La nutrition préventive a l'échelle d'une vie
Grâce aux avancées scientifiques dans le domaine épidémio- logique et à la compréhension du rôle des nutriments et des micronutriments, notre vision de l’alimentation a fortement changé. Nous sommes passés en vingt ans d’une discipline élé- /mentaire dont le but était de satisfaire les besoins nutritionnels par des apports alimentaires appropriés à une discipline complexe dont les pages ne sont pas encore entièrement écrites puisqu’il s’agit de comprendre comment et pourquoi l’alimentation joue un rôle essentiel dans le maintien de la santé. La nutrition préventive, en plus de son impact pour aider à bien vieillir, pour réduire les risques de survenue de maladies chroniques, a certainement un effet intéressant sur le bien-être, et ce type de bénéfice doit également être mieux cerné. Ainsi, les liens entre nutrition et médecine préventives sont loin d’avoir été bien explorés et pourraient prendre une place majeure dans la gestion à venir des problèmes de santé. Dans les approches actuelles les plus courantes, le maintien d’un clivage entre les recherches concernant l’alimentation et celles du domaine de la santé ne permet pas de progresser avec le maximum d’efficacité pour exprimer le potentiel de la nutrition préventive.
Bien s’alimenter pour bien se porter, cela revient à assurer le bon fonctionnement de l’ensemble des organes par un apport de nutriments et micronutriments appropriés et à prévenir ainsi l’apparition des pathologies. Cependant, une des erreurs les plus classiques est de réduire la nutrition à la satisfaction des apports de chacun des nutriments et des micronutriments sans comprendre la dynamique inhérente à l’effet des aliments et des régimes alimentaires. En effet les divers modes alimentaires exercent des effets santé spécifiques qu’il est difficile d’expliquer par des analyses trop simplificatrices des apports nutritionnels. Néanmoins la connaissance des divers besoins s’est révélée utile à la gestion générale de l’alimentation humaine. Il est nécessaire cependant que le consommateur ne soit pas guidé seulement par des indications descriptives. Il devrait pouvoir bénéficier de recommandations alimentaires d’ensemble avec des règles et des explications compréhensives.
Un capital santé à acquérir précocement
L’impact de la nutrition sur la santé se décline à l’échelon de la vie entière, mais il est facile de comprendre l’importance de certaines étapes clés dans le devenir de l’homme. Sans que nos connaissances soient suffisamment précises, la fertilité humaine et le développement fœtal sont très dépendants d’un bon environnement nutritionnel. De nombreuses observations ont fait état d’une baisse sensible de la densité en spermatozoïdes chez l’homme ; est-ce lié au mode de vie, à la nutrition, à l’environnement ? Cette question est ouverte, l’abondance des calories vides est sans doute peu favorable à une bonne spermatogenèse. De plus la pollution environnementale exerce peut-être des effets néfastes à long terme sur la reproduction encore insoupçonnés.
Autant il est facile de montrer les effets négatifs de la malnutrition, de l’alcool, du tabagisme, de l’obésité sur le devenir du fœtus, autant il est difficile de mettre en évidence la totalité des effets bénéfiques exercés par une nutrition adaptée à l’état de gestation (dans tous les cas, l’organisme maternel se mobilise au maximum pour satisfaire les besoins du fœtus). Il est frappant que la malnutrition fœtale conduisant à des bébés de très faible poids à la naissance puisse induire une prédisposition chez
l’adulte à la survenue de l’obésité et du diabète dans un nouvel environnement trop riche en énergie. Le déterminisme d’une telle influence n’est pas connu, une hypothèse probable serait l’implication de facteurs épigénétiques, aboutissant à la modulation durable de l’expression des gènes vers une plus forte sensibilité aux maladies dites de civilisation. Il est notable que l’essentiel des recherches en nutrition préventive ait porté sur l’influence de l’alimentation dans les processus de vieillissement durant l’âge adulte alors que l’avenir de nos cellules se construit plus précocement.
Les bienfaits de l’allaitement maternel pour la physiologie du bébé n’ont plus à être démontrés, cependant la qualité de cette nutrition infantile est fortement tributaire de la bonne alimentation de la mère. Sans un apport équilibré en acides gras essentiels dans son régime, l’organisme maternel a de la difficulté à fournir les acides gras indispensables au développement cérébral du bébé. C’est ainsi qu’on a pu noter l’influence des matières grasses consommées sur la qualité du lait maternel. Même si sa composition n’est pas toujours idéale du fait des déséquilibres éventuels de l’alimentation de la mère, le lait maternel demeure dans la majorité des cas mieux adapté à la physiologie du nourrisson que les laits 1er âge, pourtant élaborés ^n vue de reproduire le lait maternel. De plus l’allaitement au sein contribue à prévenir la prévalence des allergies alimentaires qui est très fréquente durant les quatre premières années de la vie.
Le capital santé des enfants et adolescents s’élabore à partir d’une multitude de facteurs génétiques, nutritionnels, affectifs, sociaux que l’on a coutume de considérer séparément alors qu’ils forment un tout fort complexe et intimement imbriqué. Parce que le goût des jeunes est loin d’être formé, parce qu’ils ont besoin de vaincre leur néophobie alimentaire, parce qu’ils sont attirés facilement par des aliments riches en calories vides, parce qu’ils ont des besoins très élevés, l’alimentation actuelle des jeunes générations pose de graves problèmes en termes d’élaboration de la santé sur le long terme. Certes, les conséquences de mauvais régimes alimentaires sont déjà visibles avec l’augmentation de la surcharge pondérale qui touche plus d’un enfant sur
dix, mais, dans la majorité des cas, une certaine malnutrition n’est pas facile à détecter et ne se traduira que quelques dizaines d’années plus tard par une plus forte propension à diverses pathologies. Si l’adolescent s’expose au tabagisme et consomme fort peu de fruits et légumes, il est bien probable que cela ait des répercussions très négatives sur son état de santé ultérieur. Il est remarquable aussi que l’abondance alimentaire ait contribué à améliorer sensiblement la taille des nouvelles générations. En fait l’impact des facteurs environnementaux sur l’élaboration de la santé durant la jeunesse est encore bien peu étudié. Même s’ils veulent parfois se démarquer de leurs parents et s’ils ont des besoins différents, les enfants et les adolescents ont un comportement alimentaire fortement dépendant de l’environnement familial, lequel d’ailleurs les imprégnera longtemps. Encore une lourde responsabilité à assumer de la part des parents qui doivent aussi assurer la santé à venir de leur progéniture par des choix alimentaires éclairés.
