Approche psychothérapeutique :
Nous envisageons dans ce chapitre les questions différentes et complémentaires qui se posent au médecin somaticien et au psychothérapeute.
Pour le médecin somaticien :
Avant d’aborder les problèmes que pose au médecin le soutien psychologique de l’adolescente et de sa famille, nous voudrions insister sur le double objectif qui lui est assigné. Le médecin est garant de la sécurité corporelle, de la préservation de la vie mais cet objectif primordial est lié de façon incontournable au second, permettre l’émergence d’une capacité à penser chez l’adolescente, parfois par l’expression de sa souffrance psychologique. Car une évolution qui donne un sens à son histoire lui offrira les meilleures chances de se dégager petit à petit de sa maladie.
– La disposition psychologique du médecin : la tentation que rencontre le médecin est celle de s’installer dans un rapport de force au sujet du contrôle pondéral. Ce piège est d’autant plus attirant que la situation nutritionnelle de l’adolescente est préoccupante et intense le déni de la gravité de son amaigrissement. Le médecin peut avoir à intervenir pour préserver la vie de sa patiente alors que celle-ci n’est pas en accord avec la décision prise (hospitalisation en urgence, nutrition entérale) car pas à même de concevoir le danger. Elle ne peut alors que se sentir renforcée dans ses sentiments persécutifs, qui vont se cristalliser sur le médecin. Le médecin « persécuteur conscient de l’être » peut le verbaliser à l’adolescente, allant ainsi au-devant de ce qu’elle éprouve. Protéger la vie, examiner le corps, expliquer ses besoins, sans se placer dans une attitude de toute-puissance paraît fondamental.
L’approche psychologique : c’est au somaticien le plus souvent qu’incombe la responsabilité d’aborder la question de la place des soins psychothérapiques dans le projet de prise en charge. Il est celui qui annonce le diagnostic et souligne d’emblée la dimension psychologique de la maladie. Cela n’implique pas pour autant le recours immédiat et prescrit à une psychothérapie.
Nous sommes bien entendu convaincus de la nécessité qu’une adolescente anorexique puisse faire un jour une psychothérapie. Quel rôle le médecin a-t-il pour en permettre l’accès ?
Ecueils de la « prescription psychothérapeutique » :
Enoncer la dimension psychologique des troubles alimentaires constatés ne veut pas dire que celle-ci soit acceptée ni par l’adolescente ni par ses parents. Le plus souvent, il s’agit d’un acquiescement de surface et la dimension de trouble du développement psychique durable et difficile à résoudre ne va devenir claire pour les uns et les autres qu’au fil du temps et des consultations, parfois pour les parents avant l’adolescente, ou l’inverse. Le médecin doit prendre en compte la position de chacun car l’expérience révèle que le désaccord entre les parents et l’adolescent ou entre les parents eux-mêmes par rapport au recours à une consultation avec un psychologue ou un psychiatre est une source évidente d’échec. La consultation avec un psychothérapeute, rappelons-le, ne relève ni d’une prescription ni d’un choix véritablement réfléchi, mais plutôt d’un encouragement et d’une acceptation. Dans ce domaine, comme dans d’autres, on ne peut pas dire que l’on « choisisse » son traitement. On ne peut que l’accepter puis se l’approprier plus ou moins facilement, le moment opportun étant dans les faits difficile à déterminer à l’avance.
Nous mettrons à part le désir que peut avoir le médecin d’un avis spécialisé par un psychiatre pour telle adolescente dont la présentation l’inquiète au-delà de ce dont il a l’expérience (état confusionnel ou délirant par exemple, doute diagnostique) et qui nécessite une annonce claire à l’adolescente et sa famille. C’est ici le médecin qui est demandeur d’une consultation pour avis auprès d’un psychiatre précis qu’il devrait connaître auparavant, et nous sortons du cadre de la demande de psychothérapie.
Choix du moment:
Pour l’adolescente :
Là encore, nous serions tentés de dire que ce moment n’est pas choisi par le médecin, mais que celui-ci peut faire le travail « préparatoire » qui permettra à l’adolescente de se décider à consulter un psychothérapeute en accord ou non avec ses parents, un jour…
La capacité d’une adolescente à exprimer des difficultés d’un autre ordre que celui de manger et à penser à autre chose qu’à la nourriture paraît un préalable indispensable à tout recours psychothérapique. L’adolescente décrit très bien cet envahissement de la pensée par des questions obsédantes, voire persécutrices autour de la nourriture. Comment aider l’adolescente à ressentir et penser autre chose ?
