L'anorexique hospitalisée
L’anorexique hospitalisée : raisons d’un cadre adapté et d’un contrat précis
Plus que les divers programmes thérapeutiques proposés, qui peuvent varier d’une équipe à l’autre ou d’un patient à l’autre, il faut surtout insister sur l’importance de la notion de contrat d’hospitalisation, dont le principe mérite d’être bien compris. Cette notion concerne tous les temps d’une période délicate durant laquelle le médecin pourra jouer un rôle de soutien et d’accompagnement déterminant :
– auprès de l’anorexique et de ses parents lors de la préparation à l’hospitalisation, de la décision et du choix du lieu d’hospitalisation pressenti, et des diverses négociations à ce niveau ;
– auprès des parents durant la période d’hospitalisation proprement dite, et donc de séparation, en liaison avec l’équipe hospitalière ;
– auprès de l’anorexique et de ses parents à nouveau, après la sortie, toujours en liaison avec l’équipe hospitalière si elle- même assure ou supervise un suivi.
Ce qui rend le contrat et surtout son bon usage nécessaires :
La simple présence d’une anorexique dans un service hospitalier n’est jamais chose banale, surtout lorsque ce service n’y est pas particulièrement préparé ou que les objectifs thérapeutiques n’ont pas été suffisamment clarifiés.
L’anorexique, une patiente très singulière :
L’anorexique se distingue toujours fortement des autres patients hospitalisés et génère toujours autour d’elle un climat très particulier. Elle entre avec une maladie dont le retentissement visible fait peur parfois, répugne ou fascine selon les cas, et qui surtout défie toute compréhension rationnelle. Plus encore, cette maladie aux allures de délinquance voire de toxicomanie alimentaire affiche tous les éléments d’une résistance, voire d’une provocation, souvent difficiles à supporter, sources possibles de contre-attitudes mal maîtrisées de la part de certains personnels. Le principe même d’un « contrat d’hospitalisation » peut enfin paraître très inhabituel, sa nécessité comme la cohésion sans faille de l’équipe soignante à son égard pouvant être mal comprises, controversées ou simplement très difficiles à respecter. De plus, l’anorexique hospitalisée est le plus souvent, passée l’urgence métabolique éventuelle et malgré sa maigreur, relativement peu consommatrice d’explorations ou de soins médicaux. Elle pourrait vite se voir résumée en un corps maigre qu’il faut s’évertuer à faire grossir, objet d’une simple surveillance somatique de principe au fil de semaines ponctuées de « crises d’autorité » répétées face à une stagnation clinique, ou de périodes plus sereines pour les soignants du seul fait de l’enregistrement d’un gain pondéral.
Danger d’une prise à la lettre du comportement manipulateur :
Dans ce type de contexte, on conçoit qu’il puisse être passablement difficile pour les soignants de percevoir chez l’anorexique sa peur de ce qui pourrait suivre la perte de sa « défense » anorexique, ou de comprendre sa perpétuelle angoisse d’être à la fois déçue par les autres et de les décevoir. Le risque est alors que seul soit retenu l’effet le plus visible de cette dynamique de fonctionnement, à savoir le comportement manipulateur, qui en réalité parasite de façon bien involontaire l’ensemble des relations que l’anorexique entretient avec les autres tout comme avec elle-même.
Deux types d’attitude à éviter autant que possible
Face à l’anorexique hospitalisée, deux attitudes schématiquement opposées sont particulièrement à même de menacer le projet thérapeutique quel qu’il soit, dans la mesure où elles ne peuvent que contribuer à renforcer le symptôme. Il s’agit de l’attitude abandonnique et de l’attitude coercitive. Ces deux attitudes, certes caricaturales, ne sont que l’illustration des réactions assez typiquement conflictuelles que suscitent si souvent les patients anorexiques au sein d’un milieu d’accueil. Elles risquent toujours d’accroître la sensation d’isolement et la radicalisation du symptôme, l’anorexique pouvant finir par pétrifier l’ensemble de sa relation à l’équipe soignante en une chose fonctionnelle, mécanique et surtout totalement dépourvue de plaisir. Les parents, dans ces circonstances, peuvent se sentir de plus en plus exclus, ou à l’inverse renforcés dans leurs tentations de complicité avec leur enfant « contre l’hôpital ».