Adopter un régime de croisière
Même si la santé se construit dès le jeune âge et durant toute la jeunesse, il est important de comprendre le rôle considérable de la nutrition dans le vieillissement et la survenue des pathologies. Nous réagissons aux facteurs environnementaux en fonction de nos équipements génétiques. L’importance des facteurs génétiques dans la survenue des pathologies ou dans le vieillissement pourrait conduire à minimiser l’influence des facteurs nutrition- nels. Cet argument est souvent donné, dans un esprit de facilité, pour s’abstraire des contraintes liées aux recommandations nutri- tionnelles. Il est possible et parfois prouvé qu’en fonction de leur équipement génétique les hommes sont plus ou moins aptes à utiliser fortement les protéines, à détoxifier l’alcool ou d’autres drogues telles que le tabac, à digérer le lait, à consommer abondamment certains aliments tels que des produits à base de soja. Toutefois il est inutile de mettre l’accent sur les différences génétiques dans les réponses digestives ou métaboliques de l’homme alors que par ailleurs une très large majorité de populations présente les mêmes réponses favorables à une alimentation équilibrée. Par contre, il est compréhensible que les populations soient mieux adaptées aux ressources agricoles présentes dans leur région d’origine.
Qu’est-ce qui cause le vieillissement ? On ne le sait pas exactement, et les théories prolifèrent sur ce sujet pour montrer les limites de la vie ou des divisions cellulaires. Le rôle des facteurs genétiques dans le fonctionnement de l’horloge biologique, déterminant la longévité humaine, ne fait aucun doute, mais il existe bien d’autres facteurs capables d’accélérer le vieillissement. On confond souvent le vieillissement normal avec les maladies liées à l’âge, les seules qui posent problème. En vieillissant, l’efficacité des organes diminue, mais avec des vitesses variables selon les individus. Néanmoins nous sommes de plus en plus sujets aux maladies qui accompagnent le vieillissement (maladies cardiovasculaires et arthritiques, cancers, ostéoporose, pathologies neurodégénératives). On pourrait considérer que ces pathologies sont la rançon de la longévité, en fait leur prévalence augmente fortement en fonction de la présence de conditions de vie ou de facteurs nutritionnels défavorables. Même si l’efficacité des systèmes de défense diminue en vieillissant, il n’est pas inéluctable d’être atteint d’un cancer ou de souffrir d’un diabète en devenant vieux, la vieillesse est sûrement un naufrage de beaucoup de fonctions, ce qui est fort éloigné de l’étiologie de nombreuses pathologies.
En raison de la longévité humaine, le métabolisme énergétique est plus ou moins directement à l’origine de nombreuses maladies métaboliques. Une des clés de la prévention est sûrement de ne pas mettre l’organisme en position de lutter contre les excès d’énergie, ce qu’il ne sait pas bien faire et pour quoi il n’a pas été sélectionné. L’évolution a favorisé la sélection des gènes qui maintenaient la survie et préservaient les capacités de reproduction dans des conditions difficiles, de privation alimentaire par exemple, et ces gènes d’épargne pourraient jouer maintenant un rôle néfaste en favorisant un stockage effréné des substrats énergétiques. L’espèce humaine n’a jamais été placée durablement dans la nécessité de s’adapter à des apports énergétiques excessifs ; il est compréhensible que cela lui occasionne beaucoup de troubles. Une des recommandations les plus sûres pour prévenir les pathologies liées au vieillissement concerne donc une
certaine sobriété énergétique, ce qui n’exclut pas d’avoir une alimentation très abondante en volume par le biais des fruits et légumes peu caloriques. Cependant, il existe une inégalité patente dans les réponses individuelles aux excès alimentaires et leurs conséquences sur la santé.
La seconde clé pour la prévention des maladies du vieillissement concerne la qualité de la fraction non énergétique qui doit accompagner les apports caloriques. Or la maîtrise de la densité en micronutriments est le maillon faible de la chaîne alimentaire des pays occidentaux. Si les hommes et les femmes, adaptés à la sédentarité, mangent peu et si leur nourriture est riche en composés purifiés, un tel état de pauvreté nutritionnelle ne peut suffire à la gestion de la santé. Manger peu et consommer des aliments appauvris en micronutriments n’est pas une solution pour assurer un bon état nutritionnel.
Cependant la pire des situations est de soumettre l’organisme à des excès caloriques sans une protection par un ensemble équilibré de micronutriments. Avec une absorption trop forte d’énergie, la glycémie est en permanence trop élevée même si cela ne se traduit pas par un diabète avéré. L’obligation faite à l’organisme de brûler le glucose en compétition avec les acides gras entretient une sorte de gluco- et lipo-toxicité favorable au vieillissement. Cependant, il est également préjudiciable, pour être en forme et en bonne santé, de maintenir l’organisme en situation d’hypoglycémie par un état de sous-nutrition énergétique. Une restriction énergétique sévère, imposée chez les sportives ou résultant de phobies alimentaires chez d’autres femmes, contribue souvent à perturber les cycles sexuels, ce qui est une démonstration de la nécessité d’un certain bien-être énergétique. La conduite de la nutrition préventive exige donc un juste équilibre pour éviter les répercussions négatives des excès ou des carences énergétiques. Les conséquences des déséquilibres de la balance énergétique, quel que soit leur sens, sont aggravées par une mauvaise disponibilité en micronutriments ou en divers facteurs de protection (acides gras ou acides aminés essentiels).
Si le domaine de la nutrition préventive ne s’est pas encore suffisamment développé, c’est pour les nombreuses raisons déjà évoquées, principalement liées à la difficulté d’intégrer et de relier à long terme les connaissances en nutrition et levolution des processus pathologiques, mais aussi de faire la part entre l’influence des facteurs génétiques et celle des facteurs environnementaux dans notre devenir. Malgré ces difficultés et la très grande diversité des polymorphismes génétiques qui singularisent nos réponses physiopathologiques, il ressort qu’il n’y a pas une bonne façon de bien se nourrir pour prévenir le diabète et les maladies cardiovasculaires, une autre pour diminuer les risques de cancer et encore une autre pour réduire l’incidence de l’ostéoporose. Cependant, il existe des spécificités pour chaque pathologie avec des circonstances étiologiques qui peuvent sembler particulières. Cela permet de souligner que la composante nutritionnelle n’est pas le seul élément dans le développement et la prévention de beaucoup de pathologies d’organes. Il n’en demeure pas moins que les bases d’une bonne nutrition restent communes à la prévention de nombreuses pathologies. Cependant, parmi la multitude des facteurs nutritionnels, la nature des facteurs de protection directement impliqués dans la prévention des processus pathologiques peut varier selon le type de maladies.
La maîtrise de tous les éléments de la nutrition préventive peut sembler très difficile ; cependant, nous avons à notre portée une parade nutritionnelle d’une efficacité reconnue, parfois étonnante, pour réduire l’incidence des pathologies majeures. Et il est heureux qu’une même et bonne façon de s’alimenter convienne à la prévention d’un ensemble de maladies !
Nourriture et cœur, une histoire d’amour
Les maladies cardio-vasculaires constituent la première cause de mortalité dans les pays industrialisés. Après avoir été longtemps un problème de riches, l’athérosclérose (sclérose de la paroi artérielle) touche largement les couches défavorisées des pays développés, comme la population des pays en voie de développement.
