L’ostéopathie moderne : les pivots et la cinésiologie
Ostéopathie moderne
Le corps, édifice cadenassé par des ligaments au rôle totalement passif, ne se met en mouvement, nous l’avons vu, que grâce à une multitude de muscles, petits et grands, dont nous savons que la longueur et l’orientation des fuseaux qui les composent varient selon la mission qui leur est assignée. Cette architecture mobile n’a qu’une seule finalité : nous permettre de nous déplacer. Marcher, courir, sauter sont toujours au catalogue de la bonne santé. Plus que jamais ce sont les meilleurs antidotes de la sédentarité et des maladies de civilisation.
La marche ou déambulation est une fonction basique de la vie. Elle implique nécessairement l’animation totale du corps. Marcher, c’est mettre un pied devant l’autre. Faire un pas peut se décortiquer ainsi :
- un premier double appui (par exemple antérieur droit-posté-rieur gauche),
- un premier appui unilatéral (par exemple le membre inférieur droit étant portant, le membre inférieur gauche étant oscillant)
- un deuxième double appui (par exemple antérieur gauche- postérieur droit)
- un deuxième appui unilatéral (par exemple membre inférieur gauche portant, le membre inférieur droit étant oscillant).
Poser le pied « avant » sur le sol, c’est exécuter un « appui anté-rieur de réception-freinage » et suppose l’intégrité d’un ligament puissant, le ligament interosseux, tendu entre deux pièces osseuses du pied, l’astragale et le calcanéum. Le freinage est assuré par la contraction musculaire qui assure simultanément la stabilité du pied. Ce rôle de ligament-charnière existe aussi au genou (ligaments croisés). Quant à la hanche, indissociable du complexe lombo-pelvi-trochantérien, des muscles puissants assurent sa stabilité latérale. Ces stabilisateurs musculaires nous aident à marcher droit.
Simultanément, l’autre membre inférieur exécute un « appui postérieur d’élan » qui met en jeu instantanément un mécanisme musculaire, stabilisateur lui aussi.
Arrêtons-nous sur ce double appui. Cette situation où un appui antérieur et un appui postérieur sont présents simultanément s’accompagne de plusieurs mouvements symétriques et harmonieux. Le clinicien, lorsqu’il vous observe déambuler de dos ou de face, peut en tirer des informations d’un grand intérêt pour le diagnostic. En effet, le double appui implique l’adaptation du bassin, du tronc, de la ceinture scapulaire, le balancement des deux membres supérieurs.
On découvre qu’il y a une rotation opposée des ceintures appelées vrillage pour l’une et contre-vrillage pour l’autre. Le vrillage iliaque s’accompagne d’une inclinaison du tronc et d’une ascension du membre inférieur. Cette configuration dynamique qui se rencontre lorsque le corps bouge s’observe très fréquemment à l’arrêt, en position debout ou couchée. C’est un « faux » raccourcissement, une fausse «jambe courte », qu’il est aisé de diagnostiquer à l’examen clinique. Ce n’est pas une pathologie, mais un témoin de l’adaptation à nos constantes postures asymétriques, à nos actes de la vie quotidienne, rarement stables.
Quant au contre-vrillage de la ceinture scapulaire, il ne peut s’effectuer harmonieusement que si les articulations entre la clavicule et le sternum, et entre la première côte et le sternum, possèdent des ligaments-chamières de tension normale.
Selon les travaux des ostéopathes qui ont introduit la notion de pivot dans le fonctionnement biomécanique du rachis, on distingue plusieurs carrefours d’adaptation : D4 pour le vrillage de l’ensemble « ceinture scapulaire-membre supérieur », D9 comme « élément de transition » entre les deux rotations opposées du tronc et L3 pour le vrillage lombo-pelvien. On attribue un rôle de contre-appui avant au duo « clavicule-première côte », et arrière au complexe « C7-D1-1″ côte ».
Le retentissement fonctionnel particulier de ce carrefour, à cause de la présence d’un « fusible neurologique », le ganglion stellaire, est bien connu des spécialistes. Les ostéopathes l’ont constamment sous surveillance clinique. Cet ensemble associant la région cervicale basse, la région dorsale et costale haute et l’épaule constitue lui aussi « un tout » dans les fonctions de la vie courante, une autre unité fonctionnelle, un autre complexe où, là aussi, chaque symptôme, chaque syndrome, aigu ou chronique, devra livrer ses secrets localement ou à distance.
