Les processus digestifs: le contrôle nerveux de la sécrétion gastrique
Du siècle des Lumières à la première moitié du XIXe siècle, la physiologie animale était restée une discipline balbutiante, dont les modèles animaux étaient souvent voués à une mort rapide tant les techniques d’investigation employées étaient invasives et sanglantes. Cependant, dans la seconde moitié du XIXe siècle, Claude Bernard puis le physiologiste d’origine russe Ivan Pavlov (1849-1936) développèrent une nouvelle approche expéri¬mentale : ils conduisirent des expériences chez des animaux porteurs de fistules permanentes de différents segments du tube digestif. Cette méthode innovante, dont nous avons vu qu’elle avait contribué à l’analyse chimique du suc gastrique, leur a permis d’étudier pendant plusieurs mois, chez un animal vigil, les modifications de la sécrétion gastrique dans des conditions variées, en particulier lors de la section des nerfs pneumogastriques qui innervent l’appareil digestif. Dans ces conditions, les observations réalisées sur l’animal n’étaient plus limitées à un organe ou à un système isolé, mais rendaient compte de l’intégration de plusieurs fonctions physiologiques, et en particulier de l’in¬fluence du système nerveux sur les organes. C’est ainsi qu’avec Claude Bernard et, surtout, Ivan Pavlov, va naître la physiologie intégrative.
L’expérience de Claude Bernard (1858):
Sur un chien porteur d’une fistule à l’estomac, Claude Bernard étudie les conditions de sécrétion du suc gastrique :
«Lorsqu’on prend un chien qui a à l’estomac une fistule large et pouvant permettre d’observer l’état de l’organe, on voit que l’animal étant à jeun, son estomac vide est enduit d’un mucus à réaction alcaline. Ce mucus étant enlevé avec une éponge douce, la membrane muqueuse devint immédiatement rouge, turgide ; elle se recouvrit de gouttelettes du suc gastrique qui bientôt ruisselèrent le long des parois de l’organe. C’est à ce moment et dans ces conditions, que j’ai coupé les deux pneumogastriques. Aussitôt la membrane muqueuse était devenue pâle, de rouge quelle était; la sécrétion gastrique, acide, limpide, avait immédiatement changé de caractère et avait été rempla¬cée quelquefois par une sécrétion muqueuse alcaline, visqueuse et filante. »
Claude Bernard constate donc que la sécrétion du suc gastrique est un phénomène déclenché par le contact des aliments sur la paroi de l’estomac d’un chien (mimé par le contact avec l’éponge dans l’expérience relatée ci-dessus). Il observe en outre que la section des deux nerfs pneumogastriques modifie la qualité et la quantité de la sécrétion gastrique, établissant ainsi l’implication de ces nerfs dans ce processus de sécrétion.
Les expériences de Pavlov (1897):
A l’orée du XXe siècle, la physiologie des sécrétions gastriques est également au cœur des expériences menées par Ivan Pavlov. Cherchant à dissocier les effets sur la sécrétion.
gastrique des aliments déglutis et de ceux entrant dans l’estomac, Pavlov créé, chez le chien, un système de double fistules permanentes: l’une abouche la portion supérieure de l’œsophage à la surface de la peau ; l’autre est insérée au niveau de l’estomac, permettant de recueillir le suc gastrique. L’animal réalise donc des repas fictifs car les aliments qu’il déglutit sont immédiatement rejetés à l’extérieur grâce à la première fistule.
Utilisant cette approche expérimentale, Pavlov teste tout d’abord les effets à long terme (sur plusieurs heures) de différents aliments comme la viande, le pain ou le lait sur la sécrétion gastrique. Pour chaque aliment testé, le volume de suc gastrique augmente dès la déglutition, puis la sécrétion décroît en 6 à 8 heures. Pavlov prouve donc qu’un signal extérieur à l’estomac déclenche la sécrétion du suc gastrique puisque dans ces conditions, rappelons-le, le bol alimentaire ne pénètre pas dans l’estomac. Par ailleurs, le repas fictif de viande semble être, chez le chien, le plus efficace sur la stimulation de la sécrétion gastrique.
Pavlov, qui avait démontré auparavant l’implication des nerfs pneumogastriques dans le contrôle des sécrétions du pancréas, cherche à savoir s’ils interviennent également sur la sécrétion gastrique déclenchée par le repas fictif. Pour cela, il sectionne ces nerfs également dénommés nerfs vagues ou nerfs X, car ils constituent la dixième paire de nerfs crâniens – soit au niveau laryngé, soit juste en dessous du diaphragme. Ensuite, Pavlov stimule électriquement le bout périphérique des nerfs sectionnés, c’est-à-dire l’extrémité reliée à l’estomac. Il analyse alors la sécrétion gastrique lors du repas fictif.
La section des nerfs pneumogastriques inhibe complètement la sécrétion gastrique observée lors d’un repas fictif. En revanche, la stimulation de leur bout périphérique s’accompagne d’une sécrétion abondante. Pavlov conclut donc que, lors de la prise alimentaire, les glandes gastriques sont stimulées par des influx nerveux issus de l’encéphale qui parcourent les fibres des nerfs pneumogastriques. Le contrôle de la sécrétion de suc gastrique par les nerfs pneumogastriques est ainsi attesté.
Vidéo : Débuts de l’alimentation rationnelle : le contrôle nerveux de la sécrétion gastrique
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