L'évolution de la mère et du couple
Le choix du couple : l’influence du père
Poursuivre l’allaitement s’inscrit dans une dynamique familiale et reste le choix du couple. Si la mère est bien placée pour sentir la nécessité de prolonger l’allaitement maternel, il n’est pas question à ce stade qu’elle court le risque de s’isoler dans cette relation à son enfant. C’est pour elle, plus que jamais, le moment d’être à l’écoute de ce qu’exprime (ou non) son homme, afin que sa plénitude maternelle se laisse pénétrer de l’énergie masculine, dynamisante pour un meilleur équilibre de l’un et de l’autre.
La dynamique extérieure à réinvestir
La grossesse, les premiers mois après la naissance et la mise en place de l’allaitement chez la femme ont surtout sollicité une dynamique intérieure qui anime les sensations et les émotions, et qui appelle à l’écoute de soi et de son bébé. Concrètement, la femme a passé beaucoup de temps à la maison ; cette phase, comme nous l’avons vu dans les chapitres précédents, est indispensable à la mise en place du pôle maternel et de l’allaitement. Mais, au bout d’un certain temps passé dans « son intérieur », même dans le plaisir de s’occuper de son bébé et tout en voulant continuer d’allaiter, elle peut, poussée par un élan, ressentir un besoin d’aller dehors. Tout le monde est ballotté entre ces deux dynamiques : c’est le principe même de la vie. La reprise du travail, moteur pour stimuler cette extériorisation, tout en étant pour beaucoup de femmes avant tout une nécessité économique, offre aussi à certaines la possibilité d’épanouir une autre facette de leur personnalité. Celles qui ne travaillent pas ou qui ont eu la possibilité de repousser la date officielle de reprise peuvent aussi, à un moment donné, ressentir ce besoin de sortir de la bulle. Certaines culpabilisent d’éprouver cette sensation, comme si elles devaient être uniquement comblées par leur enfant. Mais n’est-ce pas l’idéal quand ce sentiment perce naturellement en son heure et son temps ? Il peut s’exprimer clairement par la sensation d’étouffement et d’enfermement, mais il peut aussi rester inconscient et emprunter une voie détournée pour se manifester : une fatigue constante, un ennui, un laisser-aller corporel… Le caractère devient changeant, râleur, sans qu’on sache vraiment pourquoi. Ce sentiment est l’expression d’une énergie créatrice qui ne s’écoule pas à l’extérieur. Elle tourne en rond à l’intérieur, absorbe la vitalité et entraîne la fatigue. La femme submergée sort cette énergie sous forme de rouspétances et de mécontentements fréquents. Ce qu’elle reproche au monde entier (et surtout à son compagnon) est le reflet de l’inactivité qu’elle ne supporte plus en elle. Ces signaux d’alarme l’incitent à reconquérir son autonomie, ce qui laisse la place à l’enfant pour construire la sienne.
Autonomie pour la mère, pour l’enfant
L’enfant a un besoin vital de cet espace de séparation pour se différencier et construire son moi. L’ouverture de la mère à l’extérieur engendre et structure la vie intérieure de l’enfant. C’est dans les moments d’attente et d’absence que l’enfant trouve l’espace pour élaborer sa vie psychique. La mère, source première de confort et de sécurité, devient, par la distance qu’elle prend, moteur d’individualisation de l’enfant. Dans cette étape, le père joue un rôle prépondérant. Il en est le médiateur en reconnaissant la féminité de sa conjointe ; par son désir, il met en valeur l’amante, et l’aide à réinvestir sa créativité extérieure. Mais l’allaitement peut s’avérer être, pour la femme, un obstacle à cette ouverture sur l’extérieur. Il ne lui donne peut-être pas assez d’espace et de temps. Nous allons voir que le bébé, à partir de quatre mois, peut tout à fait goûter et s’adapter aux nouveaux aliments : ceux de la terre prennent alors le relais. Une tétée ou deux remplacées par un lait végétal ou une compote peuvent donner à la mère cet espace de liberté.
