Pauvres "dysmorphophobiques"
« Dysmorphophobique »… J’ai appris ce terme médical auprès des dermatologues et des chirurgiens qui ont bien voulu me recevoir pour préparer ce livre. Ils qualifient ainsi les personnes qui ne peuvent pas supporter leur image, sont prêtes à tout pour changer telle ou telle partie de leur corps ou de leur visage. Daniela Jacomme explique fort bien cette véritable « maladie » psychologique:
« J’ai choisi comme thème de recherche une maladie qui touche de toute évidence la société occidentale et qui s’appelle la dysmorphophobie… Une maladie qui est liée directement au regard que chacun d’entre nous porte sur son propre physique, et qui souffre de plus en plus, d’après les spécialistes, d’une profonde distorsion. Trop exigeants envers nous-mêmes, trop occupés à atteindre la perfection en tout, nous sommes devenus d’un coup la proie facile de nos propres obsessions. Incapables de voir la réalité telle qu’elle est, avec ses limites et ses défauts inhérents, les gens se proposent des buts théoriquement et simplement “irréalistes” ! “Être le meilleur”, voilà l’idéal de chacun de nous dans un monde de toute façon imparfait…
La quête continue de la perfection engendre toujours un sentiment d’insatisfaction… Il y a toujours des gens à envier. On est en querelle avec le temps, on le défie en acquérant une jeunesse artificielle, bonne pour tromper les autres, et, surtout, pour se tromper… »
Les dysmorphophobiques sont la plaie des chirurgiens et médecins de l’esthétique, qui ne parviennent pas toujours à les dissuader de multiplier des interventions dont ils ne sont ensuite jamais satisfaits. Une praticienne m’a expliqué :
— Nous avons souvent des problèmes d’éthique très particuliers puisque nous ne soignons pas des personnes malades, Les patients qui s’adressent à nous doivent même être physiquement en bonne santé, sinon nous ne pourrions pas les opérer. Donc, en tant que médecins, notre devoir ne nous oblige pas à leur venir en aide. Psychologiquement, c’est une tout autre histoire… Il n’est pas toujours simple de savoir ce qui se cache sous une demande esthétique. Est-ce un simple désir de mieux être ou la manifestation d’une fragilité psychologique liée à la traversée d’événements difficiles? Ou encore l’expression d’un mal-être chronique ? Dans de tels cas, l’intervention risque de ne pas donner les résultats espérés, voire de plonger le patient dans des difficultés plus importantes en aggravant son déséquilibre au lieu de lui apporter un soulagement. Parfois, après les avoir longuement interrogés, je leur dis que je préférerais les voir consulter un psychiatre ou un psychologue plutôt que d’intervenir moi même. Mais beaucoup n’acceptent pas.
Ce bilan psychologique devrait être absolument systématique, et les praticiens sérieux prennent toujours le temps de parler longuement des raisons qui amènent leurs patients à demander une intervention, avant d’expliquer à leur tour les résultats que peuvent en attendre celles et ceux qui viennent les solliciter.