Les processus digestifs : la localisation de la sécrétion acide dans l'estomac
Au XVIIle siècle, les travaux de Réaumur puis de Spallanzani permirent d’établir le rôle fondamental du suc gastrique dans la digestion des aliments. Mais il faudra attendre les années 1840 pour que soient précisés sa composition et son mode d’action, grâce à la mise au point de fistules gastriques chez le chien. Ces recherches ont été en partie menées par un physiologiste que l’on ne présente plus: Claude Bernard (1813-1878), le père de la médecine expérimentale. A19 ans, Claude Bernard est préparateur en pharmacie dans une officine à Lyon, mais il nourrit en fait l’ambition de devenir dramaturge. Il présente quelques années plus tard les manuscrits de deux pièces de théâtre à Paris. La critique ne réservant pas à son œuvre un accueil Claude Bernard (1813-18P8). des plus chaleureux, il s’oriente vers des études de médecine.
C’est dans sa thèse de médecine, soutenue en décembre 1843, que Claude Bernard présenta les caractéristiques physico-chimiques du suc gastrique, montrant en particulier que ce dernier était acide. Quelques années plus tard, il va tenter de localiser précisément les zones à l’origine de cette sécrétion acide.
L’expérience de Claude Bern:
Pour localiser les sécrétions acides qui participent à la digestion, Claude Bernard utilise une réaction colorée dite au «bleu de Prusse», qui se fonde sur le prin¬cipe suivant. La réaction du ferrocyanure de potassium et du chlorure ferrique produit de l’acide prussique. En milieu alcalin, comme par exemple dans le sang, l’acide prussique forme du ferrocyanure de potassium et de l’hydroxyde de fer, ce dernier produisant un précipité brun verdâtre. En milieu acide, au contraire, l’acide prussique prend une couleur bleue caractéristique : c’est le bleu de Prusse. Claude Bernard livre le compte¬rendu de son expérience dans sa thèse de doctorat en médecine :
« Dans une première expérience, j’ai fait prendre un repas assez copieux de viande hachée à un jeune chien, vigoureux et de taille moyenne. Un quart d’heure après […], j’ai injecté dans la jugulaire de l’animal 15 grammes d’une solution faible de cyanure jaune ferruré de potasse (1 gramme de sel cristallisé pour 100 grammes d’eau distillée) […]. Vingt-cinq à trente minutes après, l’animal fut tué subitement par la section du bulbe rachidien […]. L’estomac, dont la membrane interne était turgide, contenait le bol alimentaire mélangé dans sa périphérie d’une certaine quantité de liquide gastrique à réaction bien acide. Cette partie, la plus extérieure des aliments, étendue d’un peu d’eau distillée et jetée sur un filtre donna un liquide acide qui précipitait en bleu par les sels de fer. La surface interne de l’estomac, non lavée, prenait une coloration intense dans tous les points où l’on laissait tomber quelques gouttes d’un sel de fer. »
L’expérience, de Brenckman et Deloyfrs (1929):
Près de 90 ans après les premières expériences de Claude Bernard, la technique de la coloration au bleu de Prusse est reprise par un jeune médecin français, Ernest Brenckmann, et un gastro-entérologue belge de renom, Lucien Deloyers. Afin de localiser précisément les régions de l’estomac à l’origine des sécrétions acides, ces derniers prélèvent, sous anesthésie, l’estomac d’un chien en cours de digestion. Une fois vidé de son contenu, ce dernier est étalé et lavé avec de l’eau portée à 37 °C. De l’acide prussique est alors appliqué sur l’ensemble de la surface de la muqueuse.
Les expériences de Davenport (1938-1939):
L’implication du fundus dans les sécrétions acides de l’estomac est confirmée quelques années après l’expérience de Brenckman et Deloyer par Horace Willard Davenport (1913-2005). Ce gastro-entérologue américain évalue la production d’acide chlorhydrique dans les différentes régions de la muqueuse stomacale grâce au dosage de l’anhy-drase carbonique, une enzyme clé pour la formation des ions H+. Cette enzyme, identifiée dans le sang et isolée en 1932 par le chimiste anglais Normal Urquhart Meldrum (1907- 1933), catalyse la formation de l’acide carbonique.
Dans une première série d’expériences, menée en 1938, Davenport dose des extraits de muqueuse stomacale, de muqueuse intestinale ainsi que des extraits pancréatiques chez trois espèces animales: le rat, le chat et le lapin. La différence d’activité de l’anhydrase carbonique entre les extraits d’estomac et les extraits des autres organes est importante. Elle est en relation avec la production d’acide chlorhydrique par la muqueuse stomacale. En outre, cette dernière semble être régionalisée : elle est plus importante au niveau du tiers moyen de l’estomac (fundus) chez le lapin, et au niveau des tiers supérieur et moyen chez le chat.
Après cette première étude quantitative, Davenport cherche à localiser de manière plus précise la sécrétion acide au niveau de l’estomac. Chez le chat, il découpe à l’emporte-pièce des fragments de muqueuse stomacale de 4 mm de diamètre dont il dose l’activité anhydrase carbonique. Les résultats confirment une régionalisation marquée de l’activité de cette enzyme. Peu présente dans la région œsophagique et la région duodénale, l’anhydrase carbonique est surtout concentrée au niveau du fundus. Chez le chat, selon les études, c’est donc soit le tiers supérieur de l’estomac, soit le fundus qui apparaît comme une région d’intense sécrétion acide. Dans ses deux publications de 1938 et 1939, Davenport ne prend pas la peine de discuter cette divergence, qui est probablement due à une expérimentation menée sur un trop petit nombre (non précisé) d’animaux. Néanmoins, ces résultats, croisés avec ceux obtenus chez le rat, montrent une sécrétion acide faible dans la région du cardia et dans l’antre pylorique et, au contraire, une sécrétion intense au niveau de la muqueuse du fundus.
Vidéo : Débuts de l’alimentation rationnelle : la localisation de la sécrétion acide dans l’estomac
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