La communication dans l'organisme
L’enregistrement du premier potentiel d’action neuronal et ses caractéristiques:
Dans les années 1930, deux physiologistes et biophysiciens britanniques, Alan Lloyd Hodgkin (1914-1998) et Andrew Fielding Huxley (né en 1917), qui travaillaient au Trinity College de Cambridge, parviennent fortuitement à isoler des fibres nerveuses chez le crabe vert (Carcinus maenas). Ces dernières se révélèrent fort robustes, mais leur faible diamètre (l/30e de millimètre) les rendait difficiles à étudier. A partir de 1939, ils se tournèrent vers une autre fibre nerveuse, l’axone géant de calmar (Loligo pealii), découvert par le spécialiste de biolo¬gie marine britannique John Zachary Young (1907-1997). Il existe en fait chez le calmar plusieurs axones géants, associés à des neurones moteurs permettant la coordina¬tion des muscles du manteau impliqués dans l’expulsion d’un jet d’eau propulsant rapide¬ment l’animal en arrière (figure 5). Leur première description fut publiée par Young en 1938 : « Chez Loligo pealii, le manteau est innervé par 9 à 11 nerfs stellaires en position radiale par rapport au ganglion stellaire.
Chacun de ces nerfs contient une fibre géante et de nombreuses autres fibres plus petites. Le diamètre des fibres géantes s’accroît progressive¬ment de 100 ¡.im ou moins pour les nerfs anté-rieurs (les plus courts) jusqu’à 800 fim ou plus dans le cas des nerfs postérieurs les plus longs. »
Au cours de l’été 1939, profitant d’une mission à la Marine Biological Association de Plymouth, Hodgkin et Huxley commencè¬rent leurs expérimentations sur l’axone
géant de calmar. Dès lors, à partir de ce formidable matériel expérimental, ils ne cesse¬ront plus d’étudier les modalités de transmission du message nerveux, ce qui leur vaudra, en 1963, de remporter le prix Nobel de médecine et de physiologie.
L’expérience de Hodgkin et Huxley (1939):
Pour mesurer un potentiel d’action sur un axone géant de calmar, Hodgkin et Huxlev procèdent de la manière suivante. Le dispositif d’enregistrement (figure 6) est constitué d’une microélectrode (un long capillaire de verre rempli d’une solution saline) insérer à une extrémité de la fibre et poussée à l’intérieur sur une distance de 10 à 30 mm. La fibre est bien sûr endommagée au point d’entrée de l’électrode, mais la profondeur d’insertion de l’électrode est suffisante pour la positionner dans une partie intacte de l’axone. La fibre est ensuite stimulée électriquement. Le potentiel de repos de la fibre géante de calmar est de – 45 mV. Lors de la stimulation électrique de la fibre, Hodgkin et Huxley détectent une dépolarisation transitoire, d’une durée inférieure à 1 ms, et d’une amplitude totale de 85 mV. Le premier potentiel d’action d’une fibre nerveuse est ainsi enregistré.
L’expérience de Hodgkin et Katz (1949):
Après la Seconde Guerre mondiale, Hodgkin et son collaborateur Bernard Katz (1911- 2003), biophysicien anglais d’origine allemande, s’intéressent aux mouvements ioniques àl’origine du potentiel d’action. Ils conçoivent l’expérience suivante : un axone géant de calmar est immergé alternativement dans de l’eau de mer puis dans des mélanges eau de mer/glucose, avant d’être à nouveau placé dans de l’eau de mer. Les mélanges eau de mer/glucose sont plus ou moins riches en glucose et donc de ce fait, plus ou moins déficitaires en ions sodium.
A cette époque, il est admis dans la communauté scientifique que la membrane est très perméable aux ions chlorures, mais très peu perméable aux ions sodium. Par ailleurs, l’équation de Nernst, établie en 1888 par le physicien et chimiste allemand Walther Nernst (1864-1941), prévoit que le potentiel d’équilibre électrochimique de l’ion chlore est égal à la valeur du potentiel de repos de la membrane axonale. Cela signifie qu’au repos, les ions chlorures sont en équilibre de part et d’autre de la membrane. Pour ces ions C1-, il n’existe donc pas de gradient électrochimique susceptible de générer des mouvements transmembranaires. Voilà pourquoi Hodgkin et Katz, qui cherchent à tester les effets des ions sodium, vont utiliser de l’eau de mer en négligeant dans leur raisonnement scientifique les apports en ions chlorures.
