Xénotransplantation ou cœur artificiel, un défi pour demain
L’insuffisance cardiaque
L’insuffisance cardiaque est une perte de la force de contraction du cœur. Terme ultime des maladies cardio-vasculaires, c’est une affection extrêmement fréquente : la première cause de mortalité chez l’homme avant le cancer. Elle affecte chaque année 600 000 personnes en France et cinq millions aux États-Unis, donc, proportionnellement, une population un peu plus importante aux États-Unis qu’en France. Les hommes sont deux fois plus touchés que les femmes, mais du fait de l’évolution des comportements, notamment en matière de tabagisme, l’écart tend à se réduire. Cette maladie est très grave : 45 % des malades arrivés au stade de grave insuffisance cardiaque meurent au cours de l’année suivant son diagnostic.
Comment se manifeste-t-elle et comment la traiter ? Pour répondre à cette double question, il faut d’abord rappeler ce qu’est Je cœur et, pour cela, faire appel à nos souvenirs de lycée. Le cœur est une pompe qui sert à faire circuler le sang dans tous nos organes. Il comporte deux chambres contractiles : le ventricule droit et le ventricule gauche. Le droit reçoit le sang veineux, désoxygéné venu de nos organes et le propulse dans les poumons pour qu’il se charge d’oxygène. Le gauche reçoit le sang oxygéné et le propulse par nos artères vers les organes qui y puisent les nutriments dont ils ont besoin. L’insuffisance cardiaque apparaît lorsque la force de contractilité de l’un ou l’autre des ventricules diminue. Lorsque le gauche est en cause, le malade s’essouffle, à l’effort dans un premier temps, puis de manière permanente. Si c’est le droit qui est atteint, un gonflement des jambes et des douleurs dans la région du foie apparaissent. Le plus souvent, les deux ventricules sont impliqués dans l’insuffisance cardiaque et les symptômes s’additionnent. La mauvaise contraction des ventricules induit un ralentissement de la circulation du sang. Les organes sont donc moins bien nourris. Un cercle vicieux s’installe dans lequel l’état d’un organe retentit sur les autres jusqu’à l’issue fatale. Ainsi, l’insuffisance cardiaque n’est pas seulement une souffrance du cœur, mais celle de tous les organes. Le moyen d’y pallier est de rendre au cœur sa force contractile.
Ces cinquante dernières années, la médecine a fait des progrès considérables. Auparavant, les seuls remèdes étaient la caféine, l’extrait de digitale et la saignée. Souvenons-nous des médecins de Molière : la purge et la saignée résumaient tout leur art. Les saignées soulageaient effectivement le cœur parce que celui-ci avait ainsi moins de sang à pomper, mais elles rendaient les gens anémiques, ce qui était bien pire. Aujourd’hui, comme pour beaucoup d’autres maladies, le traitement de l’insuffisance cardiaque est une plurithérapie, c’est-à-dire qu’il recourt à plusieurs médicaments, chacun agissant sur l’une des composantes de la maladie : les vasodilatateurs dilatent les vaisseaux et diminuent ainsi les résistances qui s’opposent au travail du cœur, les tonicardiaques renforcent la contractilité des ventricules, les bêtabloquants ralentissent le cœur, rendant sa contraction plus efficace.
Au cours du temps, ces traitements perdent progressivement leur efficacité. Il faut alors se tourner vers la chirurgie qui offre plusieurs solutions. Certaines ne sont que palliatives : ce sont les appareils d’assistance dont on ne parlera pas ici. D’autres sont radicales et se résument purement et simplement au remplacement du cœur par celui d’un autre homme, ou par un cœur artificiel.
Transplantation cardiaque
La transplantation cardiaque est le remplacement du cœur malade par un cœur pris sur un autre être humain.
Il s’agit d’une opération chirurgicale spectaculaire et fort émouvante.