– Dans le premier cas, les soignants opèrent sans contrat particulier et sans réelle séparation d’avec le milieu familial. Ils préfèrent ignorer la signification de l’opération malgré tout souvent tentée par l’anorexique, à savoir un essai tout aussi ambivalent que maladroit pour susciter des réactions à son égard, appel au secours qui bien sûr ne porte jamais son nom. L’attitude consiste alors à ne se préoccuper que de la surveillance somatique, et de n’échanger avec l’anorexique et ses parents qu’en ce sens. L’écoute, aussi bienveillante soit-elle par ailleurs, demeure passive et neutre, dans un souci implicite d’éviter toute situation conflictuelle. D’une certaine manière, cette attitude de réserve courtoise répond exactement en miroir à la complaisance de surface que l’anorexique prend si grand soin de cultiver. Mais si l’anorexique redoute à ce point les relations conflictuelles, c’est précisément parce que paradoxalement, elle en a un grand besoin. La priver systématiquement de ce moyen de libérer ses tensions internes ne peut aboutir qu’à l’abandonner, seule, à la violence de ses désirs et aux contradictions qu’ils recouvrent, risquant d’aboutir in fine à un durcissement défensif et manipulatoire de ses comportements.
– Dans le second cas, les soignants utilisent un contrat mais se bornent à interpréter le comportement de l’anorexique à un niveau purement primaire de résistance. Qu’ils s’y attaquent directement, ou qu’ils feignent de le mépriser tout en organisant de fait une surveillance serrée des comportements alimentaires, le résultat est le même : les soignants réagissent exactement comme les parents l’ont souvent déjà fait et comme l’anorexique s’y attend, en jouant le même jeu qu’elle. Le traitement, dans de telles conditions, devient finalement une lutte de pouvoir vite exaspérante. L’isolement ou les mesures de renutrition intempestives peuvent facilement devenir ou être vécus comme autant de moyens de contention destinés à vaincre les résistances, ou à un degré de plus, sanctionner. Dans ce droit fil, le principe même de « contrat volontaire » peut se retrouver rapidement perverti en une sorte de prescription unilatérale, restrictive et autoritaire.
Une disposition qui sache contenir et manier les paradoxes :
Entre les deux attitudes sus-décrites, c’est un compromis qu’il faut apprendre à dégager, en comprenant que l’anorexique est une malade :
— très dépendante de son cadre familial, cherchant à tout prix à éviter le conflit naturel de dépendance-autonomie de l’adolescence, et chez qui l’alternative à la dépendance ne laisse place qu’à un sentiment intolérable d’abandon ;
— qui s’ignore « malade » ou se comporte comme telle, du moins initialement ;
— qui a fini par se persuader que l’idée même de manger, ou pire de grossir, est la chose la plus terrible qui puisse lui arriver ;
— qui se trouve au départ dans l’impossibilité d’échanger ses symptômes contre une relation émotionnelle avec autrui réelle et non factice, et pour qui la perspective d’une telle relation est redoutée comme une intrusion, une source d’anxiété et de conflit à éviter par tous les moyens ;
— face à laquelle une approche purement symptomatique (nutrition entérale) ou comportementale, quels que puissent en être les nécessités circonstancielles et les effets à court terme sur le poids, ne pourra jamais prétendre être la seule « cure » de la maladie.
En fait, et derrière son attitude défensive faussement volontaire, l’anorexique reste toujours en proie à un immense besoin de contacts relationnels authentiques, tout en étant possédée par une peur non moins immense d’être déçue ou de devenir trop dépendante. L’attitude idéale devrait tenir compte et s’inspirer de ce paradoxe en permanence, en essayant de permettre à l’anorexique d’aboutir à ce qu’elle désire (y compris reconnaître son plaisir à manger) sans toutefois qu’elle ait à l’admettre. Cette attitude, certes délicate, vise à créer pour l’anorexique les conditions d’un « espace d’expérimentation » à la fois progressif et pas trop menaçant, capable de favoriser des échanges diversifiés et de plus en plus gratifiants. Ces conditions lui permettront en retour, et presque à son insu, de désinvestir son comportement alimentaire au profit de nouvelles sources de plaisir dans la relation.