Le privilège du médecin est de pouvoir examiner l’adolescente. C’est à partir des questions et des émotions soulevées par ce contact que l’adolescente, petit à petit, va pouvoir penser à elle-même. Elle va se rendre compte de là où elle en est dans ses désirs ou ses refus à propos de son corps d’abord, puis de son lien avec tout son monde (famille, amis). La soi-disant indifférence envers son corps et ses besoins fait place à toute une inquiétude sur son développement physique, féminin, psychologique enfin.
Les questions suscitées par le médecin se renouvellent d’une consultation à l’autre et se diversifient. Le corps, les émotions, la capacité de penser à ce qui lui arrive puis « à penser », tout est lié. Si cette étape n’est pas atteinte, il est trop tôt pour proposer à l’adolescente un travail psychothérapeutique. C’est dire toute l’importance que peut avoir le travail relationnel avec le médecin si celui-ci ose s’y investir.
Un tel travail nécessite des consultations longues. Le médecin, avec toute l’empathie nécessaire, commente l’état corporel, questionne l’adolescente. Nous pensons que ce sont les questions soulevées par le médecin qui permettent à l’adolescente de se dire : « on peut penser à ceci, éprouver cela…, on a le droit de parler de cela… ». Hilde Bruch a pu dire, fort à propos, que « pour beaucoup d’anorexiques, la simple assurance qu’elles éprouvent des sentiments qui leur sont personnels, et surtout que ces sentiments ont une valeur, est en soi une découverte étonnante ». Le temps nécessaire à une adolescente pour accéder à une pensée suffisamment exprimée pour lui permettre d’envisager une psychothérapie est très variable. Il peut être de quelques semaines, de quelques mois, voire d’un ou deux ans. Certaines adolescentes, conscientes depuis un certain temps de ce besoin, diffèrent cependant cette démarche jusqu’au seuil de l’âge adulte, se contentant du travail global fait avec le médecin. Ceci ne paraît pas préjudiciable à leur évolution. La continuité d’une prise en charge médicale en est plutôt le garant.
L’hospitalisation qui, rappelons-le, n’intervient que dans la moitié des cas dans notre expérience, peut être un moment fécond pour permettre à l’adolescente de penser à ce qui lui arrive. La démarche du médecin référent hospitalier est alors la même qu’en consultation, mais elle est soutenue par toute une équipe et la diversité des intervenants peut être plus stimulante pour l’adolescente, surtout si elle a accepté une séparation de son milieu habituel.
Cette séparation physique favorise et permet souvent l’amorce d’une séparation psychique d’avec les parents et offre à l’adolescente la découverte d’un espace de pensée plus personnel. Certaines l’utilisent avec profit et le recours à un psychothérapeute de l’équipe, toujours proposé pendant l’hospitalisation, peut devenir le préliminaire fructueux à une démarche psychothérapeutique à la sortie de l’hôpital.
Pour les parents :
Aider les parents à expliciter leur accord ou leur réticence par rapport à la consultation d’un psychothérapeute pour eux- mêmes ou pour leur enfant est très important. L’adolescente sait très bien sentir la réticence de ses parents qui projettent sur elle leur inquiétude dont les raisons peuvent être très diverses : antécédents familiaux de psychopathologie lourde plus ou moins occultée, crainte de l’hérédité non énoncée, essai personnel de psychothérapie qui ne s’est pas bien passé, peur que mettre au jour les difficultés les aggrave, que cela ne l’aide pas à se prendre en charge ; mais encore peur que consulter un psychiatre soit un signe de gravité, bref peur que « cela rende fou »… Nous avons vu beaucoup d’adolescentes interrompre un travail psychothérapique qui s’engageait pourtant bien, surprises par des « petites phrases » de leurs parents qui les prenaient pour cible et auxquelles elles ne s’attendaient pas.
Car, pour les parents, la psychothérapie de leur fille peut être vécue, au fond, comme une menace de la perdre. Ceci n’est pas spécifique des troubles alimentaires mais doit être souligné ici car ces adolescentes y sont particulièrement sensibles, dans leur peur qu’elles ont aussi de « perdre » leurs parents. Le médecin doit être conscient de cette dimension et permettre aux parents d’exprimer clairement leur position devant leur fille au moment de la décision, avant qu’une démarche ne s’engage.