En 1967, beaucoup d’équipes de recherche travaillaient sur ce sujet lorsque la nouvelle arriva d’Afrique du Sud : Christian Barnard avait procédé à la toute première transplantation d’un cœur chez l’homme. La nouvelle fit l’effet d’une bombe – à la fois médiatique et médicale – car elle représentait un nouvel espoir pour de nombreux malades. Beaucoup d’équipes tentèrent alors l’aventure avec trop de hâte et peu de succès. À l’hôpital Broussais où je travaillais à l’époque, nous étions prêts depuis longtemps puisque nous avions réalisé, sous la direction du professeur Jean-Paul Cachera, de nombreuses transplantations sur le chien. En avril 1968, un dominicain, le père Damien Boulogne, arrivé au stade terminal d’une insuffisance cardiaque, proposa à notre chef de service, le professeur Charles Dubost, d’être son premier opéré. Celui-ci accepta et réalisa, avec l’aide du professeur Cachera et de moi-même, la première transplantation cardiaque réalisée avec succès en Europe.
Une transplantation cardiaque présente aujourd’hui encore de grandes difficultés.
La première concerne le prélèvement du cœur sur le donneur d’organe. On peut le faire uniquement sur un homme décédé, mais ceci le plus tôt possible pour que le cœur fonctionne encore. L’espace de temps dont on dispose est très court, et auparavant, le cœur se révélait très souvent inutilisable. C’est alors qu’on réalisa que la mort n’est pas tant l’arrêt du cœur que celui de toutes les fonctions du cerveau. Cette nouvelle définition de la mort était capitale car elle permettait de prélever des organes encore sains chez un sujet dont le cerveau ne fonctionnait plus. Ainsi, aujourd’hui, le prélèvement d’un organe ne pose plus les graves problèmes éthiques qu’il soulevait autrefois. D’après les textes officiels, toute personne majeure, dont le cerveau est mort, est déclarée légalement décédée et devient un donneur d’organes potentiel, à moins qu’elle n’en ait manifesté le refus de son vivant. Dans la pratique, c’est la famille qui est sollicitée pour donner son accord. Pour des raisons éthiques, elle ne l’est jamais par le chirurgien transplanteur, mais par un médecin spécialisé. Une fois qu’un organe est disponible, que l’équipe de prélèvement a vérifié son bon fonctionnement, il faut choisir le receveur parmi les malades figurant sur la liste d’attente. Un choix douloureux car il y a toujours trop de malades en attente pour le petit nombre de cœurs disponibles. Il se porte sur le malade le plus urgent, sur celui qui attend depuis le plus longtemps ou, surtout, sur celui qui est le plus compatible, c’est-à-dire qui tolérera le mieux le cœur étranger. Comme les trans-fusions de sang qui ne se font qu’entre personnes de groupes sanguins compatibles, la même règle est respectée pour les organes. Théoriquement, il faudrait étudier aussi les groupes de compatibilité des tissus découverts par le grand scientifique français Jean Dausset. Mais le temps que nécessitent ces tests ne permet pas d’en tenir compte pour la sélection des malades.
La deuxième difficulté est l’opération elle-même. Dès que le receveur a été identifié sur la liste, il est immédiatement convoqué. C’est le temps zéro de l’opération. À partir de cet instant, une lutte contre la montre est engagée, chaque minute compte, aussi bien du côté du malade qui, pour être opéré, doit arriver d’urgence à l’hôpital, que de celui du donneur qui doit être prélevé dans les meilleurs délais. Une équipe de prélèvement est envoyée à l’hôpital où le donneur a été accueilli. Avant de prélever les organes, elle procède à leur protection par des liquides physiologiques réfrigérés. Le transfert du cœur doit être effectué en moins de trois ou quatre heures par avion ou par ambulance. Pendant ce temps, le malade à opérer est arrivé à l’hôpital et les derniers contrôles biologiques sont pratiqués. La transplantation peut alors avoir lieu. Le chirurgien ouvre largement le thorax et branche un cœur-poumon artificiel sur la circulation pour suppléer la fonction des poumons et du cœur pendant qu’il procédera à l’ablation du cœur malade et à son remplacement par un cœur sain. C’est une émotion toujours vive de voir le thorax, soudain vidé de son organe vital, retrouver un cœur tout neuf. Celui-ci est suturé aux vaisseaux du malade qui, eux, sont déclampés. Le cœur ne se remet à battre qu’après une ou deux minutes – parfois, les battements se font attendre plus longtemps, suscitant un nouveau moment d’intense émotion. Ensuite, il est possible d’arrêter le cœur-poumon artificiel.