Rôle pivot du système de contrat :
Le contrat n’est autre que la définition des éléments du cadre thérapeutique dans lequel va s’inscrire le travail au cours du séjour hospitalier. Ce cadre, qui implique toujours une séparation d’avec la famille, n’est évidemment pas des plus faciles à accepter a priori par l’anorexique et ses parents, enfermés qu’ils sont dans une interdépendance particulièrement intense. La séparation d’avec le milieu familial vise précisément à rompre les interactions pathogènes autour du symptôme et à créer les conditions propices à une mutation de cette organisation défensive et dangereuse pour l’anorexique elle-même. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si cette question de l’hospitalisation n’est souvent soulevée qu’au terme d’une crise ayant pu déjà évoluer depuis des mois, sinon des années, au sein d’un milieu familial ayant pourtant su maintenir une cohésion pour le moins étonnante compte tenu des circonstances.
Dans ces conditions, l’importance du contrat ne tient pas tant à ses modalités particulières, qui peuvent varier selon les habitudes des équipes ou en fonction des situations particulières des patients, que dans le fait même de son existence et de sa négociation préalable entre ses trois partenaires principaux que sont l’anorexique, l’équipe hospitalière et les parents. Surtout, ce contrat n’est réellement crédible que s’il est agréé, et par conséquent volontaire (cet adjectif n’est pas neutre, surtout pour une anorexique). Une fois fixé, il doit être respecté par tous « comme s’il s’imposait de l’extérieur et ne dépendait plus de leur désir » (Ph. Jeammet).
En définitive, l’existence et surtout la pérennité du contrat :
– procurent à l’anorexique un espace propre nouveau qui respecte son individualité tout en la confrontant à une exigence de résultat ;
– rendent possibles et complémentaires, de la part des soignants, des positions de fermeté et d’empathie ;
– aménagent une limite qui protège en fait tout autant l’anorexique, son entourage et les soignants d’attitudes mal contrôlées ;
– permettent à l’anorexique tout comme à ses parents de tester, et partant de vérifier sans trop de risques la constance du système de soins ;
– offrent à l’anorexique, ainsi dégagée des pressions directement exercées par ses proches, la possibilité d’éprouver de nouvelles relations diversifiées et si possible progressivement gratifiantes, favorisant chez elle un début de remise en question et de mise en perspective de ses comportements ;
– peuvent favoriser chez les parents, eux-mêmes libérés de l’objet principal de leurs conflits domestiques mais confrontés à un manque difficile, un travail sur eux-mêmes et sur leur dynamique relationnelle familiale.
Méthodes thérapeutiques :
La durée de l’hospitalisation sous contrat d’une anorexique est rarement inférieure à 2 mois, avec une moyenne ordinaire de 3 mois (indépendamment de l’orientation médicale ou psychiatrique du service). Il peut arriver cependant que certaines situations particulièrement difficiles, au niveau d’un service psychiatrique, requièrent une durée beaucoup plus longue (6 mois, voire plus). Les méthodes thérapeutiques utilisées au cours de l’hospitalisation sont nombreuses. Leur choix dépend beaucoup du profil du service, de son cadre conceptuel, de ses moyens et peut-être aussi de ses habitudes.
Certaines méthodes ont presque valeur commune :
Il s’agit essentiellement de l’approche comportementale générale que sous-tend le contrat dans sa dimension évolutive, du travail institutionnel assuré par les divers soignants au quotidien, des activités récréatives et de l’approche psychothérapeutique individuelle. S’y associe une certaine forme de travail parallèle auprès des parents, reconnue maintenant comme indispensable au cours du processus.
Points principaux du contrat :
Ils sont en général résumés sous forme d’un document écrit, un exemplaire étant remis à l’anorexique, à ses parents et à l’équipe soignante. Il précise le caractère a priori non déterminé de la durée de séjour, les modalités de la séparation (absences de visites, de courrier, de téléphone), les modalités diététiques et certains détails pratiques comme les échanges de linge, etc. Il peut même comporter un isolement en chambre, dont la levée sera assujettie à l’évolution pondérale initiale. Le contrat précise également le nom du médecin réfèrent et parfois aussi celui du psychothérapeute.
