La mémoire est-elle uniquement portée par des molécules ?
L’idée est plaisante, car on aimerait bien percer ce processus incroyablement complexe qu’est la mémoire. Celle- ci serait moléculaire, les comportements seraient fixés génétiquement, et voici l’homme soudainement réduit à une machine prévisible! Il y a manifestement des molécules particulières qui interviennent dans le phénomène de la mémorisation, mais cela ne signifie pas que ces molécules font la mémoire, ni que les contrôler permettrait de tout savoir sur la mémoire.
On a pu montrer, par des manipulations en laboratoire sur des invertébrés peu complexes, que des individus éduqués à répondre à certains stimuli transmettaient, via des extraits de leur cerveau, leur réponse comportementale à d’autres, qui n’avaient pas été éduqués. L’idée a donc germé que le cerveau fabriquait des molécules, ou des formes de molécules, afin d’enregistrer la réponse qu’il donnait à un stress. Ces molécules, ou formes de molécules, devraient pouvoir être identifiées, isolées, puis injectées.
Hélas, ces expériences n’ont pu être reproduites que sur des groupes d’invertébrés particulièrement frustes du point de vue neurologique. La transmission effective de la mémoire par l’injection d’un extrait de cerveau ne prouve pas pour autant que le support de cette mémoire
soit moléculaire. Cette démonstration n’est établie que faute de pouvoir envisager un autre support.
Toutefois, en 2005, une équipe américaine est parvenue à effacer les « souvenirs » de drosophiles (des mouches, invertébrés complexes) en modifiant une molécule justement suspectée d’entretenir la mémoire. Cette molécule est la protéine kinase M zêta, une forme particulière de la protéine kinase M. Dans le cerveau, singulièrement dans l’hippocampe (aire primordiale dans la mémorisation), la « zêta » aurait un rôle important dans la « gestion » des neurotransmetteurs échangés entre synapses. Ces derniers relient les neurones entre eux. Ce serait justement cette fonction qui expliquerait le rôle majeur de la molécule dans la mémorisation à long terme. Et, à l’inverse, son inactivation ou sa destruction serait l’un des éléments déclencheurs de la maladie d’Alzheimer.
La même année, une équipe de chercheurs canadiens a peut-être mis le doigt sur la base génétique du processus de mémorisation. Une protéine, dénommée GCN2, jouerait le rôle d’inhibiteur des gènes impliqués dans la mémoire. Les souris transgéniques privées de la capacité de synthétiser cette protéine ont montré de grandes capacités de mémorisation… tant que leur exercice demeurait léger. Intensif, celui-ci aboutissait, chez les souris transgéniques, à des résultats de mémorisation plus faibles que chez les souris normales. Autrement dit, la mémoire reposerait à la fois sur un facteur génétique et sur une capacité d’apprentissage propre à chaque individu.
Reste que la topographie de l’encéphale est bien complexe et qu’il existe autant de mémoires que de zones du cerveau. La mémoire des mots et des symboles est localisée dans le néocortex, celle du travail, dans le thalamus et le cortex préfrontal, la mémoire récente est située dans l’hippocampe, celle des événements nouveaux dans le cortex périrhinal …
Les poilus blessés au crâne se souvenaient parfaitement de la Grande Guerre, mais savaient rarement où ils venaient de poser leur casquette. La mémoire, les mémoires sont donc aussi une affaire de connexions et de partage entre les aires du cerveau. Et il faut bien reconnaître que nous sommes loin d’avoir fait le tour de la question…