Un autre défi commence alors, la lutte contre le rejet. Qu’est-ce donc que ce rejet dont on parle tant ? Notre corps est défendu contre les agents pathogènes qui nous entourent, virus, microbes ou autres, par un système de défense très élaboré appelé « système immunitaire ». C’est grâce à lui que nous luttons, victorieusement le plus souvent, contre les infections. Le problème est qu’il ne fait pas la différence entre un microbe qui menace la vie et un cœur qui a été transplanté pour la sauver. Dès que le système immunitaire reconnaît un intrus, il mobilise ses armes – des cellules sanguines appelées lymphocytes – pour le détruire. Dans le cas d’une transplantation d’organe, c’est ce que l’on appelle le rejet immunologique. Pour s’opposer à lui, un seul moyen : neutraliser l’action des lymphocytes les plus agressifs par des médicaments – des boucliers en quelque sorte – qui s’appellent stéroïdes, azathioprine et ciclosporine. Ce dernier médicament, le plus efficace, n’était pas disponible à l’époque de la transplantation du père Boulogne, et les résultats des transplantations n’étaient pas aussi bons qu’aujourd’hui. Mais l’histoire de la découverte de cette ciclosporine mérite une parenthèse car elle est représentative de la manière dont le progrès se fait en sciences.
Les entreprises pharmaceutiques sont, sans arrêt, à la recherche de nouveaux antibiotiques pour lutter contre les nouvelles infections. Ces antibiotiques, de même que leur ancêtre la pénicilline, sont le plus souvent des champignons ramassés au hasard de collectes systématique-ment organisées par ces entreprises dans les forêts, les champs, les ruisseaux et même les dépôts de détritus. Jean-François Borel, chercheur des laboratoires Sandoz à Bâle, est l’un de ces limiers ramasseurs de champignons. Un jour, celui-ci rapporte des forêts de Norvège toute une collection de prélèvements hétéroclites. L’un d’eux contient un champignon qui, bien qu’inefficace contre les bactéries, est, en revanche, capable de tuer les lymphocytes impliqués dans le rejet immunologique. Tout excité par cette découverte, il en parle à son directeur qui, déçu devant l’inefficacité du champignon contre les bactéries, lui demande d’abandonner ses recherches. Jean-François Borel persiste au contraire de façon semi-clandestine et grâce à son acharnement, nous disposons aujourd’hui d’un médicament merveilleux, la ciclosporine, si efficace dans les transplantations d’organe. C’est ainsi que procède souvent la recherche : une expérience ne donne pas le résultat escompté, la plupart des gens abandonnent, mais le véritable chercheur persiste et trouve l’inattendu. C’est le cas de Pasteur, de Fleming et de bien d’autres.
Le principal obstacle à la transplantation du cœur n’est pas tant les difficultés, que l’on vient de voir, que le manque crucial de donneurs. Cela est également vrai pour les autres organes : rein, foie, pancréas. En France, un malade sur trois meurt faute de recevoir l’organe dont il aurait besoin. Autre obstacle de taille : il est psychologiquement très pénible pour un malade de fonder ses espoirs de guérison sur la mort de quelqu’un. Le recours à un cœur prélevé sur un animal (ou xénotransplantation) peut seul résoudre ces problèmes – par sa taille, le porc est le plus proche de l’homme en la matière. Mais là, deux difficultés surgissent. Premièrement, les réactions immunologiques entre l’animal et l’homme sont précoces, hyperaiguës, foudroyantes. Il faut donc trouver des moyens plus efficaces encore pour les combattre. Seconde difficulté : le risque de transmission de maladies animales à l’homme, ce qu’on appelle les zoonoses. Ce risque a imposé un moratoire à l’équipe de Cambridge en Angleterre qui était prête à faire les premières xénotransplantations chez l’homme, il y a quatre ans. Néanmoins, les recherches continuent pour relever ce double défi. En attendant, d’autres chercheurs travaillent sur le cœur artificiel, second type de remplacement du cœur.