Pour les parents, il fixe la rythmicité des appels aux fins de nouvelles (une fois par semaine par exemple), et la fréquence prévue des entretiens avec le médecin référent (une fois tous les quinze jours en général). Le contrat gagne en outre à préciser qu’en cas de besoin exprès, une réanimation métabolique ou une assistance nutritionnelle entérale pourra être prescrite, le cas échéant. Il est très important que la nature évolutive de ce contrat soit bien comprise, étant bien spécifié que ses termes sont modulables en fonction de l’évolution clinique et générale.
Travail institutionnel :
Il est assuré par l’ensemble des soignants au quotidien. Chacun, dans son rôle propre, s’attache à favoriser les contacts et les échanges avec l’anorexique. Ce travail commun fait l’objet de discussions au cours de réunions de synthèse.
Activités récréatives :
Elles n’ont a priori rien de différent des activités occupationnelles habituellement proposées aux autres adolescents hospitalisés (jeux divers, travaux manuels et artistiques, musique, écriture, etc.). Elles gagnent à être supervisées par un animateur, un éducateur ou un enseignant responsable. L’accès à ces activités peut faire partie intégrante des mesures d’ouverture du contrat, lorsque l’hospitalisation comporte un isolement en chambre initial.
Travail scolaire :
En revanche, le travail scolaire est généralement exclu ou sinon assez étroitement encadré. Il aurait en effet trop souvent tendance à rapidement envahir l’espace physique et psychique de l’anorexique à l’hôpital.
Travail parallèle avec les parents :
Outre les entrevues régulières avec le médecin réfèrent, il peut comporter la proposition d’un travail psychothérapeutique (de soutien ou plus en profondeur selon l’indication et la demande) avec l’un des parents, chacun séparément, voire les deux ensemble.
D’autres méthodes sont plus conditionnelles :
Ces approches dépendent plus d’indications particulières ou surtout des moyens et habitudes propres au service d’accueil. On peut citer ici :
– l’ergothérapie ;
– les réunions de groupe d’anorexiques ;
— les approches comportementales focalisées (autour des repas notamment) ;
– le psychodrame analytique ;
— la relaxation, la psychomotricité et autres approches corporelles ;
— le travail familial, à l’aide de séances réunissant l’anorexique et ses deux parents (cette approche, complémentaire mais non contradictoire avec le principe de séparation, peut représenter un appoint important en particulier chez les patients les plus jeunes) ;
– pour les parents, outre l’indication d’un travail psychothérapeutique personnel, la participation aux activités d’un groupe de parents d’anorexiques. Cette disposition n’est malheureusement pas disponible partout. Il s’agit d’une activité en général mensuelle, supervisée par un ou deux psychothérapeutes du service.
Question de l’approche diététique :
Cette question demeure controversée, deux attitudes pouvant schématiquement être adoptées en la matière :
– La première, à laquelle beaucoup d’équipes souscrivent, consiste à ne surtout pas faire de la diététique un objet de programmation particulier, partant du principe que le problème de fond n’est pas diététique à proprement parler. Il est intentionnellement proposé à l’anorexique de « faire avec » une alimentation normale et banalisée, sans suppléments caloriques ni autres particularités, dont la teneur nutritionnelle et calorique est par définition nécessaire et suffisante pour couvrir les besoins d’une reprise de poids.
– La seconde, qui semble beaucoup plus répandue outre- Atlantique, consiste à aménager la diététique en fonction des préférences initiales de l’anorexique, ou d’un programme plus rigoureusement déterminé de rééducation alimentaire.
Une certaine forme d’approche diététique peut être opportune, surtout dans les situations de décompensation boulimique voire de chaos alimentaire, ne serait-ce que pour proposer un minimum de repères à une patiente totalement désorganisée. Mais une approche diététique, quelle qu’elle soit, n’est concevable que si le conseiller en nutrition (médecin nutritionniste ou diététicienne) est bien conscient de l’aspect intégré et psychothérapeutique de son travail, qui demande d’aller bien au- delà du simple rationnel diététique et de savoir se dégager de la recherche d’une efficacité purement nutritionnelle. N’oublions pas que l’anorexique est le plus souvent déjà devenue une véritable « experte » dans les calculs et manipulations des calories.
