Crénothérapie en dermatologie
L application directe d’eau sur les lésions cutanées des dermatoses les plus diverses a fait partie de la thérapeutique dermatologique, en tous temps et en tous lieux. Un service hospitalier de dermatologie se différencie des services d’autres disciplines par le nombre, la taille et l’équipement des salles de bains, des douches, des appareils de pulvérisations.
Par rapport à cette intégration de l’hydrothérapie dans la thérapeutique dermatologique, qui n’est pas discutée, la dermatologie thermale se distingue avant tout par une intensification des pratiques hydrothérapiques effectuées pendant la cure. Les autres caractéristiques de la dermatologie thermale font, comme dans les autres spécialités, l’objet de discussions. Ces points non encore consensuels sont :
-la thérapeutique hydrique peut-elle être exclusive? Nous pensons au contraire qu elle doit être intégrée dans une stratégie thérapeutique globale qui utilise l’ensemble de l’arsenal actuel de la dermatologie;
– la composition de l’eau thermale intervient-elle dans la qualité des résultats obtenus et certaines eaux sont-elles plus bénéfiques à certaines dermatoses qu’à d’autres? Cela n’a pas été démontré, et toutes les stations thermales spécialisées en dermatologie, dont les eaux sont fort différentes, ont actuellement les mêmes indications ;
-l’ hydrothérapie pratiquée dans les stations obtient-elle de meilleurs résultats que celle qui pourrait être pratiquée en dehors du milieu thermal ?
Pour tenter de répondre à ces questions, la nécessité d’une évaluation selon les méthodologies modernes est admise par tous et de nombreux travaux ont abordé l’objectivation des effets du thermalisme dermatologique. Cet intérêt déborde maintenant les régions qui sont les fiefs traditionnels du thermalisme [3],
Plusieurs stations thermales dermatologiques françaises (Avène, La Roche- Posay, Uriage) commercialisent à la fois leur eau, sous forme de sprays et de produits dermo-cosmétiques formulés avec de l’eau thermale. Certains de ces produits font partie de la cosmétique active, qui revendique des propriétés thérapeutiques dans certaines indications dermatologiques et en cosmétologie. Les travaux de recherche ont pour objectifs :
– d’évaluer les effets des cures et leurs indications;
– d’identifier les propriétés spécifiques de chaque eau thermale de démontrer un éventuel intérêt à l’incorporation d’eau thermale dans des produits de dermo-cosmétique.
Faits et preuves
On connaît la problématique de l’évaluation des cures thermales en dermatologie :
– les cures constituent une thérapeutique complexe où interviennent les qualités de l’eau, l’usage qui en est fait, les soins associés, le changement de milieu, le climat;
– la pratique des essais contrôlés randomisés, très utile pour démontrer l’efficacité de médicaments, se prête plus difficilement à l’évaluation des cures thermales.
Comment cette problématique est-elle abordée actuellement en dermatologie?
Les équipes de chercheurs associées aux stations thermales ont travaillé dans trois directions.
Étude des effets biologiques des eaux thermales
Sui un certain nombre de réactions biologiques in vitro, les eaux thermales induisent des effets différents de ceux de l’eau distillée. Ainsi, l’eau thermale est susceptible d’interagir sur des paramètres intervenant dans certaines dermatoses, tels que la dégranulation des basophiles [12] ou des mastocytes 110], ou d’autres maillons de l’inflammation cutanée [15] ou de l’immunologie en général [7], Des modifications des propriétés générales des cellules, comme la fluidité membranaire, ont également été mises en évidence [2].
Objectivation des effets des cures
Même s’il s’agit d’études ouvertes, une meilleure quantification des dermatoses inflammatoires, utilisant des systèmes de scores (SCORAD pour la dermatite atopique, PASI pour le psoriasis [11]), permet de mieux objectiver les modifications obtenues au cours de la cure. Ces études ouvertes indiquent régulièrement une efficacité très appréciable. En effet, l’intensité des symptômes diminue pendant la cure, dans des proportions de l’ordre de 50 à 60% en moyenne, avec des variations individuelles. Ces résultats concernent à la (ois les eczémas (dermatite atopique et autres eczémas) et le psoriasis [11], Ces résultats devront être confirmés par des essais comparatifs, randomisés.
Des techniques de biométrologie permettent de compléter les évaluations cliniques [9] en montrant les modifications de l’hydratation cutanée, du relief épidermique, par exemple.
