La face cachée du plaisir
LA FACE CACHÉE DU PLAISIR
Pulsion, compulsion et processus opposants Après avoir discuté des principes qui, dans le cadre de la psychanalyse, pourraient expliquer la répétition, chez l’être humain, de scénarios conduisant à l’insatisfaction, au déplaisir et au malheur.
après avoir analysé la similitude entre la compulsion de répétition et le processus d’addiction et de dépendance aux drogues, ouvrant même la possibilité de considérer le fantasme comme une addiction, le moment nous semble venu d’examiner les mécanismes de l’addiction tels que les neurosciences contemporaines les présentent et de reprendre l’évidence clinique de la compulsion de répétition sous l’angle neurobiologique.
Une observation courante de la vie quotidienne est la tendance à répéter des mises en situation qui aboutissent à un certain malaise. Combien de fois avons-nous entendu des gens dire après les fêtes de Noël : « J’ai trop mangé, j’ai pris du poids, je n’aurai pas dû… » ! Combien de fois entendons-nous des gens dire dans les magasins : « Je dépense trop d’argent… ».
alors qu’ils sont en train de s’acheter le énième pull dont, au bout du compte, ils ne sauront que faire. Dans ces situations très communes, un versant en principe hédonique, censé apporter du plaisir, s’acheter un pull, s’accompagne donc de la mise en jeu d’un processus antihédonique.
Dans les comportements humains, deux tendances nous semblent présenter un aspect énigmatique : la coexistence du plaisir et du déplaisir ; la tendance à répéter les actes qui les nouent jusqu’à l’impasse.
Pour avancer dans la théorisation de cette double caractéristique, nous allons, dans les lignes qui suivent, nous appuyer sur la construction que nous avons proposée dans notre premier livre A chacun son cerveau où nous donnions une grande La poussée homéostatique résultant du lien entre R et S permet la décharge pulsionnelle de l’excitation et le rétablissement d’un état d’homéostasie.
importance à la constitution de ce que nous avons appelé la réalité inconsciente. Dans ce cadre, le fantasme est constitué à partir de traces associées à des états somatiques ; de cette interaction entre les représentations R et les états somatiques S, émerge la pulsion .La pulsion est au niveau inconscient ce que la motivation ou la prise de décision est au niveau conscient .
Par les mécanismes de la plasticité se constituent les réalités internes du sujet, consciente et inconsciente, les deux étant associées à des états somatiques. De la tension entre les états somatiques et les représentations qui constituent les réalités internes, dérivent la prise de décision (au niveau conscient) et la pulsion (au niveau inconscient). Les actions produites par ces deux processus sont également perçues par le sujet.
Arrêtons-nous un instant sur la tension entre l’état somatique et la représentation d’où émerge la pulsion, c’est-à-dire la détermination inconsciente à effectuer une certaine action. Pour reprendre l’exemple présenté plus haut, telle personne ayant une pulsion à s’acheter régulièrement le énième pull, même si cela compromet sa situation financière et qu’elle n’en a pas besoin, présente un comportement qui peut être vu comme une addiction – il existe dans la clinique, une addiction aux achats compulsifs.
Cette compulsion de répétition, de remise en jeu compulsive du fantasme, a quelque chose qui rappelle les situations de dépendance aux drogues. Et c’est ce parallélisme qui permet d’établir un pont avec les neurosciences contemporaines, lesquelles, au cours des vingt dernières années, ont exploré de manière très convaincante les mécanismes biologiques à la base des phénomènes d’addiction. On peut dire sans exagération que le domaine de la neurobiologie de l’addiction est un des aspects des neurosciences pour lesquels le plus d’avancées ont été réalisées en lien avec la psychopathologie.
Ces dernières années, Georges Koob à San Diego et Michel Le Moal à Bordeaux, tous deux neurobiologistes, ont élaboré un cadre de réflexion pour l’analyse des mécanismes de dépendance aux drogues en référence à la théorie des processus opposants. Cette théorie, validée par les observations expérimentales, pose l’existence d’une transition fondamentale dans le passage de la prise occasionnelle de drogue à une vraie dépendance, d’une prise de drogue fondée sur l’impulsivité à une prise de drogue compulsive.
La base de cette transition serait l’activation simultanée par les drogues de circuits neuronaux que la neurobiologie définit comme les circuits de récompense et les circuits neuronaux dits d’antirécompense.
Les circuits de récompense ont leur origine dans des noyaux profonds du cerveau (télencéphale basai) d’où ils se projettent dans diverses régions que l’on regroupe sous le terme d’amygdale étendue . Représentation schématique des voies dopaminer- giques. b. Représentation schématique des voies noradrénergiques.