Le soutien des parents fait partie intégrante du travail du médecin. Le médecin doit savoir leur proposer des rendez-vous pour eux-mêmes, ensemble ou séparément selon leur demande. L’adolescente n’y voit en général pas d’inconvénient. Elle est même très soulagée que leur inquiétude s’exprime en dehors d’elle dès qu’elle a accordé sa confiance.
Le médecin doit s’enquérir du degré de tolérance de la famille à l’inquiétude suscitée par l’amaigrissement de l’adolescente, par son hospitalisation et la séparation qu’elle engendre éventuellement. Les frères et sœurs peuvent souffrir de ce qui se passe et doivent être vus et informés s’ils le souhaitent.
C’est à l’occasion de ces consultations que le médecin peut d’ailleurs proposer le cas échéant, aux parents voire aux frères et sœurs, de consulter eux-mêmes un psychothérapeute.
Une démarche de type familial peut être utile surtout quand la communication intrafamiliale paraît bloquée ou trop douloureuse. Le médecin adresse alors la famille à un thérapeute familial qui évaluera lui-même la nécessité et la possibilité d’une telle entreprise.
Place du médecin une fois la démarche psychothérapeutique engagée :
Que le médecin soit sollicité alors que l’adolescente a déjà entrepris un travail psychologique ou qu’il poursuive la surveillance médicale d’une jeune fille anorexique qu’il a adressée à un psychothérapeute, se pose la question de son rôle dans cette prise en charge bifocale. L’expérience montre que le lien qui se développe avec le médecin peut être très fort. Celui-ci doit en être conscient pour ne pas faire obstacle au travail psychothérapeutique, mais ne doit pas « abandonner » l’adolescente pour autant.
Après avoir donné une adresse de psychothérapeute à une adolescente que l’on suit depuis plus ou moins longtemps, il faut permettre à celle-ci d’exprimer sa satisfaction ou sa difficulté à investir ce nouveau lien. Surtout lorsque c’est lui qui a initialement insisté pour cette rencontre avec un psychothérapeute, le médecin pourra demander de proche en proche à sa patiente comment vont les choses du côté de la thérapie. Il semble important que le médecin, de son côté, sache ainsi montrer qu’il n’est pas indifférent à la valeur de cette tâche que sa patiente mène en parallèle, et qu’il la soutient dans la poursuite de ce travail.
Lorsque la surveillance médicale proprement dite n’est plus réellement nécessaire, le médecin peut espacer progressivement les consultations. Les consultations médicales sont alors des moments où les adolescentes « font le point », comme des bornes sur une route qui permettent de jauger le chemin parcouru et dont on est le témoin bienveillant. Elles continuent à avoir grand besoin aussi d’être examinées et rassurées sur leur prise de poids, leur comportement alimentaire, leur vie gynécologique et le développement de leur corps féminin.
Le médecin est aussi celui qui continue à soutenir la famille, protégeant de ce fait l’adolescente d’un questionnement intrusif de ses parents sur ce qui se passe dans sa thérapie, ou plus généralement dans sa vie. Les parents supportent souvent mal le moment où l’adolescente ne raconte plus tout, bref s’individualise. Nous avons remarqué que souvent, l’un ou l’autre des parents va à ce moment-là plus mal, cet état contrastant avec l’épanouissement progressif de l’adolescente. Le médecin doit s’en rendre compte et proposer l’aide nécessaire aux parents.
Pour le psychothérapeute :
La cessation des troubles du comportement alimentaire est certes une chose importante. Mais sans un travail visant les remaniements internes, il y aurait de grandes difficultés à permettre un développement et un épanouissement de la vie affective et relationnelle de ces futures jeunes femmes. Le travail de psychothérapie, en lui-même, n’est pas à proprement parler le traitement de l’anorexie en tant que symptôme et son but va bien au-delà.
Que recouvre le terme de psychothérapie ?
Ce terme de psychothérapie n’étant pas forcément clair pour tout le monde, il semble utile de l’expliquer brièvement ici. En fait, il recouvre des pratiques différentes, elles-mêmes d’inspirations différentes :
– psychothérapies de soutien ;
– psychothérapies comportementales ;
– psychothérapies psycho-corporelles ;
– psychodrame ;
– psychothérapies familiales ;
– psychothérapies d’inspiration analytique.
