La respiration : le contrôle de la ventilation: ventilation pulmonaire
Le rôle central des nerfs pneumogastriques:
Régulièrement, sans même que nous y prêtions attention, nos poumons se remplissent d’air puis se vident: c’est la ventilation pulmonaire. Quels mécanismes contrôlent les contractions musculaires périodiques à l’origine de ce phénomène?
Au tout début du XIXe siècle, les scientifiques l’ignoraient toujours. C’est un médecin de la prison de Bicêtre, Julien Jules César Legallois (1770-1814), qui le premier mit ses talents d’expérimentateur au service de cette question. Au cours de l’année 1811, ses observations pertinentes lui permirent de localiser les centres qui contrôlent la ventilation pulmonaire, ou centres respiratoires, à la base de l’encéphale, au niveau du bulbe rachidien et non loin de l’origine des nerfs pneumogastriques. Le rôle de ces nerfs ne va alors pas tarder à être précisé.
L’expérience de Legallois (1811):
En septembre 1811, la classe de sciences physiques et mathématiques de l’institut impérial de France (actuellement l’Académie des Sciences de l’institut de France), dont le secrétaire perpétuel est le célèbre zoologiste Georges Cuvier (1769-1832), dépêche trois de ses membres au laboratoire de Jules-César Legallois. La délégation a pour mission d’établir un rapport sur le mémoire lu par Legallois à l’institut lors de la séance du 3 juin.
Les trois scientifiques – le naturaliste et explorateur allemand Alexandre de Humboldt (1769-1859), le médecin Jean-Noèl Hallé (1754-1822) et le chirurgien Pierre-François Percy (1754-1825) – rapportent:
«L’auteur a pris un lapin âgé de cinq à six jours […]; il a ouvert le crâne et extrait d’abord le cerveau, puis le cervelet. Après cette double extraction, les inspirations ont continué ; elles étaient caractérisées chacune par quatre mouvements qui se faisaient simultanément, à savoir : un bâillement, l’ouverture de la glotte, l’élévation des côtes et la contraction du diaphragme. Ces quatre mouvements ayant été bien constatés, et devant durer un certain temps, d’après l’âge de l’animal, l’auteur a extrait la moelle allongée [bulbe rachidien] ; et, à l’instant même, ces mouvements ont cessé tous ensemble. On a reconnu que la portion de moelle allongée extraite s’étendait jusqu’auprès du trou occipital, et qu’elle comprenait l’origine des nerfs de la huitième paire [nerfs pneumogastriques].
La même expérience a été répétée sur un autre lapin de même âge, avec cette différence qu’après l’extraction du cerveau et du cervelet, au lieu d’enlever de prime abord une aussi grande étendue de moelle allongée, on l’a extraite successivement par tranches d’environ trois millimètres d’épaisseur. Les quatre mouvements inspiratoires ont continué après l’extraction des trois premières tranches; mais ils se sont arrêtés tout à coup après celle de la quatrième. On a vérifié que la quatrième [tranche] embrassait l’origine des nerfs de la huitième paire. »
Bien que les textes de Legallois ne soient accompagnés d’aucune illustration, il est possible, à la lecture du rapport très détaillé établi par les membres de l’Académie des sciences, de représenter fidèlement le déroulement de cette expérience. Note biochimiste conclut que le maintien de la rythmicité ventilatoire normale dépend d’une petite portion du bulbe rachidien situé près de l’émergence des nerfs pneumogastriques :
« Ce n’est pas du cerveau tout entier que dépend la respiration, mais bien d’un endroit assez circonscrit de la moelle allongée, lequel est situé à une petite distance du trou occipital et vers l’origine des nerfs de la huitième paire, les nerfs pneumogastriques. Car, si l’on ouvre le crâne d’un jeune lapin, et que l’on fasse l’extraction du cerveau, par portions successives, d’avant en arrière, en le coupant par tranches, on peut enlever de cette manière tout le cerveau proprement dit, et ensuite tout le cervelet et une partie de la moelle allongée. Mais la respiration cesse subitement lorsqu’on arrive à comprendre dans une tranche l’origine des nerfs pneumogastriques.»
L’expérience de Traube (1847):
Quelques années après l’expérience de Legallois, Ludwig Traube (1818-1876) s’intéresse de près à la question de la participation des nerfs pneumogastriques aux voies de contrôle de la ventilation pulmonaire. Ce médecin polonais est un élève de deux éminents physiologistes allemands, Johannes Evangelista Purkinje (1787-1869) et Johannes Müller (1801-1858). Le premier est connu pour ses recherches en histologie : il a donné son nom à des neurones du cervelet et à un réseau de cellules musculaires cardiaques impliquées dans la propagation de la dépolarisation au niveau des ventricules. Johannes Müller est quant à lui professeur d’anatomie et de physiologie à l’université de Berlin. C’est un acteur majeur de l’anatomie comparée, mais son nom reste associé à des canaux décrits chez l’embryon, qui sont à l’origine des voies génitales femelles (canaux de Müller).
Traube pratique une section des nerfs pneumogastriques (rappelons qu’ils sont également appelés nerfs vagues ou nerfs X) chez un chien anesthésié porteur d’une canule trachéale reliée à un manomètre. Ce dernier est lui-même connecté à un stylet inscripteur en contact avec un cylindre enregistreur. Dans ces conditions, il peut enregistrer les effets de la section des nerfs pneumogastriques ou de leur stimulation électrique sur la fréquence ventilatoire (nombre de cycles inspiration/expiration par minute) et le volume courant (volume d’air inspiré ou expiré lors de chaque mouvement ventilatoire au cours de la respiration calme).