Quant à la tête, une rotation « tête et cou » accompagne toujours le mouvement du bras antérieur. Le triplet occiput-atlas-axis doit s’adapter au pivot D4. C’est à l’axis (C2) que revient le rôle primordial de pivot du rachis cervical supérieur et à l’atlas (Cl) d’effectuer le mouvement qui équilibre l’ensemble l’occiput suivra.
Le « grill » costal et la clavicule sont entraînés par le balancement des membres supérieurs..
Continuons à dérouler le mouvement de la marche avec le demi-pas antérieur. Lors du passage à la verticale, le rôle des puissants stabilisateurs latéraux, orientés horizontalement, est renforcé par le ligament tendu entre la L4 et l’os iliaque, le ligament ilio- lombaire. Celui-ci stabilise les mouvements de torsion du sacrum. Ces muscles, que l’on nomme pelvi-trochantériens, sont de vieilles connaissances de tous les spécialistes de l’appareil locomoteur (rhumatologues, chirurgiens orthopédistes, rééducateurs fonctionnels), car on les rencontre dans de nombreux tableaux pathologiques : névralgies, tendinites, bursites.
Bref, la déambulation exige des pivots articulaires qu’ils tournent, des courbes du rachis qu’elles s’inclinent, des articulations périphériques qu’elles respectent leur fonction, des muscles qu’ils actionnent, des ligaments qu’ils maintiennent solidement. Pour les ostéopathes, la pathologie mécanique de l’appareil locomoteur s’analyse en mouvement : étudier la fonction, décoder le signe, interpréter le symptôme mais surtout poser ses mains pour qu’elles interrogent la globalité du corps. Tel est le sens de la démarche scientifique et clinique de l’ostéopathe.
Rien d’étonnant ensuite si un ostéopathe, après un interrogatoire serré et un examen clinique statique et dynamique, mobilise l’arrière-pied et manipule une articulation entre l’astragale et le calcanéum pour traiter… une migraine, comme frappé d’une inspiration divine. Pivots et adaptation sont à la base du diagnostic clinique ostéo- pathique.
Le modèle biomécanique et clinique:
La lutte contre la pesanteur a contribué, au cours de l’évolution, à modifier la forme et l’orientation des surfaces articulaires de nos vertèbres. L’adaptation motrice est permanente, totalement impré-vue, variant sans cesse au gré des actes de la vie courante. Pour se plier à cette obligation, le mécanisme est proche de la perfection.
Lorsqu’on analyse d’un point de vue purement mécanique le mouvement dans les trois plans, frontal, sagittal, horizontal, tel qu’il peut se produire lorsqu’une vertèbre « s’anime », on observe qu’elle prend obligatoirement un point d’appui sous-jacent, solide et stable. Cette tendance à la stabilité impose de coordonner ses propres mouvements vers un seul objectif : nous adapter à la position érigée en état de pesanteur.
La théorie du trépied vertébral, qui s’applique à toutes les ver-tèbres sauf à l’atlas, repose sur la constatation anatomique que chaque vertèbre présente trois supports indépendants (le disque et les deux facettes articulaires en arrière), il est impossible d’obtenir un mouvement dans les trois plans autrement qu’en présence de sept axes : quatre axes intéressent les mouvements dans le plan horizontal, trois axes verticaux intéressent les mouvements dans les plans frontal et sagittal.
Les études sur le fonctionnement du trépied et des lignes de force en rapport avec la gravité ont débouché sur une doctrine dont les initiateurs ont été Littlejohn, Wernham et Hall, appartenant au courant ostéopathique britannique traditionnel. Pour de nombreux praticiens, dont je fais partie, ce modèle biomécanique dont nous tirons les applications cliniques permet l’examen de nos patients, en charge (debout), donc dans les conditions les plus proches de la réalité dynamique.
Repères visuels, sensations tactiles et raisonnement, tout converge toujours vers les « icônes », ces représentations graphiques du « modèle biomécanique ». John Wernham qui fut mon maître m’a fait ressentir l’application pratique de la théorie. Alors qu’il me soignait des séquelles rachidiennes douloureuses d’un accident de la voie publique, que l’amélioration spectaculaire de mon état me poussait à l’interroger, sa réponse était toujours la même et me laissait perplexe : « Look Maurice… », disait-il en pointant son index vers ses schémas collés au mur, et il ajoutait avec une touche de malice : « Il n’y a pas de secret, je fais la même chose depuis quarante ans »… Ces graphiques occupent une place d’honneur sur mon mur : je les scrute, je les interroge lorsque je ne peux démêler l’imbroglio clinique dans lequel je sombre, je leur obéis lorsqu’ils m’offrent une solution technique, je les décortique pour qu’ils puissent servir d’outil pédagogique à mes patients qui ainsi conçoivent la définition de l’ostéopathie, médecine des tensions et des forces, comme une réalité.
