La puissance de la conviction du placebo
Lors de la mise sur le marché d’un nouveau neuroleptique, je me rappelle que, jeune interne, je n’avais pas été particulièrement impressionné par la présentation de la visiteuse médicale. Les deux premiers malades furent des échecs retentissants du fait des effets secondaires et le traitement dut être arrêté rapidement. Fut-ce à cause de l’attitude désormais négative de l’équipe soignante et de la méfiance – bien compréhensible – des autres malades, je n’ai plus jamais réussi à prescrire ce médicament dans ce service, alors qu’au cours du stage suivant, arrivant dans un pavillon déjà conquis, il s’est révélé normalement actif et toléré. Nous n’irons pas jusqu’à affirmer que l’efficacité thérapeutique d’un médicament est en partie fonction des mensurations de la visiteuse médicale. Quoique… À l’inverse, il arrive également que la nouveauté d’un produit décuple son effet. Au cours de la phase de lancement, notamment au cours de la traditionnelle période d’échantillonnage qui précède de quelques mois l’installation dans les officines, les médicaments sont souvent présentés à l’ensemble des médecins par des visiteurs malins et complices.
« Docteur, afin que vous puissiez vous faire une idée personnelle avant notre lancement officiel et bien que je ne dispose que de très peu d’échantillons, je peux vous laisser un certain nombre de boîtes. » Il arrive même qu’il ajoute perfidement: «Je nen ai pas encore suffisamment pour tout le monde, aussi, je vous en prie, n’en parlez pas trop à vos collègues. » Dès lors, le médecin gratifié répercute le message au patient : « Nous allons essayer ce médicament ; il est complètement nouveau », ou mieux, le cas échéant. « Il vient d’Amérique. J’ai réussi à m’en procurer spécialement pour vous, car n étant pas encore commercialisé, il est difficile à obtenir. » Le message est double : d’une part le médecin revendique une notoriété qui pourrait même se propager jusquen Amérique, d’autre part, il montre au patient qu’il lui porte une attention toute particulière, à la limite du favoritisme ! Enfin, le malade peut mobiliser toute sa bonne volonté et son énergie pour faire le meilleur accueil possible à ce nouveau produit qui, sait-on jamais, pourrait enfin le guérir, définitivement. Tout nouveau, tout beau… Il n’est donc pas étonnant qu’au cours de la période particulière située juste avant et après le lancement d’une molécule nouvelle, les scores d efficacité soient élevés par rapport à ceux des molécules de référence. Généralement, sauf innovation majeure, sa courbe d’efficacité se normalise progressivement et rejoint en quelques mois celle de ses petits camarades de la classe thérapeutique. Ces deux exemples illustrent à merveille l’interaction des trois composantes qui interviennent dans la production d’un effet placebo : puissance réelle ou supposée du traitement, conviction du médecin, adhésion du patient.
La croyance du malade dans le produit testé joue en effet un grand rôle en cas d’expérimentation. Parmi les facteurs pouvant induire fortement la croyance, existe l’argument d’autorité. Ainsi Linus Pauling, célèbre lauréat du prix Nobel de chimie, était-il persuadé de l’efficacité de la vitamine C dans de multiples maladies, notamment dans la grippe ou le rhume. Il est certain que ce chimiste, s’il n’avait pas eu le prix Nobel, n’aurait pas entraîné des millions de personnes, dans le monde entier, à consommer des tonnes de vitamine C. Pourtant le lauréat d’un prix Nobel pour une discipline donnée a-t-il plus de compétences que ma concierge pour parler d’une autre discipline ? Une étude sur l’intérêt de la vitamine C dans la grippe fut donc conduite et se révéla négative. On décida de recommencer avec le rhume. Il fut alors démontré que ce produit avait une « influence légère mais certaine » sur la fréquence, la durée et l’intensité des rhumes. Prudents, les auteurs s’étaient eux-mêmes mis en garde sur un possible biais, à savoir que les volontaires avaient éventuellement pu deviner la nature du médicament, vitamine ou placebo et, en effet, un certain nombre d’entre eux ne s’étaient pas trompés dans leur pari. Néanmoins, fait encore plus intéressant, la relecture minutieuse de tous les dossiers a permis de montrer que les sujets sous placebo, mais qui croyaient avoir reçu la vitamine C, ont eu moins de rhumes que ceux qui recevaient effectivement de la vitamine C, mais qui croyaient avoir reçu du placebo. La vitamine C ne prévient et ne traite le rhume que si l’on y croit, ce qui n’empêche pas les médecins et les malades de continuer à y croire, les premiers les prescrivant régulièrement, les seconds les avalant imperturbablement. Il ne faudrait pourtant pas croire, à partir de cette expérience, que la vitamine C n’est qu’un placebo. Bien au contraire, c’est peut-être le premier médicament à avoir fait la preuve de son efficacité dans un essai contrôlé contre placebo. En 1747, James Lind, chirurgien de la marine anglaise était, comme tous ses confrères, frappé de la fréquence et de la gravité du scorbut qui ravageait régulièrement les équipages.
