des espèces de mouvements convulsifs. Cet air, qui avait été ainsi respiré par un animal, était devenu fort différent de l’air de l’atmosphère; il précipitait l’eau de chaux; il éteignait les lumières […]; un nouvel oiseau que j’y ai introduit n’y a vécu que quelques instants […]. En effet, d’après ce qu’on vient de voir, ou peut conclure qu’il arrive de deux choses l’une par l’effet de la respiration: ou la portion d’air éminemment respirable [Lavoisier fait allusion au dioxygène] contenue dans l’air de l’atmosphère est convertie en acide crayeux aériforme [c’est du gaz carbonique qu’il s’agit] en passant par le poumon ; ou bien il se fait un échange dans ce viscère : d’une part, l’air éminemment respirable est absorbé, et, de l’autre, le poumon restitue à la place une portion d’acide crayeux aériforme presque égale en volume. »
Dans la mesure où l’air respiré «éteignait les lumières», Lavoisier montre que les animaux prélèvent, lors de la respiration, de «l’air éminemment respirable», c’est-à-dire de l’oxygène, un gaz nécessaire à la combustion isolé seulement trois années plus tôt, en 1774, par le chimiste anglais Joseph Priestley (1733-1804), par chauffage de l’acide mercurique. Lavoisier prouve aussi l’existence d’un rejet de dioxyde de carbone lors de la respiration.
En 1780, avec le mathématicien et physicien français Pierre-Simon Laplace (1749-1827), Lavoisier publie le Mémoire sur la chaleur. Dans ce dernier, les deux savants parviennent, après des mesures réalisées dans un calorimètre de leur invention, à la conclusion que la respiration est une forme de combustion. Ils identifient cependant à tort le poumon comme lieu de cette combustion, tranchant ainsi en faveur de la première hypothèse exposée dans la citation précédente :
« La respiration est donc une combustion, à la vérité fort lente, mais d’ailleurs parfaitement semblable à celle du charbon; elle se fait dans l’intérieur des poumons, sans dégager de lumière sensible, parce que la matière du feu, devenue libre, est aussitôt absorbée par l’humidité de ces organes : la chaleur développée dans cette combustion se communique au sang qui traverse les poumons, et de là se répand dans tout le système animal. Ainsi l’air que nous respirons sert à deux objets également nécessaires à notre conservation; il enlève au sang la base de l’air fixe dont la surabondance serait très nuisible ; et la chaleur que cette combinaison dépose dans les poumons répare la perte continuelle de chaleur que nous éprouvons de la part de l’atmosphère et des corps environnants. »
Lavoisier entreprend ensuite une étude quantitative de la respiration chez l’homme avec le chimiste Armand Seguin (1767-1835) – qui était également homme d’affaire et banquier – comme sujet d’expérience. Les deux savants mettent au point, en 1789, un respiromètre qui leur permet de quantifier les échanges gazeux au repos comme à l’exercice:
«Quelque pénibles, quelque désagréables, quelque dangereuses même que fussent les expériences auxquelles il allait se livrer, M. Seguin a désiré qu’elles se fissent toutes sur lui-même. Nous les avons répétées un grand nombre de fois, et la précision des résultats a presque toujours été au-delà de nos espérances. […] Nous en donnerons la description détaillée dans un autre mémoire. Il résulte des expériences auxquelles M. Seguin s’est soumis qu’un homme à jeun et dans un état de repos, et dans une température de 26 degrés de thermomètre à mercure, divisé en 80 parties, consomme par heure 1210 pouces d’air vital; que cette consommation augmente par le froid, et que le même homme, également à jeun et en repos, mais dans une température de 12 degrés seulement, consomme par heure 1344 pouces d’air vital.
[…] Le mouvement et l’exercice augmentent considérablement toutes ces proportions. M. Seguin étant à jeun et ayant élevé pendant un quart d’heure un poids de 15 livres à une hauteur de 613 pieds, sa consommation d’air pendant ce temps a été de 800 pouces, c’est-à-dire de 3200 pouces par heure. »
L’expérience de Regnault (1849):
Au XIXe siècle, les deux chimistes français Henri Victor Regnault (1810-1878) et Jules Reiset (1818-1896) s’intéressent de plus près à la proportion entre le gaz carbonique dégagé et l’oxygène absorbé lors des échanges respiratoires. Regnault et Reiset mettent au point un spiromètre dont l’atout principal est de permettre des mesures de longue durée (jusqu’à 4 jours consécutifs) grâce à un dispositif assurant le renouvellement de l’air dans l’environnement de l’animal (figure 5). Le spiromètre permet de quantifier les échanges respiratoires par l’estimation des masses de dioxygène consommé et de dioxyde de carbone rejeté.