Les facteurs de risque sont bien connus (hypercholestérolémie, hypertension, tabagisme, diabète, obésité, inactivité physique). L’alimentation est de toute évidence un facteur déterminant pour la prévention de ces maladies. D’ailleurs, c’est pour cette pathologie que les études de prévention nutritionnelle ont été les plus approfondies. Le succès de cette prévention a été
révélé par l’efficacité des régimes méditerranéens et présenté initialement comme un « paradoxe français ». De quoi s’agit-il : malgré une forte consommation de matières grasses, une partie de la population française était mieux protégée des pathologies cardio-vasculaires que les peuples du nord de l’Europe ou les Américains. Curieusement dans un premier temps, l’accent fut mis sur l’efficacité de la consommation de vin rouge et d’huile d’olive plutôt que sur celle des fruits et légumes. En fait, les facteurs de protection impliqués sont nombreux (fibres alimentaires, oméga-3, antioxydants, phytomicronutriments, etc.), et les diverses populations du Bassin méditerranéen en bénéficient. Le respect de la pyramide alimentaire de type méditerranéen permet de retarder les accidents coronaires vers les phases les plus avancées du vieillissement. Ce modèle d’alimentation utilise une très grande diversité de produits végétaux, relativement peu de viandes ; la consommation de poissons est plutôt élevée, l’apport en acides gras est équilibré, et les apports globaux en micronutriments sont abondants et diversifiés. Il est évidemment possible de s’appuyer sur ce type d’alimentation ou d’autres modèles tout aussi protecteurs, en Asie par exemple, pour l’adapter aux ressources alimentaires disponibles dans les diverses régions et généraliser ainsi une prévention nutritionnelle efficace. Il est évident que des modèles de prévention peuvent être élaborés avec des ressources alimentaires bien différentes ; l’huile d’olive, le vin, les poissons ne sont pas en soi indispensables à la prévention dans la mesure où un ensemble d’autres produits peut fournir une gamme similaire de facteurs de protection. (Il vaut mieux, par prudence, ne pas négliger la consommation de poissons pour se protéger du risque cardio-vasculaire.) Il est important de bien comprendre les mécanismes du développement de l’athérosclérose afin de les contrer au mieux par des mesures nutritionnelles appropriées.
De très nombreuses études ont cherché à mettre en lumière les mécanismes sous-jacents de l’évolution des maladies cardio- et cérébro-vasculaires. Historiquement, les recherches ont été centrées sur le rôle des acides gras et du cholestérol. La théorie lipidique a permis de mettre en évidence le rôle athérogène des acides gras saturés joints au cholestérol, engendrant des dérives
vers une phobie du cholestérol alimentaire alors que ce composé est largement synthétisé par l’organisme. En opposition à cette dérive, certains acteurs de la santé, encouragés par les lobbies, en arrivent à marginaliser des mesures diététiques de base pourtant efficaces contre le risque de surconsommation de produits animaux riches en graisses saturées ou en cholestérol. Des conseils diététiques de modération sont d’autant plus efficaces qu’ils sont relayés par des recommandations positives sur l’apport d’huiles végétales pour équilibrer la nature des acides gras et la consommation de produits végétaux riches en fibres indispensables à l’élimination du cholestérol.
À l’exception de quelques cas d’hypercholestérolémie d’origine génétique, il est relativement facile de contrôler la cholestérolémie, de disposer d’une répartition équilibrée du cholestérol dans les lipoprotéines par une alimentation de type méditerranéen ou qui peut être assimilée à ce modèle. Manger en abondance des fruits et légumes, consommer du pain complet plutôt que du pain blanc, cuisiner avec des huiles végétales sélectionnées pour l’équilibre des acides gras et l’apport en micronutriments (huiles vierges), modérer la consommation de sucres et de produits animaux riches en acides gras saturés, ne constitue pas une ligne de conduite alimentaire bien difficile ou compliquée.
/ Pourtant une approche médicamenteuse s’est largement développée sur le principe un peu simple qu’il était plus facile et plus sûr d’intervenir par la pharmacologie plutôt que par la nutrition. On oublie simplement dans ce raisonnement que la nutrition préventive résout bien d’autres problèmes que l’homéostasie du cholestérol. Même si la nature du cholestérol circulant intervient dans les dépôts lipidiques présents sur la paroi de certaines artères, cela ne suffit pas à enclencher le processus pathologique aboutissant aux accidents circulatoires.
Une autre théorie complémentaire de la théorie lipidique a attribué un rôle clé à l’oxydation de certaines lipoprotéines qui a lieu au sein de la paroi artérielle lorsqu’elle est le siège d’une production d’espèces oxygénées réactives. L’altération des acides gras insaturés analogue au rancissement des graisses (intitulé peroxydation) joue effectivement un rôle très dommageable pour la paroi artérielle. Ce processus contribue à mobiliser certains
types de cellules sanguines afin quelles jouent un rôle d’éboueur vis-à-vis des lipoprotéines altérées riches en cholestérol. Cette voie d’élimination des lipoprotéines oxydées revêt un rôle déterminant dans la formation de la plaque d’athérome. Ces peroxydations sont fortement favorisées par le tabagisme et/ou le manque d’antioxydants, cependant la simple administration médicamenteuse d’antioxydants ne suffit pas à assurer une bonne prévention des maladies cardio-vasculaires.
Patiemment les chercheurs ont élaboré une théorie plus globale qui permet de mieux relier l’étiologie des pathologies cardio-vasculaires aux modes alimentaires. D’après les théories actuelles, ces pathologies correspondent à un dysfonctionnement global de la paroi (endothéliale) des vaisseaux en relation avec la complexité des éléments du système circulatoire. Les lipides ingérés sont susceptibles d’agresser l’endothélium vasculaire, or, dans une journée, les périodes d’absorption lipidique sont plus longues que celles où nous sommes à jeun. Finalement, pour protéger la paroi des vaisseaux, pour prévenir à la fois les peroxydations lipidiques, les processus inflammatoires et diverses dysfonctions endothéliales, l’apport de substrats énergétiques en glucose, en acides gras, en certains acides aminés doit être équilibré et accompagné d’un bon environnement de minéraux et de micronutriments protecteurs.
Il est important aussi d’agir sur les facteurs nutritionnels susceptibles de prévenir la thrombose pour éviter la formation des caillots sanguins à l’origine des accidents circulatoires. Un rôle particulièrement protecteur est attribué aux acides gras à très longue chaîne présents dans la chair des poissons gras pour prévenir les infarctus du myocarde et les risques de survenue de mort subite par troubles du rythme cardiaque.