Si la femme travaille tout en continuant d’allaiter, il est important d’être attentif à ce que l’allaitement ne se fasse pas en force et aux dépens de l’équilibre psychique de la femme et du couple. Si nous écrivons ce livre pour aider le père et la mère à vivre cette période d’allaitement le mieux et le plus longtemps possible, nous sommes aussi convaincues que, parfois, il est plus souhaitable pour l’enfant d’être sevré (toujours progressivement) de lait que d’être sevré de la bonne humeur et de la santé de sa mère ou de son père. Tout en vous conseillant de réinvestir cette dynamique extérieure, nous sommes conscientes, pour le vivre au quotidien, de l’acrobatie qu’effectue une femme qui a des enfants tout en travaillant. Les allaiter en constitue une de plus. Nous savons par expérience que le jeu en vaut la chandelle, même si le long terme est plus visé que le court terme. En attendant, il est certain que cette acrobatie – élever ses enfants tout en exerçant une activité professionnelle – n’est pas toujours pleinement reconnue. Nous avons eu envie de décrire la folle journée de cette femme… qui en vit plusieurs à la fois.
Femme, allaitement et travail : plusieurs femmes en une
Il est aujourd’hui une femme qui vit à plusieurs dans la même. Toutes ces femmes se disputent l’emploi du temps d’une seule journée. Elles se métamorphosent de l’une à l’autre au gré de leurs diverses activités.
Hagarde, elle se dirige vers la cuisine, épluche quelques légumes pour le soir et met en route le petit déjeuner, qui se déroule dans l’odeur de la soupe de poireaux qui mijote. Pour préparer les enfants, le sac pour la journée, la deuxième femme prend le relais.
Elle s’habille, se parfume, se maquille (garde le rouge à lèvre à mettre dans le métro) : la professionnelle se pare…
La course à la crèche ou chez la nourrice, un passage dans le métro ou dans le train, un dernier coup d’œil sur ses épaulettes, toujours recouvertes du crachouillis matinal de bébé (sa façon à lui de dire au revoir), et la voilà qui entre dans son bureau, prête à assurer sa journée professionnelle. Esprit pointu, attention soutenue, décision prise ou à prendre, elle se faufile de téléphone en téléphone, de rendez-vous en rendez-vous mais, brusquement à un tournant de la journée, la mère en elle fait irruption : « Le médicament est resté dans le sac ! » Coup de téléphone à la nourrice pour le faire donner au bébé.
À l’heure du déjeuner, si elle allaite encore, elle prend le temps de tirer son lait pour le lendemain, s’installe dans son bureau loin des regards indiscrets et fait appel à son sens maternel pour laisser le lait couler. Puis la professionnelle s’impose de nouveau : elle travaille, est en réunion, écrit, tape ; quelle que soit sa profession, elle est sur l’extérieur. Coup d’œil à la montre et la voilà rappelée mère, qui lui souffle l’heure des courses qu’il reste encore à faire.
Alors, elle repart, court les magasins et, sacs en plastique à la main, retrouve son bébé un peu grincheux de la fatigue de la journée. À qui d’autre peut-il la montrer, cette fatigue, si ce n’est à sa mère ? Le bain, le repas, la tétée relèguent la professionnelle à l’arrière-plan.
Quelques larmes de découragement : elle aurait tant aimé elle aussi prendre un bain et se poser ! Mais bébé ne lâche pas ; il a tant besoin de la retrouver. Il s’endort enfin, repu de sommeil et de lait. Elle s’assoit… Ouf ! Elle se tourne alors vers son compagnon (qui a parfois autant participé aux tâches) ; mais, au fait, où est passé l’amante, qu’elle n’a pas vu de la journée, ni depuis quelques jours d’ailleurs ? Comment la faire vibrer sous tant de fatigue et de lassitude ?