Affronter les bouleversements alimentaires : Manger et tais-toi
les doutes ressentis par la population peuvent parfois provenir d’un manque de communication sur l’évolution des technique de cultures, d’élevages ou de transformations des aliments Le questionnement sur l’origine des produits et leur technique de préparation n’est pas de la même nature pour des objet consommation courante que pour des aliments destinés reconstituer notre organisme. De plus, il existe un certain nombre d’aliments particuliers dont la composition est peu identifiable et ne correspond pas à des représentations claires pour public non initié. Le fait que beaucoup de produits résultent d’un mélange d’ingrédients est largement dissimulé par un étiquetage approximatif qui n’indique pas réellement les taux de sucre, d’amidon ou d’autres produits de remplissage. L’accent est toujours mis sur la présentation plutôt que sur le contenu réel. Cette opacité récurrente plus ou moins forte selon les produits est ressentie comme un désagrément ; elle désappointe le consommateur plutôt en quête de certitudes sur ce qu’il mange. Il existe sans doute chez l’homme une inquiétude fondamentale sur la qualité des aliments, et il est très important que ce sentiment ne soit pas entretenu par une chaîne alimentaire peu encline à montres les procédés par lesquels elle assure sa rentabilité. Un certain hygiénisme de nos sociétés contribue aussi à entretenir la peur d’être empoisonné, et les industriels revendiquent fortement la sécurité alimentaire de leurs produits, ce qui est beaucoup plus facile à garantir que la valeur nutritionnelle intrinsèque des aliments. L’attitude inverse visant à rassurer en minimisant ou en occultant les risques sanitaires d’un produit est tout aussi critiquable. En fait, la sécurité microbiologique est plutôt bien assurée actuellement, par contre la pollution environnementale et phytosanitaire contribue à entretenir une chaîne de contaminations bien regrettables.
Il existe donc un réel problème d’information sur les caractéristiques des aliments en termes de composition ou de contamination. De plus, la communication nutritionnelle est trop souvent focalisée sur les aspects susceptibles de mettre en valeur le produit. Combien de yaourts hypersucrés avec pour justification finale un besoin surévalué de calcium ? À l’inverse, d’autres filières (telle que la filière blé-pain) figées dans leurs habitudes de vente sont incapables de mettre en valeur la richesse naturelle de leurs produits en fibres et minéraux. Pendant ce temps, la communication des producteurs de céréales de petit déjeuner a été beaucoup plus efficace, incitative, explicite sur le contenu nutritionnel, ce qui a eu pour résultat d’induire, chez les jeunes, une forte diminution de la consommation de pain. Dans ce contexte difficile, il serait nécessaire qu’une communication claire soit développée auprès des consommateurs, bien trop éloignés de la conduite de la chaîne alimentaire. Ces efforts de clarification et de pédagogie sont loin d’avoir été accomplis. Pour être menés à bien, cela nécessiterait la participation de tous les acteurs et conduirait les producteurs, les grossistes, les transformateurs, les distributeurs à justifier leurs diverses pratiques. Ainsi, il est difficile de savoir qui est responsable de la mauvaise qualité de certains pains, du manque de saveur de tels ou tels fruits et légumes, de l’excellence ou de la médiocrité de certaines viandes. Au lieu de cela, le consommateur apprend un jour que de nombreux légumes sont cultivés sous serres, voire sans terre, des ruminants élevés sans prairies, des poulaillers gérés comme des usines de production d’œufs. Il est informé bien tardivement des conditions extrêmes de concentration et d’industrialisation de certains élevages de volailles et de porcs alors qu’il a consommé couramment ce type de produits.
Les techniques actuelles développées pour l’élaboration des aliments sont susceptibles de choquer de nombreux consommateurs. Elles sont la rançon d’une nourriture peu onéreuse. C’est en informant le consommateur sur la complexité de la chaîne alimentaire, sur les meilleures techniques d’élevage et de culture et de traitement des aliments qu’il sera possible de faire progresser la qualité de l’offre, de faire évoluer les modes alimentaires, de créer un esprit de confiance indispensable au bien-être du consommateur.
L’ensemble des acteurs de la chaîne alimentaire est loin d’entretenir cet état d’esprit. Afin de montrer le sérieux d’une agriculture productiviste, une agriculture dite raisonnée est mise en avant, mais elle est finalement fortement utilisatrice de pesticides et bien conventionnelle. Pour vanter la performance des ateliers de préparation alimentaire, l’accent est souvent mis sur l’importance des mesures d’hygiène, sur la sécurité microbiologique des méthodes de traitement des aliments, ce qui ne garanti en rien la qualité nutritionnelle des produits. Le discours sur la sécurité chimique est illusoire tant que des mesures en amont visant à mettre en place une agriculture propre ne seront pas prises. L’effet de l’imprégnation à long terme de notre organisme par de faibles doses de substances toxiques constitue toujours un problème sanitaire non résolu et pourtant bien inquiétant. De plus, l’accent n’est pas suffisamment mis sur la sécurité positive, si-à-dire sur la richesse effective d’un aliment en facteurs de protection. De même, aucun index de qualité facilement identifiable ne permet au public de juger de l’abondance en calories vicies ou de la densité nutritionnelle d’un aliment.
En l’absence d’une présentation objective des critères de qualité nutritionnelle, de sécurité toxicologique et microbienne, le public finit par croire les filières les plus persuasives, les plus performantes au niveau de la présentation et du discours nutritionnel, les plus accrocheuses au niveau publicitaire. Bien sûr, il subsiste un malaise au niveau des aliments recomposés, sur le rôle de tous les additifs, arômes, colorants et conservateurs savamment répertoriés et numérotés. L’esprit critique est toutefois bien faible, et, finalement, aucun industriel agroalimentaire n’a été mis en demeure, par des associations de consommateurs, de justifier la composition des produits, de rendre compte de l’impact des aliments délivrés sur l’état de santé de la population. Pour prévenir de futurs procès ou révoltes, certaines firmes, à l’instar de MacDonald, commencent à mettre en garde les consommateurs des risques liés à l’abus de leurs aliments, alors que la seule alternative honnête serait de s’engager à faire évoluer leur production vers une qualité nutritionnelle suffisante. Le lait qu’une boisson, une barre chocolatée, un petit pot pour bébé, une pizza industrielle aient une composition simpliste n’a jamais mobilisé l’esprit du législateur, si bien qu’on peut proposer à l’infini « les plus nuls » des aliments ou des boissons sans risquer aucun frein de la part des pouvoirs publics. Nos spécialistes des réglementations aiment discourir sur les supplémentations, les aliments fonctionnels, les allégations, mais leur apparente vigilance est largement insuffisante pour assainir l’offre alimentaire. Alors que les producteurs de céréales de petit déjeuner enrichissent leurs produits en fer et vitamines sous prétexte d’une destination diététique ciblée, les meuniers ou boulangers seraient rappelés à l’ordre s’ils opéraient le même type d’enrichissement. Ainsi, l’essor des multinationales est favorisé au détriment de filières plus traditionnelles.