Progressivement le développement des connaissances scientifiques a donc permis d’avoir une vision beaucoup plus intégrée des liens entre nutrition et pathologie cardio-vasculaire. La prévention de ces pathologies implique la quasi-totalité des facteurs nutritionnels même si certains d’entre eux agissent plus indirectement sur la fonction endothéliale. Dans ces conditions, il est permis d’émettre quelques doutes sur la portée de la gestion de la santé par une approche principalement centrée sur la pharmacologie trop éloignée de la maîtrise des facteurs nutritionnels. Il est même surprenant de constater que des médicaments anticholestérol (de la famille des statines) peuvent être distribués sans preuve avérée d’hypercholestérolémie.
Il est remarquable d’observer à quel point l’alimentation présente deux facettes par rapport au bon fonctionnement vasculaire. D’un côté, une alimentation riche en acides gras saturés et indigente en facteurs de protection peut être notre pire ennemie, contribuer à abréger prématurément la vie d’une personne par l’accident cardiaque, lui faire perdre son autonomie, sa raison par l’accident cérébro-vasculaire ; d’un autre côté, une bonne alimentation est indispensable à la protection de nos vaisseaux sanguins, à la dynamique du cœur et des autres organes induisant ainsi un bien-être extraordinaire, une envie de bouger, de vivre, un bon état de forme. La diversité des facteurs de protection vasculaire présents dans les aliments est étonnante, et il semble que l’homme s’acharne à mal se nourrir si l’on en juge par l’incidence si élevée des pathologies vasculaires.
Les produits végétaux sont particulièrement abondants en facteurs de protection. Dans les fruits et légumes, par exemple, il semble que la quasi-totalité de leurs composés exerce des effets bénéfiques : les fibres alimentaires facilitent l’élimination du / cholestérol, le potassium est un élément clé pour prévenir l’hypertension, certaines vitamines comme l’acide folique diminuent la teneur d’un facteur athérogène (homocystéine), les antioxydants participent à la prévention des peroxydations lipidiques, d’autres micronutriments protègent directement l’endo- thélium vasculaire, favorisent la vaso-dilatation des vaisseaux. Ces aliments permettent aussi de bien réguler le métabolisme énergétique, ce qui est favorable à la protection cardio-vasculaire. Les fruits et légumes n’ont pas le monopole de la protection, et bien d’autres aliments d’origine végétale ou animale sont de véritables amis du cœur. Il est difficile d’imaginer par exemple à quel point les légumes secs sont des aliments hypocholes- terolémiants et efficaces pour la couverture des besoins nutritionnels. Il y a aussi une belle logique de protection dans la chaîne alimentaire : les céréales pourvues de la complexité de leurs fibres, minéraux et micronutriments sont plus protectrices que les céréales raffinées, les huiles vierges meilleures que les huiles raffinées, les graisses des animaux terrestres moins athé- rogènes lorsque ceux-ci ont bénéficié d’une alimentation naturelle de qualité, la chair des poissons sauvages bien plus bénéfique que celle des poissons d’élevage nourris avec des succédanés de nourriture marine.
L’alimentation au secours du cerveau
Parce que le fonctionnement du cerveau conditionne le comportement humain, cet organe est souvent perçu comme relativement indépendant du reste de l’organisme et moins tributaire des facteurs environnementaux que les autres tissus. Sa position hiérarchique de chef d’orchestre le soustrairait à des influences nutritionnelles relativement triviales. Cependant, on sait que les carences majeures en vitamines B et E se traduisent par des signes neurologiques particuliers, et il est possible qu’avec certains régimes les apports alimentaires puissent être limitants pour le fonctionnement optimal du cerveau.
Par ailleurs, la spécificité de l’homme est de développer une activité intellectuelle, et il semble bien qu’il puisse l’assurer même dans des conditions de vie extrêmes. Le développement des maladies mentales relève d’un déterminisme particulier souvent fort éloigné de quelconques problèmes nutritionnels. Néanmoins, la qualité de l’alimentation est-elle si étrangère à la bonne marche du cerveau ? On peut en douter, le fonctionnement de l’organisme dans son ensemble ne peut être réduit à la somme des organes qui le composent, il résulte d’une dynamique interactive entre les organes, et le cerveau n’échappe pas à ces interrelations et ainsi aux diverses influences environnementales.
L’organisme humain possède la capacité de réparer les dommages subis par certains tissus. En revanche, les tissus tels que le tissu cérébral, la rétine, le cristallin ne peuvent pas être régénérés à la suite d’une lésion, ce qui conduit à une perte irréversible de leurs fonctions. Néanmoins, il a été montré récemment que certains neurones du cerveau conservaient une capacité de division, ce qui pourrait expliquer quelques processus de régénération ou de maintien cérébral. Surtout, il y a dans le cerveau humain une très grande densité de cellules, nommées les astrocytes, chargées de protéger les neurones et sur lesquelles il st sans doute possible d’agir par la nutrition. Malgré ces cellules protectrices et une certaine plasticité cérébrale, divers pro- cessus de vieillissement peuvent altérer plus ou moins irrémédiablement des fonctions du cerveau. Ainsi, l’augmentation de la longévité entraîne une élévation de la prévalence des maladies neurodégénératives (maladie d’Alzheimer, de Parkinson, dégénérescence maculaire). Ces pathologies provoquent des troubles intellectuels, visuels ou cognitifs qui sont à l’origine d’incapacités de communication, de locomotion, voire de démence. Elles constituent de lourds handicaps pour la qualité de vie de ceux qui en sont affectés et de leur entourage.
Une nourriture bonne pour le cœur est-elle bonne pour le cerveau ? Cela semble plus que souhaitable, et il s’agit en fait d’une réalité physiologique remarquable. La modification des habitudes alimentaires vers une consommation accrue de fruits et légumes, un meilleur apport d’acides gras polyinsaturés de type oméga-3, accompagnée d’une hygiène de vie générale, pourrait aider à prévenir ou à retarder l’apparition des pathologies dégénératives comme celle des maladies cardio-vasculaires.
Le vieillissement de l’individu et de son cerveau s’accompagne de modifications du comportement psychique, intellectuel /et moteur dont il est parfois difficile de préciser si elles résultent d’une évolution naturelle liée à l’âge ou de maladies neurodégé- neratives intercurrentes telles qu’une démence de type Alzheimer ou une maladie de Parkinson.
