La certitude
La maladie est bénigne mais chronique, le traitement semble efficace mais le médecin n’arrive pas à savoir si l’effet est authentiquement pharmacologique ou purement subjectif. Guyatt a publié une méthode, le « N of one » dont l’objectif est de permettre à un médecin isolé de mener et éventuellement de publier des recherches scientifiques sur des cas uniques et pourtant inattaquables sur le plan statistique. Le principe repose sur l’utilisation de séquences thérapeutiques réalisant un cross-over répété dans le temps. Imaginons un patient recevant avec succès et depuis plusieurs années, un médicament, allo ou homéopathique dont le médecin n’est pas persuadé de l’efficacité spécifique. S’agit-il, oui ou non d’un effet placebo? Prenons comme exemple un produit
vasculotrope censé améliorer la mémoire ou bien un antalgique, ou bien un anti-asthénique ou n’importe quel composé homéopathique. Ni le patient ni le médecin ne sont convaincus que le bon état de santé actuellement constaté a un quelconque rapport avec le médicament absorbé, mais aucun des deux n’ose l’arrêter définitivement car une dégradation trop prolongée, si elle intervenait, serait insidieuse et pourrait même, qui sait, se révéler irréversible.
De plus, si le médicament n’agissait qu’à travers un effet placebo, sa suppression pourrait tout autant amener une baisse générale des performances, car la perte d’un rituel est rarement sans conséquences.
Il s’agit, dès lors, d’instaurer une relation triangulaire, médecin, pharmacien, malade, les trois étant parfaitement informés du déroulement des opérations. Le pharmacien prépare des gélules A contenant le médicament « actif » et des gélules P contenant le placebo. Bien entendu, toutes les gélules ont strictement la même apparence. À chaque début de mois, le pharmacien délivre pour trente jours, soit le lot A, soit le lot P et à la fin du mois, le patient et le médecin évaluent séparément la qualité clinique de la période qui vient de s’écouler, en la notant sur dix : zéro sur dix pour un très mauvais mois, dix sur dix pour un excellent mois. Les six séquences doivent être tirées au sort par le pharmacien, selon les exemples de schéma suivants : A P P A A P, ouPAAAPPouAAPPAP ouPPAPAAouAPAPPA, etc. Au bout de ces six périodes, trois mois ont été passés sous produit actif, trois mois sous placebo. Le rôle exact du médicament peut généralement être parfaitement évalué puisqu’il suffit alors de comparer les notes correspondant à chaque période pour être fixé : si les deux séries de périodes A et P ont des notes moyennes identiques, c’est que le médicament n’agit qu’à travers un effet placebo. En principe, on peut alors l’interrompre sans danger, du fait d’un certain travail psychologique accompli au cours des six mois, par le patient et par le médecin, favorisé par le côté ludique de la méthode et probablement par la relation de confiance, on pourrait même dire de complicité instaurée durablement entre les trois protagonistes. Si les notes sont constamment plus élevées au cours des périodes A, c’est que le médicament est objectivement efficace et il sera poursuivi sans états dame supplémentaires. Enfin, on peut imaginer le cas où les scores seraient toujours meilleurs sous placebo, suggérant dès lors des effets secondaires du verum, ce qui imposerait une autre réflexion.
Sans aller si loin dans la sophistication méthodologique, il serait certainement utile, dans un certain nombre de cas, de prévoir des fenêtres thérapeutiques dans le cadre de traitements au long cours, en prescrivant des placebos par cures régulières intercalées au milieu de traitements actifs. Ne serait-ce que pour des raisons toxicologiques !
La maladie n’est pas bénigne mais elle est réputée accessible à la suggestion. Le médecin n’arrive pas à savoir si le résultat est lié ou non à un effet placebo. L’histoire de du Dr S. Wolf est très instructive à cet égard.
Médecin américain renommé, le docteur Wolf tentait depuis (trop) longtemps de soigner un malade asthmatique qui souffrait de crises d’étouffement quasi continues. Ayant eu vent d’un nouveau médicament particulièrement prometteur, il écrivit au laboratoire pour s’en procurer. Le résultat fut excellent. Tellement même que Wolf douta. La mariée était trop belle ! L’effet était-il vraiment pharmacologique ? Il réécrivit au laboratoire pour que celui-ci lui envoie un placebo identique dans sa présentation. À iinsu du malade, il lui donna tantôt du produit actif tantôt du placebo. Chaque fois qu’il était sous placebo, le patient rechutait et avait des crises. Chaque fois qu’il était sous médicament actif, il était amélioré. Difficile pour un médecin réellement scientifique et honnête de faire une plus belle démonstration de l’efficacité objective d’un traitement. C’est alors que le laboratoire informa Wolf que depuis le début, il n ’administrait que du placebo ! Les experts de la firme, eux aussi, avaient trouvé que les premiers rapports médicaux étaient un peu trop enthousiastes : ils avaient pris les mêmes précautions en envoyant systématiquement du placebo aux médecins qui demandaient ce produit.