Projet de sortie :
Que le contrat stipule ou non un poids de sortie préétabli, il y a toujours grand intérêt à signifier à l’anorexique (et à ses parents) qu’elle ne sera pas pour autant guérie de son anorexie à sa sortie d’hôpital. Cette précision peut considérablement apaiser une anorexique toujours très dépendante, qui redoute naturellement qu’une apparence de guérison (jugée seulement sur son poids ou son aspect) soit trop vite prise pour argent comptant et puisse entraîner un désinvestissement, voire un abandon de la part de son entourage soignant et familial.
C’est entre autres pourquoi la sortie définitive de l’hôpital ne devrait jamais prendre la forme d’une séparation brutale d’avec l’équipe hospitalière, même lorsque la poursuite du suivi est prévue par un médecin et un thérapeute extérieurs déjà connus. La sortie fait donc toujours l’objet d’aménagements préalables, qui tous s’inscrivent dans la phase finale de l’ouverture évolutive du contrat. Par exemple, certains contacts avec l’extérieur sont d’abord progressivement autorisés (courrier, téléphone, possibilités de promenades dans l’enceinte de l’hôpital), alors qu’une première réunion avec les parents est projetée. Cette période réalise un moment privilégié pour chacun, permettant de mieux percevoir la dimension psychologique et relationnelle du symptôme. A ce stade de présortie, on observe en effet parfois une nouvelle stagnation voire une rechute du poids, façon de signifier que la sortie est peut-être finalement autant redoutée qu’espérée. De tels mouvements s’observent aussi à l’occasion des premières permissions à la maison, invitant tout le monde à réfléchir au cours des entretiens familiaux.
Ces entretiens permettent aussi de travailler les questions pratiques incontournables des parents, réjouis mais aussi souvent fort inquiets du retour à la maison, et surtout de bien spécifier la teneur des projets en perspective auxquels il sera demandé à tout le monde de souscrire. Ceci rend impérative la poursuite d’une coordination, assurée au mieux par le médecin référent (somaticien ou psychiatre, selon le type d’hospitalisation ou d’organisation). Ces projets concerneront :
Dans les situations habituelles, certains points méritent attention :
— La garantie d’un suivi somatique et médical général, pour lequel la disposition de collaboration du médecin traitant est évidemment importante.
— La poursuite du travail psychothérapeutique : cet aspect du suivi est fondamental, surtout à cette phase de l’évolution. Si ce travail n’est pas envisageable (ou souhaitable) au niveau même de l’institution, il sera envisagé à l’extérieur, de préférence près du domicile ou de l’école, auprès d’un thérapeute si possible contacté au préalable. Si une forme de travail thérapeutique préexistait à l’hospitalisation, il est toujours a priori convenu de poursuivre avec ce même psychothérapeute.
— Certains réaménagements concrets de la vie quotidienne : possibilité d’une autonomie proportionnelle à l’âge, retour à des habitudes de menus familiaux banalisés, abandon par les parents du réflexe d’une surveillance alimentaire ou pondérale qui devrait relever exclusivement du suivi médical, etc.
– Une réorientation scolaire le cas échéant, si le décalage est apparu manifestement trop grand entre les désirs ou les possibilités académiques réels de l’adolescente et les ambitions de ses parents. En pratique, la facilité avec laquelle la plupart des anorexiques « rattrapent » leur niveau scolaire après une hospitalisation est assez étonnante, les redoublements étant exceptionnels.
– La possibilité pour les parents d’un travail thérapeutique ou de soutien parallèle, en fonction de ce qui aura été préalablement engagé au cours de l’hospitalisation ou des besoins plus spécifiques de chacun.
Dans certaines situations où le retour en famille paraît non encore souhaitable ou trop aléatoire :
L’équipe hospitalière recherche alors, en fonction des données cliniques et évolutives dont elle dispose, un cadre permettant la poursuite des soins. Cette option réalise en général une nouvelle épreuve pour la famille, qui bien souvent fera part de ses interrogations ou de ses doutes au médecin traitant. Il incombe alors à celui-ci d’assumer un rôle important de soutien et de relais, dont le succès dépendra beaucoup de la liaison qu’il entretient avec le service hospitalier.
