L'excrétion : le corpuscule rénal siège d'une filtration sélective du plasma sanguin
La première étude anatomique du rein fut réalisée par le médecin italien Bartolomeo Eustachi (1500-1574) qui, en 1574, rédigea un Opuscula anatómica incluant une étude consacrée à cet organe, intitulée « De renum structura ». Mais c’est au XVIIe siècle que l’his¬tologie du rein fut précisée. En 1661, le médecin et naturaliste italien Marcello Malpighi (1628-1694) décrivit le corpuscule rénal qui porte son nom. L’année suivante, c’est encore un Italien, Lorenzo Bellini (1643-1704), professeur de médecine et d’anatomie à l’université de Pise, qui apporta sa contribution à l’élucidation de la structure histologique du néphron – l’unité morphologique et fonctionnelle de base du rein – en décrivant, dans Exercitationes anatomicae duae de structura et sus renum, les tubes collecteurs. La structure complète du néphron ne fut connue qu’en 1842, à la suite des travaux du chirurgien et anatomiste anglais William Bowman (1816-1882).
Le fonctionnement rénal fit l’objet d’hypothèses, comme celle de l’Allemand Karl Wilhelm Ludwig (1816-1884), professeur d’anatomie et de physiologie, qui proposa une application des lois de l’hydrodynamique à l’une des parties du néphron, le glomérule rénal: « Dans le glomérule, finalement, existe une structure filtrante infiniment déli¬cate mais très efficace. L’élargissement qui apparaît en ce point de la vascula¬risation est rapidement suivi par un rétrécissement des vaisseaux, provoque ainsi une contraction substantielle du flux sanguin et produisant une pression importante sur les membranes vasculaires. » K. Ludwig, De viribus physicis secretionem urinae adjuvantibus, 1842. La physiologie du néphron ne fut toutefois abordée de manière expérimentale qu’à partir du début du XXe siècle.
L’expérience de Wearn et Richards (1924):
En 1924, Joseph T. Wearn (1893-1984) et Alfred N. Richards (1876-1966), deux méde¬cins américains, mettent au point chez le necture (Necturus maculosus, un amphibien urodèle) une méthode de prélèvement de fluide dans la capsule de Bowman. Cet animal est choisi car ses glomérules sont de grande taille et peu nombreux, ce qui rend le travail de ponction du liquide glomérulaire – qui n’est autre que l’urine primitive – plus aisé.
Wearn et Richards mettent au point un dispositif expérimental particulier. Un petit tube de quartz de 1 mm de diamètre est étiré à la flamme de manière à ce que l’extrémité ait un diamètre intérieur de 10 à 20 pm. Cette pipette est reliée à une branche d’un robinet à 3 voies. La deuxième branche du robinet, perpendiculaire à celle reliée à la pipette, est connectée par une longue tubulure de caoutchouc à une ampoule de verre contenant du mercure. En jouant sur le niveau de l’ampoule, l’ensemble de l’appareillage est rempli de mercure. Pour faciliter le remplissage du dispositif, la troisième voie du robinet, c’est-à-dire la branche opposée à la pipette, est reliée à un morceau de tube de caout¬chouc terminé par un embout de verre. Après insertion de la pipette dans la capsule, l’ampoule de mercure est abaissée de manière à créer une dépression et aspirer le liquide glomérulaire. Le liquide est ensuite expulsé de la pipette dans un tube en verre pour dosage.
Les deux médecins réalisent des microponctions glomérulaires sur 16 amphibiens, dont certains ont reçu des injections sous-cutanées de glucose ou de chlorure de sodium. Les protéines, le glucose et l’ion chlore sont recherchés dans le plasma et l’urine gioméruiaire. L’analyse de cette dernière révèle une composition en glucose et en ions chlorures comparable à celle du plasma sanguin. Le glomérule laisse donc filtrer les ions chlorures et le glucose dans l’urine gioméruiaire. En revanche, les protéines présentes dans le plasma ne sont pas retrouvées dans l’urine gioméruiaire. L’expérience montre ainsi que le corpuscule rénal est le siège d’une filtration sélective du plasma sanguin.
L’expérience de White (1928):
En 1924 et 1928, le médecin et physiologiste américain Harvey L. White (1896-1977) mesure, toujours chez le necture, les différentes pressions s’exerçant au niveau du corpus¬cule de Malpighi :
- la pression hydrostatique du sang dans les capillaires glomérulaires (pression hydro-statique glomérulaire, PHG)
- la pression hydrostatique exercée par l’urine contenue dans la capsule de Bowman (pression hydrostatique capsulaire, PHC)
- la pression osmotique du plasma, due à la présence de protéines (Po)
La pression hydrostatique glomérulaire est une force qui s’exerce sur la paroi capillaire et tend à provoquer une sortie de liquide du compartiment plasmatique. La pression hydrostatique capsulaire est une force de sens opposé, qui tend à faire pénétrer du liquide dans le compartiment plasmatique. La pression osmotique du plasma tend elle aussi, selon les lois de l’osmose, à faire entrer de l’eau dans le compartiment plasmatique. La pression hydrostatique glomérulaire et la pression hydrostatique capsulaire sont déterminées par simple lecture, en reliant une micropipette insérée dans un capillaire sanguin ou dans la capsule de Bowman à un manomètre à eau, c’est-à-dire un tube en U rempli d’eau et dont l’une des branches est graduée.
La mesure de la pression osmotique est plus longue à mettre en œuvre. Un sac de nitrocellulose – matière hémiperméable (qui laisse passer l’eau mais pas les ions) – d’un volume de 1 cm3 environ est rempli du plasma dont on cherche à mesurer la pression osmotique, puis relié à un tube en verre de faible diamètre et de 10 à 15 cm de longueur. Le tube étant maintenu en position verticale au-dessus du sac, ce dernier est plongé pendant 8 heures dans une solution de NaCl à 0,7%. Selon le principe de l’os¬mose, des mouvements d’eau s’établissent à travers la membrane hémiperméable du milieu le moins concentré vers le milieu le plus concentré. Si le plasma est plus concentré que la solution de NaCl, ce que va démontrer White, la membrane de nitro¬cellulose est le siège d’un flux d’eau entrant qui fait monter le niveau dans le tube. Le niveau atteint par le liquide dans le tube donne donc une valeur de la pression osmo¬tique du plasma en cm d’eau. Une pression résultante, dite pression nette de filtration [PNF = PHG – (Po +PHC)], Peut ainsi être calculée. White trouve une valeur minimale de 11 cm d’eau ce qui, d’après lui, est suffisant pour expliquer la formation de l’urine primitive par une filtration du plasma au niveau du glomérule rénal. Il conclut donc que la formation de l’urine primitive à partir du plasma sanguin est un phénomène passif.
En 1941, la technique de microponction glomérulaire est appliquée aux rongeurs. Les résultats obtenus confirment l’ensemble des paramètres mesurés chez les amphibiens c’est-à-dire aussi bien les donnees sur la composition de l’urine glomérulaire que les valeurs de pression exercées au niveau du glomérule rénal.