Hyperlipidémies
Dans les pays en voie de développement, ou dans les pays industrialisés ayant conservé une alimentation traditionnellement hypolipidique et normocalorique, les hyperlipidémies sont des affections peu fréquentes (moins de 1 p. 100 de la population); il s’agit essentiellement d’hyperli- pidémies génétiques. Au contraire, dans les pays de surconsommation alimentaire, c’est-à-dire dans la majorité des pays industrialisés, les hyperlipidémies peuvent toucher 10 à 15 p. 100 de la population adulte, l e facteur nutritionnel est donc ici majeur, et conditionne indirectement la surmortalité par maladies cardio-vasculaires observée dans les pays riches puisque les hyperlipidémies (surtout les hypercholestérolémies) constituent un des principaux facteurs de risque des maladies par athérosclérose. Ce facteur nutritionnel est responsable à lui seul d’un nombre élevé d’hyperlipidémies, et constitue un facteur aggravant des hyperlipidémies d’autres causes (génétiques notamment).
La classification et la description des hyperlipidémies ont été établies pour les formes primaires génétiques. Cette classification est cependant applicable aux formes secondaires, notamment nutritionnelles.
Avant de décrire les hyperlipidémies, il est nécessaire de connaître les valeurs normales des taux sériques et d’avoir quelques indications sur le métabolisme des lipoprotéines sanguines et des princi-
paux lipides transportés par les lipoprotéines. Rappelons qu’une quantité d’acides gras libres est transportée dans le sang liée à 1′ mine. Tous les autres lipides circulent dans le plasma depuis leur d’origine jusqu’à leur lieu d’utilisation à l’intérieur de complexes des-protides.
Lipoprotéines
On distingue (un peu artificiellement car il y a de nombreux groupes et formes intermédiaires), quatre sortes de parti lipido-protidiques : les chylomicrons, les lipoprotéines de très b densité (VLDL ou pré-béta-lipoprotéines), les lipoprotéines de b densité (LDL ou béta-lipoprotéines), les lipoprotéines de haute den (HDL ou alpha-lipoprotéines). La composition de ces particules est différente notamment par leur partie protéique, représentée par les a poprotéines. L’apo Ai est caractéristique des HDL, l’apo B des LDL i bleau 37). Les propriétés physico-chimiques, qui permettent leur sé tion et leur purification, sont indiquées dans ce tableau.
1. Les chylomicrons. — Ils sont synthétisés dans la cellule int nale pendant la période d’absorption active des lipides à partir de lumière intestinale. Ils sont déversés dans les canaux lymphatiq d’où ils gagnent la circulation générale. La disparition des chylo crons de la circulation est extrêmement rapide; 80 p. 100 des ac;gras des chylomicrons sont captés par les muscles et le tissu adipe l’hydrolyse des chylomicrons est réalisée, pendant leur séjour dans
circulation, par une enzyme présente à la surface des endothèli vasculaires, la lipoprotéine-lipase (LPL). L’absence de cette entre entraîne l’accumulation de chylomicrons dans le plasma. Le cofacteur l’enzyme est l’héparine, dont l’injection permet d’éclaircir le sérum période post-prandiale. Les résidus de chylomicrons (remnants), a~ l’attaque de la LPL sont captés par le foie.
2. Les lipoprotéines de très basse densité (VLDL). – Elles sont thétisées dans la cellule hépatique et libérées dans le sang. La libéi de VLDL augmente avec la quantité d’acides gras arrivant au foie; explique notamment l’augmentation des VLDL chez les diabétiques: régimes riche en hydrates de carbone et l’alcool stimulent la synthèse VLDL par le foie.
Les VLDL libérées dans le sang subissent l’attaque de la lipoprotéi lipase, qui les transforme en lipoprotéine intermédiaire (IDL) puis LDL. Parallèlement à cette disparition des acides gras (captés dans le t adipeux), se fait un changement dans la composition en apoprotéines de particule de VLDL, dans lequel interviennent les HDL, des enzymes protéines de transfert des lipides.