– La recherche d’un internat scolaire : en pratique, ce sont les internats à caractère privé qui sont les plus susceptibles de disposer de places en cours d’année scolaire. Cette solution n’a vraiment de sens et de chances que si l’anorexique ne pose plus de problèmes médicaux immédiats et que toute la famille est d’accord (l’inscription étant à pleine charge des familles).
– La préparation à une « postcure » en institution pour adolescents : cette indication s’impose lorsque l’hospitalisation n’a abouti qu’à un résultat encore très partiel, tant au plan symptomatique que psychologique, et qu’une prolongation de l’éloignement familial dans un cadre médicalisé ou spécialisé paraît hautement souhaitable. Selon les besoins, il pourra s’agir d’un établissement médical de soins de suite et de réadaptation ou d’un centre spécialisé à orientation psychoéducative ou psychiatrique. La structure pressentie doit correspondre à la tranche d’âge et être à même de proposer la bonne filière scolaire. Elle doit surtout se déclarer prête à la prise en charge au long cours des troubles du comportement alimentaire.
– Le transfert dans un service hospitalier spécialisé mieux adapté : cette indication, peu fréquente, reste néanmoins possible en cas d’un échec flagrant d’une prise en charge souvent déjà longue, notamment en service non psychiatrique. Il s’agit d’une décision sérieuse qui mérite d’être bien discutée. En pratique, il est souvent très difficile pour une patiente et sa famille de se résoudre à une telle alternative, vécue comme un abandon ou un rejet pur et simple. Il peut être également difficile pour une équipe investie de reconnaître son échec et la nécessité de se séparer d’une patiente dont tout indique pourtant qu’elle va très mal. Enfin, la recherche d’un service de psychiatrie disponible, adapté à cette situation et à cette tranche d’âge peut ne pas être aisée. Quoi qu’il en soit, tout transfert de ce type mérite une préparation très soigneuse, la notion d’acceptation étant dans ce contexte encore plus déterminante pour la suite. Si l’état clinique n’est pas véritablement critique, il est parfois souhaitable de prescrire une sortie, même brève, afin qu’un véritable nouveau processus de préadmission puisse être entamé.
La boulimie : un cas bien particulier
Pour la boulimie proprement dite, le cadre général sus- décrit pour l’anorexie n’est pas vraiment transposable. Les circonstances, indications et modalités d’hospitalisation sont différentes, de même que la durée de séjour, a priori brève. Ces hospitalisations concernent par ailleurs des patients plus âgés, souvent inaptes aux services de pédiatrie ou de pédopsychiatrie. Plusieurs indications sont ici possibles.
Problème métabolique (lié surtout aux vomissements ou abus de laxatifs) ou suspicion de complication digestive (syndrome de Mallory-Weiss, dilatation gastrique, etc.).
Mouvement anxiodépressif sévère, menace suicidaire ou tentative de suicide.
Décompensation boulimique avec accès incessants et épuisants, exaspération familiale et surtout désorganisation grave de la vie quotidienne, nécessitant l’aménagement d’un « sevrage » à l’aide d’un cadre protecteur avec séparation temporaire.
Nécessité d’une réévaluation d’ensemble aux fins de mise en place d’un projet thérapeutique plus adapté ou à plus long terme (redéfinition des référents, besoins de la famille, suivi institutionnel en internat médicalisé, etc.).
D’une façon générale, il faut savoir que l’hospitalisation possède un effet déconditionnant souvent immédiat sur le symptôme boulimique ou les vomissements, entre autres empêchés par le défaut d’intimité. Cet effet positif s’accompagne néanmoins très souvent de son contraire, à savoir une restriction alimentaire active visant précisément à éviter la tentation boulimique ou la prise de poids toujours redoutée. Il arrive alors que l’on verse rapidement dans une situation tout aussi problématique d’aphagie avec perte de poids rapide et acétonurie, pouvant obliger l’interruption prématurée du séjour.
En définitive, le suivi de la boulimie est avant tout ambulatoire. C’est plutôt la nécessité d’un séjour de rupture (non médicalisé, médicalisé ou psychiatrique) en lieu de moyen ou long séjour qui peut parfois se poser.