Voici la charte que j’applique fidèlement :
- Les mouvements réciproques, en charge, sont composés des adaptations qui respectent les lois de la physiologie articulaire et des compensations dont les contraintes physiologiques conduisent à la pathologie.
- Lorsqu’il existe une mauvaise utilisation des axes verticaux, se produit une désadaptation locale qui engendre la
véritable lésion mécanique, permanente, qu’il faudra corriger, afin de leur restituer un fonctionnement physiologique normal.
- Lorsqu’on associe une mauvaise utilisation des axes verticaux et horizontaux, l’organisation des segments sus- et sous- jacents provoque une compensation ou lésion pathologique. La meilleure correction possible est 1’ajustement vertébral : normaliser les pivots C2, C5, D4 D9, L3 ; contrôler les tensions et les contraintes que subissent les arches (chaîne musculaire et faciale) ; harmoniser les lignes de force antéropostérieure et postéro-antérieure et libérer les contraintes qui pèsent sur les pivots D4 et L3 ; vérifier les repères de la ligne de gravité qui doit dans un équilibre idéal passer par le pivot D4 et qui s’harmonise avec les deux lignes de force (A-P, P-A) ; la vertèbre axis (C2) est la clé du cou. Elle supporte le segment céphalique et l’atlas est son relais. Son point d’appui est sur C3.
Suivons les recommandations cliniques de Littlejohn : « Les sollicitations du rachis sont souvent causées par les courbures latérales, par les lésions de groupe situées au niveau D4-D5, D8-D10, L2-L3 et C5-C6. Ces lésions expliquent souvent la présence d’une fausse inégalité des membres inférieurs quand il n’y a pas de lésions pelviennes, coxo-fémorale ou des membres inférieurs ». « Pendant le traitement, nous devons porter la correction du point de vue de la posture et restaurer la fonction du rachis dans son ensemble, en équilibrant ses différents segments… Un déséquilibre du pelvis produira des symptômes au niveau de la hanche, du genou et du pied.
L’équilibre de la colonne vertébrale est maintenu par des compensations ; afin d’équilibrer la pesanteur pendant la station érigée, le corps fait usage des points faibles au niveau desquels il faut restaurer des compensations. Ces points sont situés au niveau lombo- sacré (L5), au niveau D11-D12 qui représente le point central où le corps tente d’équilibrer le tronc par rapport à la résistance pelvienne et au niveau C7-D1.
Ce dernier est le point d’équilibre entre le cou et le thorax et compense la faiblesse de la base pelvienne. » « Dans le cas où une compensation a lieu au niveau des membres inférieurs, nous retrouvons souvent une rotation externe des membres inférieurs, accompagnée d’une contrainte et d’une tension des fibres postérieures des ligaments capsulaires et du ligament en Y (hanche).
Ceci occasionne une contrainte de séparation des articulations sacro-iliaques… cette compensation des membres inférieurs s’accompagne d’une lésion de l’iliaque qui s’antériorise, ou d’une fixation antérieure et inférieure de l’ilium sur le sacrum. Une éversion de la voûte plantaire accompagne ce type (le phénomène inverse est engendré par la rotation interne) ; dans tous ces états de déséquilibre, des lésions de compensation se localisent au niveau D11-D12, D2, C5-C6, C1-C2… »
Le message est clair. Les choix de la conduite clinique et théra-peutique sont orientés par l’analyse des tensions et des forces. Un diagnostic de convergence s’impose avec la pathologie de l’appareil locomoteur, la recherche de ses causes médicales, ses interprétations biomécaniques, ses lésions anatomiques (anatomopatholo- gie). C’est notre exercice médical quotidien. Mieux trier, pour être plus efficace.
La dysfonction articulaire et les symptômes qui l’accompagnent ne sont donc pas considérés comme une cause de maladie mais plutôt comme l’une de ses nombreuses conséquences, qui peuvent être réversibles. Elle fait simplement partie du tableau de la maladie et de son évolution. À charge pour le praticien d’établir le catalogue des causes (recherche de l’étiologie), de les classer chronologiquement, de comprendre l’organisation des désordres.