Quelles sont ces diverses approches et quels sont leurs buts ?
– La psychothérapie de soutien : elle aborde les problèmes de la réalité actuelle, les relations parents-enfants, les problèmes relationnels d’ordre plus général, les projets et le positionnement dans la vie de tous les jours. Son but est d’aider à la résolution des problèmes tels qu’ils sont vécus dans la vie quotidienne.
– Les psychothérapies comportementales : issues du courant behavioriste américain, elles sont l’application de la psychologie expérimentale à la solution des problèmes cliniques. Elles n’abordent pas les conflits psychiques sous-jacents ni la vie fantasmatique. Elles cherchent à traiter le comportement en modifiant les facteurs qui le déclenchent et le maintiennent chez le sujet.
— Les psychothérapies psychocorporelles : elles mettent en avant le statut et la réalité du corps. Elles favorisent le registre de l’expérience de la sensation et des émotions qui seraient inscrites dans le corps et gardées en mémoire. Elles tentent ainsi une voie d’accès autre que la parole.
— Le psychodrame analytique : c’est une technique qui utilise la spontanéité universelle du jeu chez l’être humain pour faire prendre conscience des conflits inconscients sans passer par l’association d’idées qui est parfois impossible du fait d’une trop grande inhibition. Cette technique se réfère à la psychanalyse et peut favoriser une ouverture à un traitement psychothérapeutique analytique lorsqu’une certaine levée du refoulement permet au patient « d’entendre ce qu’il dit ».
— La psychothérapie familiale :
– systémique, en réunissant tous les membres de la famille, cherche à mettre en lumière les dysfonctionnements, les discours paradoxaux, les contradictions et la place de l’enfant symptôme ;
– analytique, tente des remaniements en profondeur dans les relations des membres de la famille.
— La psychothérapie d’inspiration analytique : elle permet la mise au jour des conflits inconscients liés à la sexualité infantile du sujet à travers une réactualisation de ces conflits dans les relations à l’analyste, ce qu’on appelle le transfert.
Pour notre part, notre pratique repose sur la conception psychanalytique : la psychothérapie de soutien, le psychodrame ou la psychothérapie d’inspiration analytique. Ces méthodes ne s’excluent pas et peuvent être complémentaires. Une psychothérapie de soutien ou un psychodrame peuvent par exemple conduire à un travail analytique, une fois le sujet prêt à des remaniements plus profonds.
La psychothérapie dans l’anorexie mentale :
Le psychothérapeute analyste accorde une attention égale à l’histoire du sujet, à son discours, ses achoppements et pas une attention exclusivement dirigée sur ses symptômes physiques et comportementaux. Dans l’anorexie mentale, c’est en grande partie grâce à la levée du déni que ces symptômes pourront céder de façon durable. Le symptôme est en effet analysé par le thérapeute comme une tentative inconsciente de résolution des conflits internes. Ce qui importe de mettre ceux-ci. Mais le psychothérapeute n’intervient pas de manière intempestive. Si le moment n’est pas adéquat, de façon plus aiguë que pour les autres adolescents c’est le risque de fermeture, de repli qui surgit comme défense radicale.
Quelle est la spécificité du travail auprès de l’anorexique ?
Les dangers de la problématique œdipienne pour l’anorexique:
Habituellement, lors des psychothérapies d’adolescents, les problèmes sont évoqués par l’adolescente elle- même : rivalité, jalousie, avidité, sentiments d’abandon ou d’impuissance, questionnements quant à l’identité sexuelle, etc. Pour ce qui concerne les anorexiques, c’est précisément là que se situe leur point de butée et de vulnérabilité.
Notre intervention demande donc à être extrêmement prudente. Ces filles, toujours a priori menacées par l’intrusion, ont besoin de sentir une présence qui les soutienne mais qui ne soit pas trop intrusive. Pas trop loin, pas trop près.
Un tel mouvement de balancier entre demande et rejet, attraction et répulsion à l’égard des parents puis des psychothérapeutes est assez habituel chez les adolescentes. Mais ici, il prend une place tout à fait excessive : « si tu ne t’occupes pas de moi, je meurs, si tu t’occupes trop de moi, je meurs aussi ». Ce paradoxe infernal conduit ainsi à une relation tyrannique dont tout le monde devient prisonnier.