La maladie d’Alzheimer est la forme de démence la plus répandue, elle est caractérisée par des lésions histologiques particulières du cerveau. Au départ, des troubles de mémoire ou d’autres altérations intellectuelles propres au vieillissement sont difficiles à différencier des symptômes de cette pathologie qui affecte progressivement la mémoire, le langage, les capacités de reconnaissance, la coordination des mouvements et qui induit des troubles graves du comportement. Évidemment, on aimerait bien connaître les causes psychophysiologiques d’un tel naufrage Pour essayer de le prévenir. On attribue à l’heure actuelle un rôle majeur à l’apport d’antioxydants pour la prévention de cette pathologie, ce qui pourrait expliquer une efficacité notable de certains extraits végétaux riches en polyphénols antioxydants de type ginkgo biloba. Parmi les facteurs de risque, une absorption anormale d’aluminium (peut-être due aux instruments de cuisine ou à l’eau du robinet) a été évoquée sans preuve certaine. Bien sûr on est loin de connaître, avec la même précision que pour les maladies cardio-vasculaires, les mécanismes de la prévention de la maladie d’Alzheimer. Il est fort probable que la consommation régulière d’un régime alimentaire sain, comprenant une grande diversité de fruits, de légumes, de céréales, de poissons ou de produits animaux de qualité soit la meilleure source possible de facteurs de protection. Alors que la protection antioxydante est déterminante pour le maintien des tissus cérébraux, il est inutile d’espérer une prévention complète de cette pathologie par la seule administration d’antioxydants. Ce potentiel limité des antioxydants peut paraître paradoxal, cela ne fait que confirmer la complexité des facteurs de prévention et permet de mettre l’accent une fois de plus sur les risques liés à des apports d’énergie mal environnés par des composés non énergétiques.
La maladie de Parkinson affecte 1 % des personnes de plus de soixante-cinq ans, cette pathologie se caractérise par la destruction massive des neurones qui fonctionnent avec de la dopamine, entraînant une difficulté gestuelle, une rigidité, des tremblements. Les facteurs de risque n’ont pas encore été complètement définis ; la prédisposition génétique et la répétition de traumatismes cérébraux semblent avoir une incidence sur la survenue de cette pathologie. Des phénomènes inflammatoires au niveau cérébral et des contacts fréquents avec certains pesticides (paraquat et manèbe) semblent aussi influer sur la survenue de la maladie de Parkinson. Un excès de radicaux libres a été mis en évidence au niveau des neurones affectés, mais cela peut n’être que la conséquence d’un processus inflammatoire. L’implication du fer, grand catalyseur de la production de radicaux libres, dans cette pathologie semble probable et montre une possible participation du stress oxydant. Les études actuelles laissent donc supposer que la consommation d’une alimentation riche en molécules antioxydantes (consommation de fruits, légumes, céréales complètes) pourrait freiner l’évolution de la maladie de Parkinson. Finalement, le régime alimentaire à
^commander aux parkinsoniens ressemble étrangement aux mesures diététiques concernant la prévention nutritionnelle des maladies cardio-vasculaires. Ce régime devrait être pauvre en acides gras saturés et en viandes rouges (qui constituent une source de protéines limitant l’action de la L-dopa administrée aux malades), et riche en fruits, légumes et céréales entières qui fournissent les fibres alimentaires nécessaires au fonctionnement du transit intestinal, très affecté chez le parkinsonien.
Le développement de la cécité lié à la dégénérescence de la macula de l’œil est également une pathologie neurodégénérative fort répandue dans les pays industrialisés où elle représente à elle seule 50 % des cas de cécité après quarante-cinq ans. Cette dégénérescence maculaire est une affection multifactorielle dont les causes et les mécanismes ne sont pas totalement élucidés. On retrouve les mêmes facteurs de risque que pour les maladies cardio-vasculaires, auxquels il faut ajouter des facteurs spécifiques à la préservation de l’œil (couleur de l’iris, opacité du cristallin, exposition prolongée aux rayons de lumière bleus et ultraviolets). Les études épidémiologiques ont permis de montrer, plus clairement que pour les autres maladies neurodégénératives, le rôle protecteur des vitamines antioxydantes et des caroténoïdes vis-à- vis de ce type de perte de vision. Les caroténoïdes composent 1 d’ailleurs les pigments maculaires permettant d’améliorer la représentation visuelle en absorbant la lumière bleue et les ultraviolets, et en jouant un rôle direct d’antioxydant. Une alimentation riche en choux et en épinards, par exemple, permet d’accroître l’épaisseur du pigment maculaire, renforçant ainsi la protection de l’œil. De même, d’autres micronutriments tels que la vitamine E, le zinc ou des polyphénols peuvent freiner la détérioration de la macula ou améliorer la circulation microcapillaire.
Même si la nature des mécanismes de protection est loin d’être comprise, l’affaire semble entendue, il devient prudent et urgent de prévenir au maximum les pathologies neurodégénératives cérébrales et oculaires par une meilleure utilisation du potentiel protecteur inhérent au monde végétal. Cette logique de protection peut être prolongée en recommandant la consommation de produits animaux qui ont bénéficié également d’une alimentation végétale de qualité optimale pour disposer d’un meilleur apport en acides gras essentiels (oméga-3) et en micronutriments.
Le fait que l’alimentation puisse avoir un effet favorable dans le retard ou l’atténuation des maladies liées au vieillissement est maintenant bien reconnu. Par contre les liens entre alimentation et fonctionnement du cerveau sont encore bien peu explorés. On oublie en effet que le plaisir de la prise alimentaire, souvent répété trois fois par jour, a un impact de régénération sur tout l’organisme ainsi que sur le cerveau. Cependant, l’homme est confronté au paradoxe de l’alimentation, d’un côté extrêmement bénéfique pour l’organisme (y compris le système nerveux) lorsqu’elle est bien adaptée à ses besoins, d’un autre côté source de perturbations métaboliques lorsque les apports d’énergie et de micronutriments sont déséquilibrés. Parfois même, des molécules alimentaires se retrouvent directement dans la circulation sanguine malgré le filtre intestinal, ce qui montre que l’intestin est loin d’exercer un effet barrière complet. Ainsi, il a été montré que des perturbations digestives ont des retentissements directs sur le fonctionnement du cerveau et sur l’état de bien-être.
La capacité de l’homme à se ressourcer infiniment par la nutrition participe sans doute efficacement au maintien de sa bonne santé mentale. Les chocs affectifs peuvent perturber profondément l’envie de vivre et de manger, et réciproquement la reprise d’une nourriture normale participe à la restauration d’une dynamique vitale. Sans que cela soit facile à apprécier et à détecter, une certaine difficulté de vivre peut avoir des répercussions sur l’envie de s’alimenter, et en retour le fait de moins bien se ressourcer par des bons repas contribue probablement à entretenir un certain mal-être. Il est difficile de savoir à quel point cela peut favoriser l’apparition de certaines névroses qui se développent par ailleurs à partir de causes bien étrangères à l’alimentation. La dépression est une maladie insidieuse qui frappe beaucoup d’hommes et de femmes, parfois de façon inattendue. De même que l’efficacité d’une aide extérieure médicamenteuse peut s’avérer utile pour atténuer les symptômes de la maladie, il ne faut absolument pas négliger le bénéfice d’un bon régime alimentaire, surtout s’il est source de convivialité. Or combien de personnes déprimées se retrouvent livrées à elles-mêmes, non seulement pour la préparation des repas, mais aussi pour leur rtage ! Certains chercheurs attribuent des propriétés remar- uables à l’administration d’oméga-3 dans le fonctionnement cérébral et préconisent ainsi de véritables cures de ces acides gras Cela n’implique pas nécessairement que la déficience en oméga-3 soit un facteur de risque pour la dépression. Cependant des corrélations géographiques internationales montrent une relation inverse entre la consommation de poissons (une des sources les plus abondantes de ces acides gras) et l’incidence de la dépression majeure. Il serait logique que l’apport en oméga-3 soit le plus efficace chez les sujets dont l’alimentation est particulièrement déséquilibrée en acides gras essentiels depuis longtemps ; cependant ce type de preuve fait encore défaut. En l’absence d’une compréhension plus nette, l’intérêt d’un traitement à base d’oméga-3 demeure aléatoire, mais peut être tenté, vu son innocuité. Cependant, l’efficacité de la nutrition pour prévenir la dépression ne peut reposer à long terme que sur un comportement alimentaire équilibré, porteur d’un ensemble complexe de facteurs de protection.
