Calcium et société de consommation
Avec le vieillissement de la population, l’ostéoporose est devenue une maladie grave, très répandue. La déminéralisation osseuse, de l’ordre de 30 à 40 % à l’âge de quatre-vingts ans chez beaucoup de femmes, provoque des tassements vertébraux ou est à l’origine de fractures osseuses (col du fémur, poignet) avec des séquelles graves ou invalidantes.
C’est pourquoi le calcium est doté d’un statut particulier en tant qu’élément majeur du squelette qui en accumule environ un kilo. L’os est un tissu vivant, siège d’un perpétuel remaniement osseux par le biais de deux types cellulaires, les ostéoblastes pour la fixation du calcium et les ostéoclastes pour sa libération.
Le rôle des facteurs impliqués dans l’acquisition d’un maximum de masse osseuse autour de vingt-cinq ans a été très bien étudié. L’apport calcique doit être suffisant, mais il faut que son absorption digestive et sa fixation dans l’os soient favorisées par la vitamine D. L’exercice physique ainsi qu’une alimentation équilibrée en énergie et en protéines sont aussi des éléments importants pour assurer une bonne croissance et une bonne minéralisation osseuses. En faisant l’hypothèse qu’il faut vingt ans pour stocker un kilo de calcium osseux, il suffit d’en fixer environ 140 mg par jour pour aboutir à ce capital osseux. Cela signifie que l’ordre de grandeur du calcium stocké par rapport à celui qui est ingéré varie sans doute de 15 à 30 % selon que l’apport alimentaire est voisin de 1 g ou 0,5 g. En période de croissance, l’intestin a la capacité d’absorber très activement le calcium alimentaire. Il est clair qu’une alimentation complexe et équilibrée, comportant un apport suffisant de produits laitiers ou d’autres sources de calcium (légumes, eaux minérales), est nécessaire à la formation osseuse. Dans la mesure où tout le calcium n’est pas entièrement digestible, qu’il existe également des pertes urinaires, que certaines formes de calcium dans quelques produits végétaux sont peu assimilables, il est prudent de recommander une consommation suffisamment généreuse de calcium, largement supérieure à 500 mg par jour (les ANC* actuels chez les adolescents sont de 1 200 mg par jour, ce qui donne une marge de sécurité considérable). On peut comprendre que le rôle des produits laitiers dans les pays occidentaux ait pu être mis en avant pour disposer d’une large disponibilité en calcium. Il faut reconnaître aussi que bien des peuples ne bénéficient pas de ces aliments sans que cela altère la formation de leur squelette.
Il est par contre surprenant que les recommandations concernant les apports calciques demeurent très élevées chez les adultes (900 mg par jour). A partir de l’âge de trente ans, le réservoir en calcium se vide inexorablement pour atteindre une valeur critique en deçà de laquelle les risques de tassements vertébraux ou de fractures osseuses sont accrus. Durant cette deuxième partie descendante de la vie, l’organisme n’a plus la possibilité d’assurer une fixation nette du calcium ingéré. La possibilité de réduire les pertes osseuses de calcium par un apport élevé de calcium alimentaire est très limitée. D’ailleurs, au niveau mondial, on observe la plus grande prévalence de l’ostéoporose dans les pays occidentaux qui ingèrent pourtant les plus fortes quantités de calcium et de produits laitiers. Il est évident que d’autres facteurs nutritionnels et environnementaux sont à prendre en considération dans la prévention de l’ostéoporose. Pourtant, le discours nutritionnel dominant incite à une consommation le plus élevée possible de produits laitiers. Cette attitude est exemplaire d’une société de consommation où il est important de consommer abondamment sans nécessité avérée alors qu’il serait aussi raisonnable d’éviter certaines pertes.
Sur le plan physiologique, la recommandation d’élever les apports en calcium sans faire attention aux pertes (qui sont principalement urinaires) équivaut à augmenter le débit d’apport d’eau dans un bassin qui fuit sans se préoccuper nullement de la fuite. Or le niveau des pertes de calcium urinaires chez l’homme est fortement dépendant de l’équilibre acido-basique de l’alimentation et de l’apport en sodium et potassium. Ces pertes sont accrues par une consommation très élevée de sel ou de protéines, et on comprend ainsi que les habitudes alimentaires des pays occidentaux sont peu favorables à la prévention de l’ostéoporose malgré les apports très élevés de produits laitiers.
Dans la pratique, la nature des régimes alimentaires est plus ou moins favorable au maintien de l’équilibre acido-basique. Il existe en effet des régimes relativement acidifiants abondants en viandes ou fromages salés ou plutôt alcalinisant du fait de leur richesse en fruits, légumes ou pommes de terre. Tous ces produits végétaux contiennent des acides organiques de potassium métabolisés en équivalent bicarbonate de potassium. Ainsi, les sulfates générés par le métabolisme des acides aminés soufrés des protéines peuvent être neutralisés par les sels organiques de potassium d’origine végétale. Sans un équilibre suffisant, entre viandes et fruits et légumes, le métabolisme osseux délivre du calcium pour assurer l’équilibre acido-basique.
II n’existe certainement pas de consommateur qui ait échappé au message calcium-produits laitiers, par contre, la plupart ignorent l’importance de bien associer la consommation de produits animaux et végétaux pour assurer la conservation du calcium. Pourtant l’intérêt de la consommation de fruits et de légumes afin de maintenir la minéralisation osseuse a pu être mis en évidence dans des enquêtes épidémiologiques récentes. Ces produits végétaux pourraient agir par leurs effets alcalinisant mais aussi par l’apport de micronutriments favorables au métabolisme osseux.
Le fait de réduire la prévention de l’ostéoporose à l’apport de calcium laitier, au moins dans la vulgarisation la plus courante, est caricatural d’un esprit réducteur et du peu d’efficacité des politiques de prévention nutritionnelle.