Il sélectionna douze scorbuteux qui étaient à peu près au même stade de la maladie et les répartit en six groupes de deux. Chaque groupe absorba une préparation différente : soit un litre de cidre par jour, soit un élixir préparé à partir du vitriol, soit du vinaigre, soit un électuaire alors en vogue, soit de l’eau de mer, soit des oranges et des citrons. Seul ceux ayant absorbé les oranges et citrons guérirent de façon spectaculaire. Néanmoins, Lind lui-même n’y crut pas vraiment et il continua vaille que vaille à prescrire le changement d’air1. Il fallut de nombreuses années et un retour ultérieur aux archives de la marine pour que la découverte de Lind fût enfin reconnue et appliquée.
De la plus ou moins grande confiance du patient dans le traitement reçu, peut-on tirer quelques conclusions sur les éléments de personnalité qui favoriseraient éventuellement l’éclosion d’un effet placebo? Aucune étude n’a jamais réussi à prédire le succès d’un placebo chez un malade donné. Il convient d’ailleurs de faire justice de certaines vieilles croyances médicales, à savoir que les hystériques seraient plus « placebosensibles » que les autres. Beaucoup de médecins croient également que le fait de répondre positivement à un placebo n’est vraiment pas un signe d’intelligence. Ces deux hypothèses semblent aussi erronées l’une que l’autre. L’idée d’un fondement hystérique à la réponse placebo vient de l’hypothèse selon laquelle l’effet placebo ne concerne que les maladies fonctionnelles, c’est-à-dire sans base organique. Cette hypothèse est fausse car de nombreuses affections physiques sont influencées par ce phénomène et aussi parce qu’il n’est pas nécessaire d’être complètement névrosé pour présenter un symptôme fonctionnel.
Que celui qui n’a jamais eu de lumbalgie, d’insomnie ou de brûlure gastrique me jette la première interprétation ! Un autre facteur ayant contribué à développer cette croyance est la triste habitude qu’ont beaucoup de médecins, en cas d’insuccès, d’en attribuer la responsabilité aux patients. C’est toujours parce qu’ils ont mal pris leurs comprimés ou bien à cause d’une agressivité inconsciente que le traitement échoue. Ce n’est jamais la faute du médecin ! En psychiatrie, où l’on excelle particulièrement dans ce genre d’exercice, on parle volontiers de la toute- puissance du (méchant) malade qui, inconsciemment bien sûr, s’arrange pour mettre en échec le pauvre (bon) médecin qui fait tout ce qu’il peut. Ce fréquent refus médical de porter la responsabilité d’un échec thérapeutique amène souvent des réactions de dépit et de haine. Dans tous ces cas, les nombreux qualificatifs d’hystérie, de réaction de conversion, de pithiatisme traduisent essentiellement le dépit du médecin et s’apparentent en fait plus à des noms d’oiseaux qu’à des diagnostics scientifiques. De même, et contrairement à une idée répandue, plusieurs études ont montré que le niveau intellectuel n’intervenait pas sur la placebosensibilité. En d’autres termes, répondre positivement à un placebo n’est pas forcément un signe de débilité mentale et les médecins, forcément intelligents, sont comme tout le monde capables de placebosensibilité1 !
Existe-t-il pourtant des traits de caractère influençant la placebosensibilité des patients? Selon toute probabilité, le conformisme, le niveau de motivation, l’attente par rapport au médecin, la capacité à faire confiance, la docilité et par conséquent l’observance favorisent l’effet placebo. L’acceptation du changement a notamment été étudiée par Duncan qui a divisé les sujets placebosensibles en deux groupes : d’un côté les répondeurs « autoproduits », introvertis et plutôt asociaux, de l’autre, les répondeurs « situa- tionnels », plutôt extravertis et sociables. Chaque groupe a reçu successivement et en aveugle deux types de placebos purs : les uns étaient présentés comme relaxants et les autres comme excitants. L’analyse de l’appréhension produite par l’information montre que les « autoproduits » ont moins peur des excitants que des relaxants alors que les « situationnels » ont plus peur des excitants. La conclusion de ce type d’étude est que, selon tel ou tel trait de sa personnalité, un sujet répondra positivement à un placebo de tranquillisant mais pas à un placebo de stimulant. Pour un autre sujet, cela pourra être exactement l’inverse. Plusieurs études portant sur l’effet de différentes drogues – LSD, amphétamines, morphine, héroïne – et menées sur des volontaires sains ont d’ailleurs produit des conclusions similaires. Les réponses étaient hautement variables, allant de « très agréable » à « très désagréable » pour l’héroïne, de « stimulant » à « sédatif » pour l’amphétamine. Ces réponses correspondent non seulement aux résultats apportés par le test de Rorschach qui classe les individus en prédisposés ou non-prédisposés à l’accoutumance aux narcotiques, mais varient aussi en fonction de la représentation mentale et sociale que chacun a de la drogue. L’influence capitale du contexte social sur les effets pharmacologiques d’une molécule a même pu être démontrée chez la souris. Chez ce petit rongeur, en effet, la toxicité de l’amphétamine est augmentée si les souris sont groupées au lieu d’être isolées. On le voit donc, une fois encore, l’effet placebo, comme l’eau vive, échappe à une prédiction simple. Les facteurs qui l’influencent sont si nombreux qu’il paraît bien difficile, pour ne pas dire impossible, d’espérer définir un type de malade favorisant son éclosion.
Vidéo : La puissance de la conviction du placebo
Vidéo démonstrative pour tout savoir sur : La puissance de la conviction du placebo
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