C’est bien involontairement, inconsciemment que les anorexiques et leurs parents se retrouvent dans cette impasse. L’anorexie leur arrive comme un « coup de tonnerre dans un ciel serein » d’autant plus que l’enfant n’avait jusqu’alors jamais vraiment défailli à sa « fonction ». Or l’anorexique peut difficilement sortir seule de cette impasse et les parents seuls, non plus, ne peuvent l’y aider. La psychothérapie les aidera chacun, lentement, à se dégager, à dénouer les fils emmêlés dans l’histoire familiale et ce sur plusieurs générations.
Le travail avec le ou les parents :
Pour les parents, cette enfant était jusque-là parfaite, bonne élève, mûre, responsable, autonome et serviable. Il n’y avait pas de problèmes, pas de raisons de se poser de questions, et les préoccupations se tournaient en général beaucoup plus vers un autre membre de la fratrie ou de la famille. Au fond, cette enfant dont ils étaient et restent si fiers, leur est étrangère même si elle a fait l’objet de soins attentifs. La préoccupation des parents s’accordait aux besoins, mais pas aux désirs. Ce n’est pas un hasard si c’est avec l’adolescence, âge d’apparition de la maladie, que ce cadre idyllique subit une telle remise en question, laissant les parents totalement médusés. Qu’on le veuille ou non, cette maladie met obligatoirement en lumière les dysfonctionnements jusqu’alors cachés et non travaillés de toute une famille.
Ainsi, en pratique pour les parents : un psychothérapeute (autre que celui de leur fille) peut les aider, non pas à trouver le coupable ou la faute, mais à « trouver » leur enfant et sa place dans leur vie. Là encore, tout ne se fera pas sans douleur, mais cette découverte peut aussi déboucher sur un soulagement, si ce n’est ultérieurement sur un authentique plaisir. C’est pourquoi il est si important de soutenir les parents dans ce moment difficile d’anorexie active, à commencer par les encourager à vivre pour leur propre compte (prendre des vacances, recommencer à sortir, etc.), chose qu’ils s’interdisent si souvent, tétanisés qu’ils sont par ce drame au quotidien. Ceci permet au passage de signifier que leur fille, comme eux, a aussi son existence propre ; ou plus exactement qu’elle cherche elle aussi sa propre existence à sa manière derrière ses symptômes manifestes.
Il peut arriver que le psychothérapeute de l’enfant soit amené à rencontrer les parents. Mais dans ce cas, ce sera toujours en présence de leur enfant. Les motifs peuvent être de fixer initialement ou repréciser ultérieurement un cadre thérapeutique avec l’accord des parents ou de redynamiser un dialogue interrompu entre parents et enfant. Le psychothérapeute prend alors, temporairement et pour la circonstance, un rôle de tiers qui n’est pas de dire les choses mais de permettre surtout à l’enfant de dire et aux parents d’entendre.
Rôles et relations du médecin et du psychothérapeute :
Le médecin, en fonction de sa compétence et sa disponibilité, peut effectuer un travail de soutien auprès de l’anorexique ou de ses parents. Il est souvent amené à effectuer un travail préparatoire indiquant à l’anorexique, mais aussi à ses parents, l’utilité d’un travail psychothérapeutique. Celui-ci engagé et même lorsque le danger vital est écarté, le suivi médical général et l’examen somatique continuent longtemps à conserver leur importance objective (de par la durée des symptômes secondaires).
Mais le suivi médical participe également de la possibilité de réinvestissement des fonctions corporelles déniées et reste le garant d’une certaine distanciation par rapport au symptôme à l’intérieur de la famille, en assurant la gestion des questions de poids et d’alimentation.
Comme les parents, le médecin sera pris à partie par l’anorexique qui éprouvera des moments de doute ou de découragement, s’interrogeant en l’interrogeant sur la valeur de sa psychothérapie. Une attitude de soutien de celle-ci, mais sans trop de pression sera de mise chez le médecin : un manque de soutien renforcera l’anorexique dans ses résistances du moment ; un soutien trop actif risque de transformer sa psychothérapie en l’affaire du médecin et du même coup l’amener à désinvestir celle-ci.
Enfin, les particularités d’une prise en charge impliqueront plusieurs acteurs, nécessitant que médecin et psychothérapeute établissent un contact de travail minimal pour que des questions comme projet ou décision médicale d’hospitalisation ou de séparation familiale puissent être travaillées de la façon la plus cohérente possible, dans le respect indispensable de la préservation du secret du contenu des séances.