Finalement, la vie est toujours un combat entre des forces d’usure et des possibilités de ressourcement, et il y a un risque, pour beaucoup de consommateurs emportés par le stress et le tourbillon de la vie moderne, de sous-estimer l’appui d’une alimentation protectrice ou le bénéfice de l’exercice physique au même titre que les autres activités humaines qui renforcent l’unité et le dynamisme d’une personne.
Le paradoxe de l’alimentation et du cancer
Le rôle paradoxal de l’alimentation, potentiellement si bienfaisante mais aussi porteuse de risques, s’illustre particulièrement en matière de cancer. Le cancer est un problème majeur de santé publique, cette maladie est responsable d’environ 30 % des décès et constitue la première cause de mortalité avant soixante-cinq ans. En France, les cancers les plus meurtriers sont, en ordre décroissant, ceux du poumon, du côlon-rectum, des voies aérodigestives, du sein et de la prostate. Avec le vieillissement de la Population, mais aussi sous l’influence de facteurs environnementaux défavorables (tabagisme, pollution environnementale, alimentation, pesticides), l’incidence des cancers avec son cortège de souffrances prend une forte extension dans les pays occidentaux, gâchant ainsi le plaisir de vieillir paisiblement à beaucoup de personnes et à leur entourage. En France chaque année, 150 000 personnes meurent d’un cancer, soit plus que le double de l’immédiat après-guerre. Les cancers semblent se développer dans les pays industrialisés plus que dans les pays pauvres, et cette différence ne pourrait s’expliquer entièrement par le vieillissement. Ainsi, dans un pays comme la France, l’incidence globale de cancers a crû en vingt ans d’environ 30 % à âge égal (ce chiffre masque beaucoup de disparités dans l’évolution des divers types de cancer). Lorsque nous aurons suffisamment de recul sur ce fléau, le cancer apparaîtra comme la rançon à payer pour le développement d’un certain style de vie, caractéristique des sociétés industrielles. Était-ce une fatalité ? Certainement pas puisque nous pourrions disposer de véhicules peu polluants, de demeures saines faites avec des matériaux sûrs, d’aliments produits sans pesticides ou avec des produits phytosanitaires sans risques avérés.
Parce que les facteurs génétiques jouent un rôle fondamental dans la survenue de ces pathologies, parce que le cancer provient d’un dérèglement de la division et de la différenciation cellulaire, le rôle de l’alimentation, de la pollution ou d’autres facteurs environnementaux dans l’apparition de divers cancers a semblé longtemps marginal. Pourtant, dans la mesure où elles peuvent être responsables de la première mutation indispensable au processus cancéreux, les substances toxiques si abondantes dans notre environnement pollué pourraient en partie expliquer la prévalence actuelle de nombreux cancers, à l’instar du cancer du poumon.
Notre vision sur l’origine des cancers, et donc notre vigilance, a profondément changé, et il est probable que l’impact des facteurs environnementaux apparaîtra plus déterminant au fur et à mesure des progrès de la recherche. Cela ne signifie pas que le développement du cancer ne résulte pas aussi d’une logique de dysfonctionnement interne (responsable de l’apparition de nouvelles mutations dans les cellules préalablement transformées), avec des causes complexes difficiles à analyser mais qu’il faudrait mieux comprendre. De plus, il n’existe pas un cancer
ais des cancers avec des circonstances d’apparition extrêmement diverses.
Il y a à l’évidence une nécessité d’agir sur les facteurs qu’il serait possible de contrôler tels que l’exposition aux cancérigènes (tabac, alcool, pollution, pesticides), mais également le mode de vie et la qualité de l’alimentation. Dès à présent au niveau alimentaire, il est prudent d’éviter d’ingérer fréquemment des quantités trop importantes de substances cancérigènes. Mais comment les repérer ? La contamination par les pesticides est passée sous silence pour ne pas décourager les consommateurs. Cependant elle est bien réelle (on peut même parfois la percevoir sur les raisins de table par exemple), même si les résidus de pesticides présents dans les produits sont très rarement supérieurs aux limites réglementaires (qui sont sans doute assez arbitraires). Pour certains aliments tels que les fruits et légumes, une indication de la date et de la nature du dernier traitement serait bienvenue, même si nous sommes plus résistants que les abeilles. Bien des substances naturelles présentes dans les aliments comestibles et les boissons peuvent théoriquement exercer des effets cancérigènes, mais, comme elles ne sont pas absorbées isolément ou sont présentes en faible quantité, elles sont normalement neutralisées ; en tout cas, il y a fort longtemps que les gommes les absorbent. Une recommandation de bon sens consiste à varier ses habitudes de consommation pour éviter à l’organisme d’être toujours en contact avec les mêmes facteurs de risque. En effet, la durée d’exposition à un facteur cancérigène prime sur la dose ingérée.
Le paradoxe de l’alimentation est de pouvoir créer un environnement favorable ou défavorable à la cancérogenèse. Être directement responsable du cancer par la présence de divers cancérigènes (pesticides, pyrolysats, mycotoxines), jouer un rôle prédisposant par un environnement nutritionnel déséquilibré (excès d’énergie, de graisses, d’alcool, de sel) ou exercer un rôle protecteur par l’apport de micronutriments, de fibres alimentaires, par 1 équilibre des acides gras, par l’effet spécifique de certains aliments tels que les fruits et légumes.