Les ostéopathes nomment dysfonction primaire celle qui est apparue la première et secondaire celle qui est rattachée à la compensation. La primaire a laissé une trace que l’on peut retrouver en interrogeant la consistance de certains tissus ou le craquement de certaines articulations. Elle n’est pas nécessairement un traumatisme (entorse, fracture, luxation) : c’est parfois un organe infecté qui a guéri mais ne fonctionne pas comme il le faudrait, ou une vilaine cicatrice, quel que soit son siège, ou une chirurgie plastique et réparatrice faciale, mammaire. Si elle est traumatologique, ancienne ou récente, elle doit être analysée à l’aide des documents existants (imagerie, compte rendu opératoire et hospitalier), examinée cliniquement et entraîner une «réparation manuelle » au moment opportun, en tenant compte des choix thérapeutiques antérieurs, en s’assurant qu’il n’existe aucune contre-indication et que le bénéfice soit réel.
La distinction entre dysfonction primaire et secondaire est théo-rique car en pratique il n’est souvent pas possible de s’y retrouver ; la dysfonction secondaire possède, elle aussi, sa propre marque de fabrique pathologique (en général il s’agit de symptômes isolés et inclassables).
Il n’en reste pas moins que le praticien expérimenté se garde bien de transgresser la règle dite « de la progression inverse » vers la « lésion primaire ». Lorsque la conduite thérapeutique a été définie, il faut la respecter. Plus elle est ancienne, plus elle doit être traitée la dernière après une bonne préparation des tissus mous. Sinon, gare aux effets secondaires, parfois très invalidants, à l’aggravation des symptômes, qui ne manqueront pas d’alerter le patient et de remettre en cause le succès final du traitement.
Si le praticien dispose toujours des lois de Fryette pour analyser une dysfonction vertébrale, il lui faut aussi d’autres moyens que ses connaissances en anatomie viscérale, en physiologie articulaire et en pathologie médicale pour s’aventurer aux extrêmes du domaine d’action de l’ostéopathie. Il est facile d’orienter sa pratique, car il n’y a pas d’articulation exclue.
L’appareil locomoteur reste le champ clinique et thérapeutique privilégié de notre discipline. Nous y sommes à l’aise et efficaces. La prudence impose le plus souvent de ne pas se risquer avec les mêmes certitudes dans d’autres chapitres de la médecine. Lorsque le syndrome clinique le justifie, le praticien sera conduit à utiliser des techniques dites de tissu mou ou des techniques visant à mobiliser des viscères. Il doit respecter la règle de la correction de la « lésion primaire », ce qui suppose un suivi thérapeutique sérieux, puisqu’il est possible que des effets secondaires imprévus en rapport avec la désorganisation temporaire du schéma corporel surviennent.
Dans la conception moderne de la médecine ostéopathique, il ne peut y avoir, pour être efficace, de dualité entre les courants « structurel et fonctionnel ». Il s’agit de retrouver les désordres des structures, de restaurer des fonctions, de modifier un terrain. La répression symptomatique n’est pas la réponse que proposent les ostéopathes, même si le patient en fait une aspiration légitime. Dans la pratique quotidienne, nous sommes parfois dans l’obligation de répondre à cette attente.
C’est un trait particulier de notre succès. Mais même dans ce cas, le patient doit être sensibilisé et responsabilisé à l’approche holistique (globale) de sa maladie et de sa guérison. Pour les ostéopathes, il ne fait aucun doute que la continuité entre le pied et l’articulation temporo-mandibulaire existe, que le lien vertèbre-fonction viscérale existe, que le lien viscère-muscles-squelette existe, que le diagnostic de la dysfonction est possible, même s’il est difficile, et que la perturbation qui affecte la mobilité est le facteur physique qu’il faut rechercher et traiter. À propos de la lésion ostéopathique, citons A.T. Still : « Trouvez-la, traitez-la, et n’y touchez plus. » Il nous faut donc convaincre nos patients pour qu’ils adhèrent à ce dogme qui est, pour eux, la meilleure garantie du succès de leur traitement.
Vidéo : L’ostéopathie moderne : les pivots et la cinésiologie
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Une réponse pour "L’ostéopathie moderne : les pivots et la cinésiologie"
bonjour:problème des maux de dos(entre les épaules)à force que je me suis resté debout toute une nuit,avec la conduite de ma voiture sur 1100Km j’ai des fourmillement sur la face avant de mes cuisses surtout la gauche et un mal à l’epaule droit,que doit faire?