La grippe ennemie intime: Des épidémies
L’épidémie de 1957
Cette nouvelle pandémie s’est propagée très vite. Les premiers cas sont décelés fin février 1957 dans la province de Kweichow, au sud-est du pays; la première semaine de mars, elle a envahi la province du Yunnan; à la mi-mars, la Chine entière est contaminée. Le pays qui va bientôt souffrir d’une terrible famine due au désastreux plan d’industrialisation forcée de Mao, le tristement célèbre «bond en avant», se serait bien passé de cet autre fléau. En mai, c’est l’Asie dans son ensemble, qui est atteinte avant de toucher l’Australie. En juin, le virus apparaît sur les autres continents avec un pic épidémique en septembre.
Le virus A (H2N2) est nouveau, les anticorps issus les infections antérieures ne se révèlent d’aucune efficacité contre lui, car il est le résultat d’un réassortiment entre virus humains et aviaires. Très contagieux, il cause une très forte morbidité, atteignant jusqu’à 40 à 50% de la population mondiale. En revanche, son taux de létalité est bien plus faible qu’en 1918. Aussi, le résultat en termes de mortalité peut être qualifié de moyen : Il fera en tout 3 millions de morts dans le monde, en huit mois, à peine.
L’épidémie de 1968 : la grippe de Hong Kong
À la mi-juillet 1968, surgit en Extrême-Orient une épidémie qui prend rapidement des proportions massives. La pandémie commence en Chine centrale, probablement dans la province du Guandong, et s’étend rapidement vers Hong-Kong. Après deux semaines et 500 000 cas, le virus se révèle moins pathogène et finit par s’éteindre dans ce qui est encore une concession britannique, après six semaines d’activité intense. En août, elle touche Taïwan, les Philippines, Singapour et le Vietnam et en septembre, elle arrive en Inde, en Iran et en Australie. Le même mois, les premiers cas sont signalés sur le continent américain, et plus spécifiquement en Californie où des troupes viennent de rentrer du Vietnam. Aux États-Unis, le pic est atteint en décembre avec une incidence de 30 à 40 % de la population totale du pays. L’absentéisme concerne la moitié des enfants scolarisés. Au niveau mondial, on parle de 500000 à un million de morts. Cependant, comparée aux précédentes (1918 et 1957), ce fut une pandémie modérée, sans doute en raison d’une immunité partielle résiduelle vis-à-vis du composant N2, la neuraminidase que le nouveau virus partageait avec le précédent. Pourtant il apparaît rapidement que ce virus n’est pas identique à celui des années précédentes, un virus qu’on a appris à connaître depuis la pandémie de grippe asiatique en 1957. Il s’agit bien d’un virus distinct auquel, comme c’est devenu une fâcheuse habitude depuis la «grippe espagnole», est donné un nom inapproprié, le virus de la grippe de Hong-Kong. Ce virus procède d’un réassortiment entre un virus humain et un virus aviaire. La différence la plus évidente avec le précédent virus porte sur l’élément qui conditionne majoritairement les réactions immunitaires, c’est-à-dire la mémoire d’une infection ancienne, mémoire protectrice se manifestant par une résistance partielle ou totale à une nouvelle infection par le même virus. Les examens d’identification montrent en effet que l’un des composants des protéines de surface, l’hémagglutinine, est différent, alors que l’autre, la neuraminidase, est conservé. Le virus de Hong-Kong H3N2 a donc emprunté ses gènes HA et PB1 à un virus aviaire, tout en gardant le gène NA et les cinq autres des souches humaines H2N2 qui circulaient l’année précédente (le gène NA avait aussi une origine aviaire antérieure).
Le nom très ambigu de «virus A2 Hong-Kong» lui est attribué, alors qu’il aurait mieux valu dire aussitôt – et les connaissances permettaient de le faire – que ce virus avait pour formule A (H3N2), succédant à un virus A (H2N2). Le H et le N précisant le type sérologique de ses deux protéines de surface : l’hémagglutinine et la neuraminidase. Ce simple changement avait suffi à créer une rupture d’immunité, c’est-à-dire qu’un sujet convalescent d’une infection à A (H2N2) et qui n’était plus sensible à ce même virus, pouvait en revanche être affecté par le A (H3N2).
Après chaque pandémie, une fois passée la vague principale, le virus persiste dans la population humaine, mais il est alors beaucoup moins dangereux car toutes les personnes qu’il a atteintes (cela peut représenter plus de 50% de la population) sont alors immunisées et la diffusion du virus est moins efficace. On observe généralement une épidémie «réplique» l’année suivante, puis des oscillations annuelles avec des épisodes plus ou moins sévères les années suivantes. C’est maintenant une grippe saisonnière qui persiste. Dans certains cas, mais pas tous, le nouveau virus supplante l’ancien qui disparaît temporairement ou définitivement.
Le virus H3N2 de 1968 a persisté depuis et il était toujours actif en 2009. L’on doit à cette épidémie d’avoir largement stimulé l’extension et l’activation du réseau des centres nationaux de référence par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), si précieux pour l’épidémiologie de la grippe.