L’impact et le mécanisme d’action des facteurs alimentaires sont plus ou moins établis selon le type de cancer. Les données
épidémiologiques et expérimentales sont convaincantes et concordantes concernant le rôle protecteur des fruits et légumes vis-à-vis des risques de cancers de la bouche, du pharynx, de l’œsophage, du poumon, de l’estomac et sans doute du gros intestin (rôle assez net des légumes). La proportion des cancers qui pourraient être évités par voie nutritionnelle demeure difficile à chiffrer, sans doute de l’ordre de 30-40 % tous cancers confondus. La prévention nutritionnelle est plus élevée pour les cancers de l’estomac et du côlon-rectum que pour ceux du sein, de la bouche, du larynx, du pharynx et du poumon. En fait, les potentialités de prévention sont certainement beaucoup plus élevées que les estimations actuelles assez fluctuantes parce qu’il est rare que les comportements alimentaires aient été optimaux à l’échelle d’une vie. De plus, un très grand nombre de cas de cancers ont été prévenus grâce à l’alimentation sans qu’ils aient pu être comptabilisés.
L’organisme est exposé à de nombreux facteurs qui peuvent favoriser la cancérogenèse. Le temps de latence entre la première lésion de l’ADN et l’apparition d’une tumeur est souvent très long (de dix à quinze ans), et les tumeurs peuvent se développer à partir d’une seule cellule normale transformée ! Les événements impliqués dans la cancérogenèse sont très complexes et liés au fait que certains accidents peuvent survenir lors de la division des cellules et plus particulièrement au cours du vieillissement de l’organisme. Les études expérimentales sur les animaux de laboratoire ont permis de mettre en évidence le fait que le processus cancéreux procède par étapes, où de nombreux facteurs de protection peuvent avoir un rôle à jouer.
L’étape d’initiation correspond à une première lésion géno- toxique provoquée par des cancérigènes d’origine exogène ou produits dans l’organisme. Quelles que soient leurs origines, les radicaux libres ou les espèces oxygénées réactives sont fortement impliqués dans les lésions et les mutations de l’ADN. Les facteurs alimentaires peuvent contribuer à prévenir cette étape d’initiation du processus cancéreux en empêchant la formation de métabo- lites toxiques, en favorisant leur détoxification et leur expulsion de la cellule, en neutralisant les radicaux libres ou les espèces oxygénées réactives, en protégeant les sites sensibles de l’ADN vis- des molécules génotoxiques, en modifiant l’expression de à VlSins gènes clés de la division cellulaire et enfin en activant la ration des lésions de l’ADN. Chez l’homme, il est possible de rendre compte de l’importance des lésions génotoxiques par l’élimination urinaire de produits d’oxydation de l’ADN. Ainsi a- t-on pu observer que la consommation de fruits et légumes contribuait à diminuer cette excrétion.
Le processus de cancérogenèse nécessite aussi l’intervention de divers facteurs qui stimulent la division des premières cellules transformées (promotion tumorale). Les facteurs nutritionnels et les réponses de l’organisme peuvent ainsi contribuer soit à limiter, soit à amplifier les conséquences des premières mutations cellulaires. Lorsque la cellule acquiert un potentiel toujours plus élevé de division cellulaire en sécrétant ses propres facteurs de croissance, le processus cancéreux est bien enclenché. Cependant, pour que les tumeurs deviennent malignes, il est nécessaire que d’autres stades, permettant la progression et l’invasion tumorale, soient franchis.
Les facteurs nutritionnels peuvent donc exercer un rôle préventif sur les processus cancéreux, mais les connaissances concernant les mécanismes d’action sont loin d’être suffisantes pour essayer d’agir au mieux par les facteurs nutritionnels. À partir d’un grand nombre d’études épidémiologiques, le rôle protecteur global des fruits et légumes a été mis en évidence dans les cancers digestifs mais aussi dans ceux du poumon, de la vessie et même dans les cancers hormonodépendants. Cependant, il est probable qu’il y ait des produits végétaux plus ou moins efficaces selon la nature des micronutriments qu’ils apportent. En 1 absence de connaissances suffisamment précises, une recommandation sûre est de bien diversifier les espèces botaniques de fruits et légumes de qualité dans le cadre d’une alimentation bien équilibrée en énergie et de bonne densité nutritionnelle.
Le risque de développement d’une épidémie d’obésité, parce qu’elle touche précocement les jeunes, parce qu’elle est bien visible, est parfaitement perçu alors que la progression de l’incidence du cancer est encore trop analysée comme la rançon à payer du vieillissement. Cette analyse s’applique relativement bien au cancer de la prostate qui est quasiment inhérent au vieillissement, mais cela ne signifie pas que les possibilités de prévention nutri- tionnelle soient faibles.
L’augmentation de l’incidence de beaucoup d’autres cancers ne semble pas dépendre de l’élévation de la longévité. La progression fulgurante du cancer du poumon est liée au développement du tabagisme, et, avec un certain décalage, ce cancer frappe maintenant la population féminine. De même, l’incidence du cancer de la peau est liée à une exposition inconsidérée au soleil de la part de sujets relativement sensibles. La prévalence du cancer du sein ne cesse d’augmenter dans les pays européens, et cela ne peut s’expliquer seulement par un dépistage précoce. Au début des années 1990, on répertoriait 25 000 nouveaux cas de cancers du sein par an en France, l’incidence actuelle serait de l’ordre de 42 000 cas par an. Ainsi, on peut estimer qu’une femme sur dix développera un cancer du sein durant sa vie. L’échec des médecins dans l’éradication du cancer du sein est en grande partie due à l’absence d’identification d’un agent étiologi- que spécifique et à notre ignorance de l’initiation tumorale. Cette maladie cancéreuse semble dans tous les cas multifactorielle, et aucun facteur étiologique, pris isolément, ne peut expliquer la maladie. Certains facteurs de risque héréditaires sont très forts, mais des observations ont mis en évidence que l’environnement pouvait amplifier les conséquences des prédispositions génétiques. Parmi les facteurs de risque on peut citer l’impact à long terme des œstrogènes (règles précoces, ménopause tardive, première grossesse tardive, utilisation prolongée de contraceptifs oraux à base d’œstrogènes), et parmi les facteurs nutritionnels, la surcharge pondérale, la prise d’alcool et une alimentation trop pauvre en facteurs de protection (acides gras polyinsaturés, micronutriments, phyto-œstrogènes d’origine alimentaire). La nutrition peut avoir une influence sur l’imprégnation hormonale ou agir sur le métabolisme cellulaire. L’exemple du cancer du sein illustre parfaitement la difficulté de cerner le rôle des facteurs nutritionnels dans la forêt des autres facteurs génétiques, physiologiques et environnementaux impliqués.