Évaluation des résultats à long terme
En collaboration avec les médecins qui suivent les patients tout au long de l’année, il est possible de préciser le niveau et la durée d’amélioration
obtenus à la suite d’une cure. On s’intéresse d’une part à l’évolution de la maladie elle-même (durée de la rémission, date des poussées, consommations médicamenteuses), d’autre part à l’amélioration de la qualité de vie consécutive à la cure (des échelles de qualité de vie adaptées aux dermatoses chroniques ont été développées et testées).
Déroulement de la cure thermale en dermatologie
Si les propriétés minérales des eaux sont très différentes d’une station à l’autre, le déroulement des cures est relativement stéréotypé : au cours d une cure de 21 jours, on pratique 18 séances de soins dermatologiques, codifiés en «pratiques thermales».
Cure interne (cure de boisson)
Elle était historiquement considérée comme fondamentale et des actions diurétiques ou laxatives pouvaient être revendiquées. Actuellement, on a tendance à considérer cette cure de boisson comme secondaire, sans pour autant y renoncer. La mise en évidence d’anomalies digestives au cours de la dermatite atopique pourrait cependant donner un nouvel intérêt à la prise orale d’eau thermale.
Dans certaines stations (Rochefort, Uriage), on peut injecter l’eau thermale par voie intramusculaire.
Cure externe
L’eau thermale se trouve en contact direct de la peau et des muqueuses. Cette application directe de l’eau sur les lésions possède des effets bénéfiques traditionnellement reconnus. Ces soins dermatologiques peuvent revêtir différentes modalités, le plus souvent associées.
Bains
Les bains généraux ou localisés (mains, pieds), à température variable, ont une durée de 15 à 30 minutes. Ils ont une action sédative, assouplissante, décongestionnante (anti-inflammatoire). On peut pratiquer aussi des bains aérogazeux, des bains avec boue thermale…
Pulvérisations
Il s’agit de la projection d’un fin brouillard d’eau thermale, réalisé grâce à des tamis de diamètres variables. Les pulvérisations sont effectuées à température variable, pendant 3 à 10 minutes, sur tout le corps ou sur une région précise (visage, périnée…).
Douches
Elles sont de diamètres variables, avec notamment des douches filiformes,
acte thermal essentiel en dermatologie, mis au point par le Dr Veyrières en
1903 à La Bourboule. Il s’agit d’une douche à jets très fins, de 2 à 30 dixièmes de millimètre de diamètre, pratiquée avec des lances munies de plusieurs embouts ; la pression varie entre 2 à 15 bars. La douche filiforme a une action décapante, excoriante, massante en profondeur. Dans les dermatoses où existe un phénomène de Koebner (déclenchement des lésions par un traumatisme), on en limite la pression. Ce traitement est effectué, en général chaque jour, par le médecin dermatologue thermal lui-même.
Autres techniques
Selon les indications, des techniques supplémentaires peuvent être associées aux soins externes de base :
– massages, séances de rééducation ;
– applications de boues thermales ;
– applications de produits de dermo-cosmétique (soins hydratants) en général formulés avec l’eau de la station ;
héliothérapie (soleil naturel) ou photothérapie en cabine à ultraviolets;
– scarifications.
Autres traitements dermatologiques
Les traitements dermatologiques non thermaux sont classiquement réduits au minimum pendant la cure. Pour beaucoup de patients cependant, les applications d’émollients sont souvent utiles. Les dermocorticoïdes sont gardés en réserve pour une poussée inflammatoire intense qui compromettrait l’effet de la cure. Les indications des anti-histaminiques et des antibiotiques sont rares et posées individuellement.
Prise en charge générale
Outre l’application des soins thermaux, la cure comporte une prise en charge plus globale, qui met en jeu, selon les cas :
– des kinésithérapeutes, pour les massages sous l’eau (surtout pour les brûlés);
– des infirmiers, pour les soins et pansements;
– des maquilleurs-esthéticiens, pour enseigner les techniques de maquillage- camouflage des lésions du visage ;
– des psychologues, pour aider à appréhender la dimension psychologique des dermatoses qui modifient l’image corporelle et altèrent la qualité de vie [ 1 ] ;
des réunions de malades ou de parents contribuent à l’éducation sanitaire, à l’information médicale et au soutien psychologique.