3. Les lipoprotéines de basse densité (LDL). — Issues du métaboli des VLDL, les LDL sont utilisées par les tissus auxquels elles fournis le cholestérol nécessaire à l’édification des membranes et, dans certa cellules spécialisées, à l’élaboration de diverses molécules (hormones roïdes, acides biliaires). Toutes les cellules extra-hépatiques sont susc bles de fixer les LDL grâce à des récepteurs spécifiques de surface l font défaut dans certaines hypercholestérolémies familiales). Ces r~~ teurs reconnaissent la protéine des LDL (apolipoprotéine B ou apo B).
4. Les lipoprotéines de haute densité (HDL). — Leur rôle essentiel raît être le transport du cholestérol des tissus périphériques vers le foie les voies d’excrétion biliaire. Plusieurs de leurs constituants s’échan^ aisément avec d’autres lipoprotéines plasmatiques.
Classification des hyperlipidémies
hyperlipidémies primaires
La classification de Fredrickson et Lees (1965), modifiée par celle l’OMS (1970), distingue six types d’hyperlipidémies :
1. Type I. — Rare, il est caractérisé par la présence de chylomicrons jeûn, sans anomalie apparente des autres fractions lipoprotéiniq; Cette forme correspond en fait à un déficit en lipoprotéine-lipase. L’ pect du sérum est caractéristique : on observe un anneau laiteux en surf; alors que le sous-nageant est clair ou à peine opalescent; le cholestérol
normal; les triglycérides sont très élevés de sorte que le rapport CT/TG oui ‘ effondré. Le cholestérol des HDL est très bas. Cliniquement, on peut oli server des xanthomes cutanés éruptifs, une hépatomégalie, une lipémie iv j tinienne, des douleurs abdominales; surtout il y a un risque élevé de pan créatite aiguë. Par contre le risque vasculaire paraît très faible. I u traitement est uniquement diététique (cf. p. 258).
2. Type II. — Fréquent, il est caractérisé par une augmentation don béta-lipoprotéines (LDL). Lorsque cette augmentation est isolée, on parle de type lia; lorsqu’elle s’accompagne d’une tache nette de prc béta-lipoprotéines (VLDL), on parle de type lib.
- Type Il a. — Dans les types II a, on note un sérum clair, un taux do cholestérolémie élevé, souvent supérieur à 8 mmol/l alors que la triglycc ridémie est normale (inférieure à 1,50 mmol/l). Le cholestérol des HDI est normal ou diminué mais le rapport HDL/LDL est effondré. Par contre les apo B sont très augmentées. Une variété particulière, peu fréquente, est l’hypercholestèrolémic familiale xanthomateuse dans laquelle on rencontre des xanthomes tendineux (tendons d’Achille et extenseurs des doigts), des xanthelasmas, un arc cornéen précoce. Le pronostic de cette maladie est dominé par le risque d’athérosclérose (surtout coronarienne) qui s’élève parallèlement aux chiffres de cholestérolémie. Le traitement de ces hypercholestérolémies est essentiellement médicamenteux, car les régimes ont une efficacité assez réduite (cf. p. 255).
- Type Il b. — Dans le type II b, la présence de VLDL explique qu’à côté de l’hypercholestérolémie, on note une augmentation (généralement modérée) des triglycérides (entre 2 et 5 mmol/l). Il y a peu de signes cliniques.
Ici aussi le risque vasculaire est statistiquement relié au niveau de la cholestérolémie. Chez un certain nombre de sujets, les VLDL sont la conséquence d’un excès pondéral qu’il convient de réduire (cf. régime p. 257).
3. Type III. — Forme très rare, caractérisée par l’accumulation dans le sang de particules qui n’existent normalement qu’à très faibles quantités {broad-béta ou IDL); on y observe biologiquement un sérum laiteux, une hypercholestérolémie, un hypertriglycéridémie (avec un rapport CT/TG exprimé en g/l de 1 ; cliniquement, on rencontre ici des xanthomes cutanés (tubéreux, plans, palmaires). Le risque vasculaire est ici élevé.
Le traitement est diététique et médicamenteux.
4. Type IV. — Fréquent dans notre pays, il est caractérisé par la présence d’une quantité importante de VLDL sans autre anomalie lipoprotéinique décelable. La fréquence de ce type est manifestement accentuée par l’alimentation déséquilibrée (excès d’apport calorique par rapport à l’activité physique et excès d’alcool). On trouve ici un sérum opalescent, un cholestérol normal ou très peu augmenté (6 à 8 mmol/l), des triglycérides augmentés (2 à 8 mmol/l), un cholestérol des HDL diminué. Cette forme n’a pas de traduction clinique mais s’accompagne souvent d’un excès de l’imls, d’un diabète non-insulino-dépendant, d’une hyperuricémie. Le ris- 111ii’ vasculaire n’est pas négligeable, quoique moins fort que pour les types 11.
l e traitement est essentiellement diététique.