Le cancer du côlon est un exemple particulier où les facteurs nutritionnels peuvent revêtir une influence déterminante, bien qu’il existe des facteurs génétiques de prédisposition également importants. Une forte proportion de cancers du côlon se développent à partir d’une tumeur bénigne lorsque les cellules de la paroi de cet organe prolifèrent anormalement. Le contrôle de cette prolifération est influencé à la fois par 1 état nutritionnel et métabolique du sujet et par la composition du contenu intestinal. La prévention nutritionnelle est loin detre limitée aux apports de fibres alimentaires qui vont conditionner la qualité des fermentations symbiotiques développées dans le gros intestin. Une ingestion de graisses et de protéines animales associée à une surcharge pondérale est un facteur de risque pour le cancer du côlon via des déviations métaboliques ou via des facteurs présents dans le contenu du côlon. À l’inverse, une consommation diversifiée de produits végétaux complexes (céréales complètes, légumes secs, fruits et légumes), une nutrition lipidique de qualité riche en oméga-3 créent un terrain favorable à la prévention de ce type de cancer. Il est intéressant de noter qu’un même type d’alimentation protectrice, par le biais de la qualité du contenu intestinal, peut à la fois contribuer à optimiser le métabolisme de la paroi digestive et créer un milieu digestif environnant très favorable à la différenciation des cellules du côlon qui perdent ainsi la possibilité de se diviser anormalement.
Pour aboutir à ce fonctionnement optimal, les fibres alimen- 1taires jouent un rôle fondamental par leur rôle sur le transit digestif et par la production d’acides gras à chaîne courte qui auront un impact très fort sur la différenciation des colonocytes. Il est compréhensible ainsi qu’il soit nécessaire de disposer d’une gamme suffisante de fibres de fermentescibilités différentes pour maintenir des fermentations équilibrées tout au long du gros intestin. Les produits végétaux exercent également des effets protecteurs par leur richesse en micronutriments, et ces composés pourront agir par voie générale (apportés par le sang) ou par leur présence dans le contenu intestinal. Ainsi, les nombreuses substances associées aux fibres telles que les polyphénols et les caro- ténoïdes partiellement absorbées dans l’intestin grêle se retrouvent fort utiles pour la protection de la paroi du côlon. Les fermentations intestinales, selon la nature des apports végétaux et des autres apports alimentaires, vont donc constituer un milieu plus ou moins génotoxique pour la paroi du côlon, et il est surprenant que, malgré cette exposition si particulière, une large majorité d’individus échappe à la cancérogenèse colique, ce qui montre la puissance des facteurs de protection. Une prudence élémentaire est de ne pas s’exposer inutilement à des facteurs de risque par une alimentation désordonnée quant à l’apport régulier de fibres alimentaires, et déséquilibrée sur le plan général. Il est notable d’observer que des facteurs de protection aussi généraux que la vitamine D ou l’acide folique, voire les oméga-3, s’avèrent utiles pour parfaire la prévention du cancer du côlon.
De manière générale, il semble exister des liens entre le bon état nutritionnel et métabolique (voire psychologique) d’une personne et sa capacité à résister au développement potentiel de divers cancers. N’oublions pas que nous sommes tous porteurs de cellules transformées qui, heureusement, seront maîtrisées par nos systèmes de défenses métaboliques et immunitaires. Il est compréhensible dans ces conditions que la surcharge pondérale puisse être aussi un facteur de prédisposition à la genèse de certains cancers tels que ceux du sein ou du côlon.
La complexité des systèmes de défense
Il semble bien difficile de maîtriser parfaitement tous les éléments de la nutrition préventive ; cependant, nous avons à notre portée une parade nutritionnelle d’une certaine efficacité pour réduire l’incidence des cancers comme celle de bien d’autres pathologies. Comme pour le vieillissement, ou pour certaines maladies, un apport raisonné d’énergie bien environné de micronutriments favorise le fonctionnement optimal de l’organisme et facilite l’action des différents systèmes de défense.
Les relations entre immunité et nutrition sont particulièrement intéressantes à considérer, qu’il s’agisse des défenses de l’organisme contre les agents pathogènes ou de la lutte contre les cancers, mais cette dernière problématique est encore mal connue. On a pu observer depuis longtemps que les phases de sous-alimentation s’accompagnent d’une surmortalité importante, notamment infectieuse. Il est bien établi par exemple que des déficiences protéiques dépriment la réponse du système immunitaire. La nature et la quantité des lipides ingérés qui influencent la fluidité membranaire ou la production de médiateurs sont impliquées dans les processus inflammatoires ou Ja qualité des réponses immunitaires. Des apports déséquilibrés en acides gras essentiels peuvent ainsi altérer les réponses immunitaires.
Depuis environ vingt ans, les recherches ont été focalisées sur l’influence de certains micronutriments spécifiques. Il a été démontré que des déficits spécifiques en vitamines B6, B9 et B12 entraînent des déficiences immunitaires importantes, portant surtout sur l’immunité à médiation cellulaire. Un bon statut en vitamine A conditionne la résistance aux infections mais influence aussi la réponse immunitaire tumorale. Les effets généraux de la vitamine C sur le renforcement du système immunitaire sont reconnus et sans doute potentialisés par l’apport de vitamines E ou d’autres phytomicronutriments. On comprend très bien que les oligo-éléments (fer, cuivre, zinc, sélénium) qui jouent un rôle dans la lutte contre les radicaux libres ou dans le métabolisme cellulaire soient impliqués dans le fonctionnement des réponses immunitaires.
Une alimentation de qualité, avec une composition en énergie et en micronutriments équilibrée, exerce de nombreux effets protecteurs en optimisant le métabolisme cellulaire et le fonctionnement des organes. Ce rôle de facilitation de la nutrition sur l’organisme n’a pas été assez mis en valeur dans nos sociétés modernes ou a été détourné au profit d’intérêts mercantiles à l’aide de messages réducteurs. Malgré la très grande diversité de nos patrimoines génétiques et les inégalités qui en résultent devant la nourriture et les risques de pathologies, la nutrition préventive offre de toute façon un bénéfice réel même s’il ne peut être complet.
Bien que la nature et les effets des divers éléments impliqués dans la prévention nutritionnelle ne soient pas toujours bien définis, nous avons un recul suffisant pour émettre des recommandations sûres. Les consignes nutritionnelles ne sauraient être perçues comme une contrainte, l’équilibre alimentaire étant basé sur des choix complémentaires plutôt que sur des restrictions. Les risques entraînés par le discours des nutritionnistes doivent aussi être pris en considération : s’il provoque des perturbations psychiques (obsession des calories, de la prise de poids, de la diététique, recherche systématique d’une protection), s’il entraîne des bouleversements culturels inutiles, s’il est à l’origine du développement peu justifié de certains produits. À côté de ces risques inhérents à tout progrès humain, combien d’hommes et de femmes verraient leurs conditions de vie et de santé améliorées par une meilleure alimentation. Pour beaucoup, la malnutrition est surtout induite par le sous-développement ou la précarité. Dans les pays occidentaux, il est regrettable que les problèmes nutritionnels puissent résulter d’une approche trop mercantile. Il est dommage que les politiques nutritionnelles de santé publique souvent trop débutantes ne permettent pas de contrecarrer efficacement certaines dérives de la chaîne alimentaire.
Vidéo : La nutrition préventive a l’échelle d’une vie
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Une réponse pour "La nutrition préventive a l'échelle d'une vie"
Bonjour,
Une bonne alimentation équilibrée fera l’affaire.