Hodgkin et Katz observent que la diminution de la teneur en ions sodium du milieu extérieur de l’axone géant se traduit par une diminution de l’amplitude du potentiel d’action. Cet effet est transitoire, puisque le retour à l’immersion dans l’eau de mer rétablit l’amplitude initiale. La diminution de l’amplitude du potentiel d’action est inver-sement proportionnelle à la teneur en glucose de la solution d’immersion. En revanche, la valeur du potentiel de repos n’est jamais modifiée.
L’expérience prouve donc que le potentiel d’action dépend de la quantité d’ions sodium présents dans le milieu extérieur de la fibre nerveuse.
D’autres étapes clés:
En 1949, le biophysicien américain Kenneth Cole (1900-1984) invente une technique électrophysiologique qui fixe la différence de potentiel entre les deux faces de la membrane neuronale à une valeur donnée: c’est le «voltage-clamp» («tension impo¬sée»), Ce dispositif permet de mesurer l’intensité du courant nécessaire pour maintenir la différence de potentiel à la valeur souhaitée, donnant ainsi accès à une image «en négatif» des courants et donc des flux ioniques transmembranaires. Grâce au «voltage- clamp», Hodgkin et Huxley établissent, en 1952, la nature précise des courants ioniques sodiques et potassiques responsables de l’établissement d’un potentiel d’action.
L’analyse des mouvements ioniques à l’origine du potentiel d’action s’appuie également sur l’utilisation de toxines spécifiques des canaux membranaires au sodium ou au potassium. L’histoire de l’une de ces toxines commence au Japon au tout début du XXe siècle. Dans ce pays où le poisson occupe une place de choix dans les assiettes, des empoisonnements étaient observés après la consommation de tétrodons ou poissons- globes. Les victimes mourraient d’asphyxie par paralysie des muscles respiratoires. Les premières études scientifiques consacrées à la toxine du tétrodon ont donc lieu au Japon, où l’on montre, en 1922, que cette substance possède, au niveau des jonctions neuromus¬culaires, des effets paralysants proches de ceux du curare. En Europe et aux États-Unis, l’utilisation de la tétrodotoxine (ou TTX) n’est possible qu’à partir des années 1950, lorsque l’on parvient à l’obtenir sous forme cristallisée. En 1964, une équipe de pharmacologues américains dirigée parToshio Narahashi (né en 1927) découvre l’action inhibi- trice de la TTX sur les canaux sodiques de la membrane neuronale.
Une seconde substance, le tétraéthylammonium (ou TEA), est utilisée par les neuro-physiologistes. Le TEA est découvert en 1869 par deux Écossais, le chimiste Alexander Crum Brown (1838-1922) et le pharmacologue Thomas Richard Fraser (1841-1920), qui constatent ses effets paralysants sur le muscle. L’effet du TEA sur l’axone géant de calmar est analysé pour la première fois en 1957. Cette année-là, deux chercheurs japonais, IchijiTasaki (né en 1910) et Susumu Hagiwara (1922-1989) observent, sous l’effet du TEA, une prolongation du potentiel d’action jusqu’à 100 fois sa durée normale. L’ac¬tion bloquante du TEA sur les canaux potassiques ne sera établie qu’en 1965, sur le même modèle expérimental, grâce aux travaux du physiologiste américain Clay Armstrong (né en 1935). En 1976, deux physiologistes cellulaires allemands, Edwin Neher (né en 1944) et Bert Sakman (né en 1942), mettent au point le «patch-clamp», où l’approche du «voltage-clamp» est appliquée à des fragments membranaires de petite taille, ce qui permet d’étudier les courants transmembranaires associés au potentiel d’action à l’échelle d’un unique canal ionique. Neher et Sakman se verront décerner le prix Nobel de médecine et de physiologie en 1991.
Vidéo : La communication dans l’organisme
Vidéo démonstrative pour tout savoir sur : La communication dans l’organisme