5. Type V. — Caractérisé par la présence de chylomicrons et de VLDL, cette forme est rare lorsqu’elle est primitive, mais peut être déclenchée pur l’ingestion d’alcool. Ici le sérum est laiteux et surmonté d’un anneau crémeux. Le cholestérol est nettement augmenté. Les triglycérides atteignent des valeurs considérables (supérieures à 20 mmol/1). Le cholesté- ioI des HDL est effondré.
Cliniquement, on rencontre des xanthomes éruptifs, tubéreux, des iiccès de pancréatite aiguë; l’association avec un diabète est possible. Le tisque vasculaire est élevé. Le traitement de cette forme, souvent difficile, associe’régime et médicament .
hyperlipidémies secondaires
Certaines relèvent d’un mécanisme enzymatique connu. — C’est le cas de l’hypertriglycéridémie due à un déficit acquis en lipoprotéine-li- pase comme dans l’acidocétose diabétique.
Les hyperlipidémies secondaires à une endocrinopathie : insuffisance thyroïdienne, insuffisance hypophysaire, hypercorticisme, et surtout secondaires à un diabète. — Dans ce dernier cas, l’hyperlipidémie est différente selon qu’il s’agit d’un diabète insulinoprive (diabète juvénile) ou d’un diabète gras de la maturité. La fréquence de l’hy- percholestérolémie et de l’hypertriglycéridémie au cours du diabète non insulino-dépendant n’est pas négligeable. Cette anomalie lipidique constitue un facteur de risque supplémentaire pour le développement des lésions athéromateuses chez le diabétique.
Les hyperlipidémies secondaires à une néphropathie. — Au cours du syndrome néphrotique, l’hypercholestérolémie, complétée secondairement par l’hypertriglycéridémie, fait partie du tableau biologique, sans qu’on explique très bien le mécanisme de l’anomalie lipidique. Elles sont également fréquentes chez l’insuffisant rénal, le dialysé et le greffé.
Les hyperlipidémies d’origine hépatique. — Elles sont très fréquentes qu’il s’agisse de rétention bilaire (dont l’hypercholestérolémie est un signe biologique majeur) ou des cirrhoses biliaires ou éthyliques. Quant au syndrome de Ziewe (hémolyse, cirrhose, hyperlipidémie), son individualité et son mécanisme sont très discutés. Les glycogénoses sont des causes rares d’hyperlipidémies infantiles.
Les hyperlipidémies par autoanticorps. — Elles sont dues à la présence dans le sang de complexes entre lipoprotéines et certaines immunoglobulines; la conséquence en est un ralentissement de l’épura-
lipolytiques. Cette étiologie se rencontre au cours i certaines dysglobulinémies (myélome, maladie de Waldenstrom) mue été également reconnue en dehors des dysglobulinémies monoclonales
hyperlipidémies induites par un régime. — Il faut souligner lour fréquence (hyperlipidémies glucido-sensibles, lipido-sensibles, alcooltl sensibles); ici en réalité, le régime riche en glucides ou en lipides ou rit boissons alcoolisées ne fait généralement que révéler un trouble latenl du métabolisme des lipides.
Hyperlipidémie et athérosclérose
Depuis les premiers résultats de l’enquête de Framingham, on a do preuves, maintes fois confirmées depuis, que certaines dyslipidémie constituent l’un des principaux facteurs de risque des maladies par athéros clérose (coronariennes surtout), avec l’hypertension artérielle et le tabar Le risque croît de façon linéaire avec le niveau moyen de la cholestérols mie, sans qu’il y ait de seuil à partir duquel les accidents ischémiques ap paraissent; il est cependant net que les populations qui ont un cholestérol moyen inférieur à 1,60 n’ont jamais à déplorer d’infarctus du myocarde (c’est le cas de la plupart des pays non industrialisés).