Traube démontre l’implication des nerfs pneumogastriques dans le contrôle la ventilation. C’est particulièrement évident lors de la section des deux nerfs, qui se traduit par une ventilation dite de « double vagotomie » avec forte diminution de la fréquence respiratoire (bradypnée) et augmentation très importante du volume courant. L’expérience prouve donc que l’intégrité des nerfs pneumogastriques est nécessaire au maintien d’une fréquence ventilatoire et d’un volume courant normaux.
La stimulation du bout central (c’est-à-dire de la portion de nerf en relation avec l’encéphale) du nerf pneumogastrique sectionné est toujours suivie de modifications du rythme ventilatoire. Traube établit ainsi que ces nerfs interviennent par leurs fibres sensitives – les prolongements neuronaux qui conduisent l’influx nerveux depuis la périphérie de l’organisme vers le centre respiratoire dans le contrôle de la ventilation. Des effets très différents, voire opposés, sont obtenus lorsque l’intensité de la stimulatior. vagale varie : une stimulation de faible intensité provoque une polypnée (augmentation importante de la fréquence respiratoire), alors qu’une apnée en expiration s’observe après une stimulation vagale de forte intensité.
Traube conclut à l’existence de deux types de fibres sensitives pneumogastriques dont le seuil d’excitation est différent. Les unes, à bas seuil d’excitation, sont stimulatrices des centres respiratoires (leur stimulation produit une polypnée), les autres, excitées pour une stimulation de plus forte intensité, sont inhibitrices.
L’expérience de Héring et Breuer (1868):
En 1868, les physiologistes allemands Karl Ewald Konstantin Héring (1834-1918) et Josef Breuer (1842-1925) mettent en évidence un autre phénomène physiologique impliquant les nerfs pneumogastriques et la ventilation pulmonaire. Ils observent que, chez un chien ou un lapin, une distension pulmonaire brutale (suite à une brusque inspiration par exemple) induit en retour une expiration. Inversement, un affaissement brutal
des poumons (par compression de la cage thoracique) induit une inspiration. Ces phénomènes ne sont pas observés lorsque les deux nerfs pneumogastriques sont sectionnés : il s’agit donc d’un réflexe.
En conditions physiologiques, l’impact du réflexe de Héring- Breuer dans les processus ventilatoires est mineur. Il restera toutefois pendant un certain temps en bonne place parmi les mécanismes de contrôle de la ventilation, probablement en raison du contexte scientifique contemporain de sa découverte – la fin du XIXe siècle, qui voit les neurosciences prendre leur essor – mais aussi du rayonnement scientifique de Héring au sein de la communauté des physiologistes. En outre, après la mise en évidence de ce réflexe, en 1868, de nombreux physiologistes reprendront le principe de l’expérimentation de Héring et Breuer, fondée sur un matériel relativement simple.
Lors d’une brusque distension pulmonaire, le réflexe de Héring-Breuer se traduit par une inhibition des muscles inspiratoires. Cette inhibition est à l’origine de l’expiration réflexe qui suit la distension. Lorsque, expérimentalement, la distension se prolonge, l’inhibition des muscles inspiratoire induit un ralentissement des mouvements ventilatoires qui conduit rapidement à une apnée. Lorsque la surpression pulmonaire induite par la distension cesse, les mouvements ventilatoires reprennent. A l’inverse, l’affaissement des poumons consécutif à une diminution de la pression intrapulmonaire provoque l’apparition d’une polypnée. La reprise des mouvements ventilatoires normaux intervient lorsque la pression intrapulmonaire reprend une valeur également normale.
D’autres étapes clés:
Au début du XXe siècle, une avancée technique majeure en neurophysiologie permet de poursuivre et de compléter l’étude des réflexes pulmonaires. Pour la première fois en effet, les physiologistes ont accès à des enregistrements électrophysiologiques d’une fibre nerveuse isolée. C’est ainsi qu’à Cambridge, le physiologiste Edgar Douglas Adrian (1889-1977) – prix Nobel de médecine et de physiologie en 1932 pour ses travaux sur le fonctionnement neuronal – reprend l’étude du réflexe de Héring-Breuer en enregistrant pour la première fois l’activité des nerfs pneumogastriques. Il montre l’existence d’une relation de proportionnalité entre la distension pulmonaire et la fréquence des potentiels d’action parcourant les fibres afférentes vagales.
L’ensemble des observations réalisées sur l’animal permet alors d’établir le mécanisme du réflexe de Héring-Breuer. L’inhibition réflexe de l’inspiration observée lors de la distension des poumons correspond à l’intégration, au niveau des centres respiratoires bulbaires, d’un message nerveux véhiculé par les fibres sensitives du nerf pneumogastrique. À partir de 1940 et jusqu’à des périodes très récentes, la genèse de ce message nerveux vagal fera l’objet de nombreux travaux. Des récepteurs à l’étirement situés au niveau de la paroi des bronchioles ont été identifiés. Ils correspondent aux extrémités des fibres sensitives vagales. Toute distension des bronchioles sous l’effet d’une augmentation de pression génère un train de potentiels d’action qui parcourt la fibre sensitive vagale pour atteindre les centres respiratoires bulbaires.
Vidéo : La respiration : le contrôle de la ventilation
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