Munis de leur spiromètre, les deux scientifiques étudient l’influence d’une large gamme de facteurs sur la respiration : l’espèce, l’âge, le métabolisme (des animaux endothermes, c’est-à-dire dont le métabolisme est suffisant pour permettre de maintenir constante leur température corporelle, aussi bien que des animaux ectothermes sont testés), l’état physiologique (ils comparent des marmottes hibernantes ou non, ainsi que des vers à soie à l’état de chenille ou de chrysalide) et l’état nutritionnel (leurs expériences sur les chiens ou les lapins portent sur des sujets soit nourris, soit à jeun).
Regnault et Reiset présentent les résultats de leurs travaux en 1849 dans un mémoire, Recherches chimiques sur la respiration des animaux des diverses classes, long de 223 pages, relatant 104 expériences différentes conduites sur de nombreuses espèces animales : 21 chiens, 24 lapins, 1 chat. 4 marmottes, 23 poules, 7 canards, 3 pigeons, 1 moineau, 3 verdiers, 1 bec-croisé. 27 grenouilles, 9 salamandres, 8 lézards, 77 hannetons, 146 vers à soie et… 112 grammes de vers de terre.
Regnault et Reiset concluent ainsi leur mémoire :
« Le rapport entre la quantité d’oxygène contenu dans l’acide carbonique et la quantité totale d’oxygène consommé, paraît dépendre beaucoup plus de la nature des aliments que de la classe à laquelle appartient l’animal. Ce rapport est le plus grand lorsque les animaux se nourrissent de grains […]. Quand ils se nourrissent exclusivement de viande, ce rapport est plus faible et varie de 0,62 à 0,80. Avec le régime des légumes, le rapport est en général intermédiaire entre celui que l’on observe avec le régime de la viande et celui que donne le régime du pain […].
Lorsque les animaux sont à l’inanition, le rapport […] est à peu près le même que celui que l’on observe pour le même animal, soumis au régime de la viande. L’animal, à l’inanition, ne fournit à la respiration que sa propre substance, qui est de la même nature que la chair … Tous les animaux à sang chaud présentent donc, lorsqu’ils sont à l’inanition, la respiration des animaux carnivores. »
Bien qu’ils n’emploient jamais le terme, Regnault et Reiset étudient grâce à ces expériences le quotient respiratoire, c’est-à-dire le rapport entre la quantité de dioxyde de carbone rejeté et la quantité d’oxygène consommée. Ils découvrent que ce dernier n’est pas constant, mais dépend du régime alimentaire des animaux (c’est-à-dire, comme ils ne le savaient pas encore, des métabolites oxydés lors de la respiration cellulaire). Notons que les animaux en jeûne prolongé tirent l’énergie de leur métabolisme de l’oxydation de leurs réserves lipidiques puis de la dégradation de leurs protéines
musculaires à jeun ce qui explique que leur quotient respiratoire soit proche de celui correspondant à un régime carné. C’est au nom du physiologiste allemand Eduard Wilhem Pflüger (1829-1910) que le terme de quotient respiratoire sera associé, après que ce dernier l’eût défini en 1874 comme le rapport volumique du dioxyde de carbone dégagé par la respiration à l’oxygène consommé.
Regnault et Reiset construisent également la notion d’intensité respiratoire, c’est-à-dire la quantité d’oxygène consommé par unité de temps et par unité de masse corporelle, et mettent en évidence ses variations en fonction du rapport surface/volume des animaux testés :
«La consommation d’oxygène faite, dans des temps égaux, par des poids égaux d’animaux appartenant à la même classe, varie beaucoup avec leur grosseur absolue. Ainsi, elle est dix fois plus grande chez les petits oiseaux, tels que les moineaux et les verdiers, que chez les poules. Comme ces diverses espèces possèdent la même température, et que les plus petites, présentant compara-tivement une surface beaucoup plus grande à l’air ambiant, éprouvent un refroidissement plus considérable, il faut que les sources de chaleur agissent plus énergiquement, et que la respiration soit plus abondante. »
Ces observations s’expliquent effectivement par le fait qu’un animal de petite taille possède un rapport surface/volume défavorable en comparaison avec un animal plus grand. Dans le cas des animaux endothermes, cela se traduit, pour les espèces de petite taille, par un effort métabolique et donc une consommation d’oxygène plus élevée (relativement à la taille de l’organisme) pour compenser les pertes de chaleur (qui sont, elles, directement corrélées à la surface corporelle).