La respiration : la mise en évidence du surfactant pulmonaire
En 1929, le physiologiste suisse Kurt von Neer- gaard (1887-1947) montra que gonfler les poumons avec de l’air nécessitait une pression supérieure que les gonfler avec de l’eau. Ces résultats furent confirmés en 1954 par le physiologiste américain Edward P. Radford (1922-2001) qui évoqua des modifications de tension superficielle – c’est-à-dire de la force d’attraction entre les molécules d’air et de liquide alvéolaire lors de l’insufflation d’air dans le poumon. Mais c’est en 1959 que l’américain John Allen Cléments (né en 1923) prouva in vitro que la tension de surface des extraits pulmonaires variait en fonction de la surface alvéolaire. En situation physiologique, cette variation de tension évite le collapsus des alvéoles. La microscopie électronique permit ensuite de repérer, au niveau des alvéoles pulmonaires, la présence d’un film de phospholipides tapissant la paroi des alvéoles pulmonaires : le surfactant.
L’expérience de Radford (1954):
Un poumon est prélevé sur un chien anesthésié. L’organe est ensuite muni d’une canule en verre insérée dans une bronche principale, qui est reliée par un robinet à trois voies à une seringue permettant l’injection de petits volumes de solution saline et à tube vertical servant de manomètre à eau. L’ensemble est placé dans une cuve contenant une solution saline de NaCl à 0,85% maintenue à la température corporelle.
L’injection de solution saline dans le poumon est réalisée graduellement toutes les 30 secondes à l’aide de la seringue, jusqu’à atteindre un volume maximum de 200 mL environ. Après chaque injection, la pression est lue sur le manomètre à eau. Le retour au volume pulmonaire initial est effectué selon le même protocole. L’en-semble de l’expérimentation est ensuite réalisé en plaçant le poumon hors de la cuve et en le gonflant avec de l’air.
Radford confirme que la pression nécessaire pour obtenir un même volume pulmonaire est supérieure lorsque le poumon est gonflé avec de l’air. Des variations de tension de surface sont la cause de ces observations, ce qui est confirmé par l’observation du poumon au cours de l’expérience. Avec la solution saline, l’augmentation ou la diminution de volume sont homogènes sur toute la surface pulmonaire. Lorsque le poumon est rempli d’air, le gonflement est au contraire très irrégulier, certaines régions restent collapsées alors que d’autres se dilatent énormément.
On observe par ailleurs une hystérésis pulmonaire : les deux segments de courbe correspondant à une augmentation de volume d’une part et à une diminution de volume d’autre part ne sont pas superposables. L’hystérésis est bien plus marquée lorsque le poumon est rempli d’air.
L’expérience de Clements (1959):
John A. Clements postule l’existence d’un facteur atélectasique, c’est-à-dire s’opposant à l’affaissement des alvéoles pulmonaires lors de l’expiration. Il met au point une « balance » qui permet de mesurer la tension superficielle d’un liquide lorsque la surface liquidienne varie. Le plateau (bac de téflon) peu profond de la balance est rempli de la solution étudiée, à la surface de laquelle est déposée la substance à tester. Au bras d’un capteur de force est suspendu un feuillet de platine de 0,025 mm d’épaisseur en contact avec le liquide du plateau. La tension superficielle correspond à la traction exercée par la surface liquidienne sur le feuillet de
platine. Un dispositif de barrière mobile, installé au niveau du plateau de la balance permet de diminuer la surface liquidienne de 20%.
L’expérience consiste à mesurer en continu la tension superficielle lorsque la surface liquidienne est tout d’abord réduite de 20% (compression) avant de retrouver sa superficie initiale (expansion). Cette tension, élevée en présence d’eau, diminue de moitié en présence de détergent
Avec chacune de ces deux substances, aucune différence de tension n’est observée lors de la compression ou de l’expansion de la surface liquidienne.
La présence de plasma sanguin abaisse la tension superficielle jusqu’à des valeurs proches de celles obtenue; avec le détergent. Lors de la compression, la tension obtenue est à chaque fois légèrement inférieure à celle mesurée lors de la distension. Ce phénomène est encore amplifié lorsqu’un extrait pulmonaire est testé. Celui-ci exerce une tension superficielle supérieure en expansion, c’est-à-dire lorsque la surface est grande ; inversement la tension superficielle est extrêmement faible lorsque la surface diminue. L’extrait pulmonaire reproduit donc l’hystérésis observée dans les expériences d’insufflation d’air dans les poumons. Cléments et son équipe prouvent ainsi que la tension de surface des extraits pulmonaires varie en fonction de la surface alvéolaire. En situation physiologique, cette variation de tension évite le collapsus des alvéoles.
D’autres étapes clés:
En 1959, Mary Ellen Avery et Jere Mead constatent que des extraits pulmonaires de nouveau-nés à terme, d’enfants et d’adultes diminuent substantiellement la tension de surface des alvéoles pulmonaires. En revanche, lorsque des extraits pulmonaires de nouveau- nés prématurés sont testés, la diminution de tension superficielle est moindre. Ces observations témoignent de l’importance physiologique du surfactant à la fin de la vie fœtale. Dix ans plus tard, l’obstétricien néozélandais Graham C. Liggins réalise une perfusion de corticostéroïdes sur des foetus de moutons et accélère la maturation pulmonaire du surfactant. Ce travail a conduit au traitement par des corticostéroïdes des mères en cas de suspicion d’accouchement prématuré, augmentant ainsi la survie des nouveau-nés.