La capacité de rêver
La capacité de rêver, on le voit, n’est pas donnée à tout le monde. Elle demande une certaine sécurité intérieure et une aisance avec les productions de l’imaginaire. Pour qu’un rêve se manifeste, il faut investir le sommeil comme un lieu sécurisant qui permet de lâcher prise sur les préoccupations quotidiennes, s’y abandonner et prendre plaisir à retrouver sa vie intérieure riche d’images et de surprises. Ceux qui voient dans le sommeil un endroit où ils se sentent vulnérables ont du mal à s’y couler en toute confiance. Lorsqu ils y parviennent, leurs rêves sont souvent angoissants et les réveillent fréquemment. À l’inverse, d’autres s’y lancent tête baissée pour s’évader d’une réalité difficile, mais ils sombrent la plupart du temps dans un sommeil sans rêve, comme s’ils fuyaient autant leurs fantasmes nocturnes que leurs émotions diurnes.
C’est dans les premiers temps de la relation entre la mère et le nourrisson que s’acquièrent cette sécurité et cette aisance. La mère, qui sait calmer les besoins physiologiques de son bébé et surtout l’entourer de tendresse et de sollicitude, lui communique jour après jour la confiance en un monde extérieur capable de le protéger contre les dangers. Elle lui apprend à se reposer sur les bienfaits prodigués par un échange humain. Cette relation faite de tendresse et de sollicitude est la condition nécessaire pour avoir la capacité de rêver. Alors que le nouveau-né s’endort instantanément dès qu’il est repu, le bébé de sept ou huit mois qui connaît une telle relation glisse plus lentement dans le sommeil. Ses angoisses calmées, ses besoins physiologiques comblés, il peut s abandonner en toute confiance et se détendre avant de s’endormir tout à fait. Dans ce repli sur soi qui précède le sommeil, il expérimente le plaisir de se retrouver en tête-à-tête avec ses images intérieures qui commencent à surgir. Peu à peu, il glisse dans le sommeil accompagné de ces dernières qui reproduisent sur la scène interne la présence maternelle réelle. Le plaisir pris à jouer avec les productions de l’imaginaire est indispensable à l’acquisition de la capacité de rêver puisqu’il aide l’enfant à ne pas trop craindre les images farfelues et parfois angoissantes de ses rêves.
Un enfant privé d une relation empreinte de tendresse risque de ne pas acquérir cette confiance fondamentale, et ce, même si ses besoins de base reçoivent satisfaction. Ne pouvant s’en remettre à un adulte qui le protège, il est incapable d’avoir des images mentales plaisantes et rassurantes. Le moment d’aller au lit s’associe à la solitude et à l’abandon. Seul avec ses monstres intérieurs, il demeure aux aguets, n’arrive pas à s’abandonner, la peur le submerge. Quand, après avoir lutté contre le sommeil, l’épuisement le gagne, il s endort, mais la plupart du temps ou bien il ne rêve pas, ou ses rêves se transforment en cauchemar. Pour bien dormir et rêver, 1 enfant doit aussi apprendre à apprivoiser ses émotions. Parce qu’il n’est pas encore en mesure de les traduire en sentiments et en paroles lui-même, sa mère se charge de le faire pour lui. En mettant en mots le désordre intérieur qu’il éprouve sans pouvoir 1 identifier, elle le calme et l’aide à former des images mentales. L’enfant privé de mots en provenance de l’adulte ne sait que faire avec sa tension. Il ne conçoit pas d’images mentales pour nourrir les rêves et son sommeil est perturbé par des terreurs nocturnes qui n’ont pas de contenu psychique.
La capacité d élaboration mentale s’acquiert en même temps que la capacité de rêver. Au fur et à mesure que les pensées prennent forme, le langage apparaît, ainsi que les productions de l’imaginaire : jeux symboliques, rêves nocturnes, fantasmes diurnes. L’enfant devient capable de canaliser ses tensions émotionnelles par la voie psychique aux environs de deux ans, deux ans et demi, âge où apparaissent aussi les premiers refoulements.