Ces faits ont été confirmés dans toutes les enquêtes, quel que soit le pays considéré, et dans les deux sexes. Cependant la valeur prédictive de la cholestérolémie diminue avec l’âge et paraît faible chez l’homme après 65 ans, chez la femme après 55 ans .
Les augmentations des triglycérides sont un facteur de risque indépen dant dans certaines populations (femmes avant la ménopause, diabétiques non insulino-dépendants).
Le taux de cholestérol des HDL est corrélé négativement avec l’incidence des maladies ischémiques. Ainsi, le rapport cholestérol HDL/cholesté- rol LDL permet une bonne évaluation du risque coronarien.
D’autres marqueurs lipidiques du risque cardiovasculaire ont été mis en évidence : Apo B et Lipoprotéine « a » (Lp(a)), corrélés positivement avec le risque; Apo A,, corrélé négativement.
Les hyperlipidémies les plus athérogènes sont donc les types II (celles où la cholestérolémie est la plus élevée), puis les types 111, IV et V. Les types I ne sont en principe pas athérogènes.
Étant donné ce qu’on sait sur le risque des hypercholestérolémies, il était tentant d’essayer de prévenir les maladies ischémiques par une réduction diététique ou médicamenteuse des hyperlipidémies athérogènes. Plusieurs études de ce type ont été déjà réalisées, indiquant nettement qu’une réduction du cholestérol total sanguin (et du cholestérol des LDL), et une augmentation du cholestérol des HDL, entraînaient une baisse significative des accidents coronariens (en prévention primaire), ainsi qu’une régression des lésions (en prévention secondaire).
Thérapeutique
Il ne faut pas oublier que dans la plupart des cas, le but du traitement d’une hyperlipidémie est d’éviter l’évolution vers les maladies ischémique par athérosclérose. Les thérapeutiques modernes doivent donc :
réduire de façon significative la cholestérolémie et le taux des LDL .niques, tout en induisant le moins possible d’effets secondaires indésimbles (d’autant qu’il s’agit de traitements de longue durée);
améliorer les paramètres biologiques considérés comme favorables dans la prévention de l’athérosclérose;
- lutter simultanément contre les autres facteurs de maladie ischémique : action anticoagulante et antiagrégante plaquettaire, réduc- lion d’une hypertension, suppression du tabagisme…
Dans les hypertriglycéridémies majeures (supérieures à 15 g/l) il y a un risque immédiat de pancréatite aiguë; le régime adéquat doit donc être institué rapidement.
Médicaments hypolipidémiants
Leur utilisation devrait, si les régimes étaient bien appliqués, se limiter aux types II, notamment II a, et III ainsi qu’à certains types
V résistants au régime sans alcool. En effet, dans les autres cas, le réginu est souvent suffisant.
On dispose de quatre grandes séries :
1. Dérivés de l’acide phénoxy-isobutyrique. Le clofibrate a été couvert en 1962. Les médicaments actuellement utilisés sont des fibnili i dits de 2 génération (Lipanthyl, Lipanor, Béfizal, Lipur). Ils agissent pm inhibition de la synthèse des triglycérides et de la sécrétion des VLDI , t i par stimulation de la lipoprotéine-lipase. Ils sont à la fois hypocholestcm lémiants et hypotriglycéridémiants.
2. Inhibiteurs de l’HMGCoA Réductase. Les produits utilisés en France sont : Zocor, Lodales, Elisor et Vasten. Du fait d’une inhibition ih la synthèse hépatique du cholestérol, ils stimulent les récepteurs de Ll >1 ce qui a pour effet d’abaisser nettement la cholestérolémie.
3. Résines. En France, on dispose de la cholestyramine (Questran) Ces produits ne sont pas absorbés mais fixent dans l’intestin les acides lu liaires, empêchant leur réabsorption, ce qui a également pour conséquence une stimulation des récepteurs hépatiques de LDL, et favorisant leur ex crétion fécale. Ils ont une action hypocholestérolémiante et peuvent élevi’i les triglycérides.
4. Médicaments soufrés. — Deux d’entre eux sont utilisés en France : le tiadénol (Fonlipol), et le probucol (Lurselle). Bien qu’ayant un effet hypo cholestérolémiant modéré, le probucol a une action nette sur les dépôts li pidiques et peu d’effets secondaires. En fait, le probucol est un anti-oxydant et pourrait de ce fait exercer un effet anti-athéroscléreux.