Du contrôle de la toxicité aux essais cliniques
Mais c’est aux États-Unis que les choses se décident et ils seront progressivement imités partout dans le monde. La première législation américaine date de 1902. Elle était déjà la conséquence d’un accident : en 1901, des épidémies de tétanos semblent dues à un vaccin antivariolique. Un Bureau of Chemistry, ancêtre de la Food and Drug Administration (FDA), est désormais autorisé par la loi à saisir les produits « dénaturés » ou « mal étiquetés », ce qui est évidemment très limité.
Dans l’entre-deux-guerres, le marché des médicaments se développe de manière considérable et on estime que plus de 500 000 médicaments différents sont alors en vente. Ce marché est de plus en plus dominé par des spécialités dont la composition est gardée secrète par les fabricants. Voici la situation avant 1938, décrite par l’historien américain Harry Marks : « Certaines spécialités consistaient essentiellement en eau colorée, d’autres contenaient de grandes quantités d’alcool ou de codéine, tandis que d’autres encore recelaient d’ingénieuses combinaisons des nouveaux composants chimiques fabriqués en Allemagne. Une fois les remèdes mis sur le marché, ces distinctions étaient bientôt effacées. Les compagnies faisaient la promotion du produit inerte avec autant de vigueur que celle des ingrédients actifs. » Les laboratoires multiplient les publicités, visant les publics profanes, dans les journaux grand public.
Un nouvel accident grave décide le législateur américain à agir. En 1937, la société Massengill commercialise du sulfanilamide (un sulfamide anti-infectieux) sous la forme d’un sirop avec du glycol — un antigel ! — comme excipient, qui avait l’avantage d’avoir un bon goût sucré. Il y aura plus de cent décès, dont plusieurs enfants. En 1938, le Congrès autorise donc la Food and Drug Administration à contrôler la toxicité des nouveaux médicaments. Avec cette nouvelle réglementation, en effet, le législateur ne prévoit pas de tester en tant que telle l’efficacité des médicaments proposés par les industriels, mais seulement leur toxicité : les médicaments « doivent être sans danger d’utilisation dans les conditions prescrites».
Mais la FDA, sous l’influence de chercheurs (que l’on va appeler les « réformateurs thérapeutiques ») qui réfléchissent à ce qui va devenir la méthodologie des essais cliniques contrôlés, va très vite donner une interprétation beaucoup plus précise et impérative de sa mission. Décider de la toxicité d’un médicament, n’est-ce pas être capable de mettre en rapport le risque encouru avec le bénéfice thérapeutique ? On peut accepter une certaine toxicité pour un médicament efficace dans une maladie grave. Cela suppose seulement qu’elle soit sous contrôle, c’est-à-dire contrebalancée par de vrais avantages. La FDA est donc amenée, en toute logique, à s’intéresser aussi à l’efficacité thérapeutique des médicaments proposés, même si le législateur répugnait à lui fixer ouvertement cette mission qui semblait contraire à l’esprit de la libre entreprise. Dès cette époque, tout devient une question de rapport entre toxicité, efficacité et gravité de la maladie.
Si l’on continue à suivre l’exemple des Etats-Unis qui donnent le la de la législation mondiale en matière de médicaments, on peut néanmoins constater la fluctuation des législateurs. Suite à la catastrophe de la thalidomide, dont les terribles effets secondaires auraient pu être prévus si des études de toxicologie avaient été réalisées sur plusieurs espèces animales (comme c’est maintenant la règle) et non pas sur une seule, le pouvoir de la FDA est renforcé par les amendements Kefauver- Harris de 1962, qui modifient la loi fondatrice de 1938 (laquelle avait déjà été complétée par une loi de 1951, prévoyant que certains médicaments ne pouvaient être délivrés que sur ordonnance médicale).
Mais à l’inverse, en 1997, le Congrès affaiblit à nouveau la FDA en votant le Modernisation Act, qui permet aux industriels de raccourcir les délais d’examen de leurs molécules. C’est une invitation directe à un comportement plus laxiste des autorités de régulation. Selon tous les observateurs, cette modification législative a eu un impact négatif sur l’indépendance de la FDA et sur sa capacité à contrôler la tolérance des nouveaux médicaments5. Sous la présidence de Reagan, la Maison-Blanche a essayé de profiter d’une situation où les activistes réclamaient une mise à disposition plus rapide des nouveaux médicaments antisida, pour promouvoir la dérégulation de l’industrie pharmaceutique et accuser la FDA de vouloir tuer l’industrie pharmaceutique. On a ainsi assisté à une alliance atypique entre les éléments radicaux de la lutte contre le sida et les plus conservateurs des politiciens américains .
Les industriels se plaignent régulièrement des délais trop longs d’examen de leurs dossiers et demandent qu’au-delà d’un certain délai leur médicament soit automatiquement et tacitement autorisé. C’est ainsi qu’en 2002, sous la pression du lobby pharmaceutique, des députés français ont proposé que l’Agence du médicament n’ait plus que 180 jours pour décider.
Vidéo : Du contrôle de la toxicité aux essais cliniques
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