Le cœur artificiel
Le manque d’organes de transplantation et les difficultés que posent les xénogreffes justifient pleinement les recherches qui visent à réaliser un cœur artificiel. Il s’agit ici du vrai cœur artificiel, complet et totalement implantable, destiné, comme la greffe cardiaque, à remplacer le cœur du malade, et non pas de ces appareils d’assistances ventriculaires, improprement appelés parfois « cœurs artificiels », qui sont utilisés seulement comme assistance d’un cœur malade laissé en place en attendant une greffe cardiaque disponible.
Comme le cœur naturel, un cœur artificiel comporte deux ventricules droit et gauche. Chacun est cloisonné par une membrane pulsatile en deux chambres : l’une contient le sang, l’autre un liquide alternativement injecté et aspiré par une moto-pompe qui lui est accolée. Ce mouvement de va-et-vient du liquide mobilise la membrane qui, tour à tour, aspire le sang veineux puis le refoule dans les artères tout comme un ventricule normal.
Si le concept est relativement simple, sa réalisation pose des problèmes considérables. Le premier est la miniaturisation. Le cœur artificiel étant destiné à remplacer le cœur malade, il doit avoir une taille à peu près semblable à celui-ci. Une gageure car il s’agit de concentrer dans un même volume réduit les deux ventricules, les groupes moto-pompes et l’électronique de commande. Pour réussir, il faut réaliser de nombreuses études par ordinateur des espaces anatomiques disponibles et de nombreuses maquettes de forme exactement adaptée.
Le second problème est la régulation médicale, c’est- à-dire le pilotage informatique des moteurs et des pompes pour adapter, à tout moment, la fonction du cœur aux besoins de l’organisme, quelles que soient les conditions : repos, effort, position couchée ou debout. On dispose pour cela de capteurs et d’un système de recueil en continu des données physiologiques : pressions et volumes enregistrés à l’intérieur de chaque ventricule.
L’énergie animant les moteurs est dispensée par des batteries. L’une, intracorporelle, permet une autonomie de quelque quinze minutes – le temps de prendre une douche – les autres, plus volumineuses, extracorporelles, sont connectées à la batterie intracorporelle et la rechargent en permanence le reste du temps.
Dernier problème et non le moindre : le cœur artificiel doit être hémocompatible, c’est-à-dire qu’il ne doit pas donner lieu à la formation de caillots sanguins, complication la plus fréquente de tous les appareils médicaux destinés à être en contact avec le sang. Heureusement, il existe des matériaux spéciaux, notamment des matériaux dits bioprothétiques, développés en France il y a plu¬sieurs années, qui remplissent ce rôle.
La mise au point d’un cœur artificiel nécessite un grand nombre d’études et d’essais. Le mode d’expérimentation a beaucoup changé au cours de ces quinze ou vingt dernières années. Jusqu’alors, les expérimentations étaient effectuées sur l’animal, le veau généralement. C’est de moins en moins le cas : la relève est prise par des tests sur bancs hémodynamiques et des simulations sur ordinateur. L’ère de l’informatique permet maintenant de simuler des cœurs artificiels et leur comportement dans un réseau artificiel. Des bancs hémodynamiques sophistiqués permettent de construire des réseaux reproduisant toutes les caractéristiques du système vasculaire, un homme artificiel en quelque sorte ! Grâce aux ordinateurs, on peut prévoir les performances d’un cœur artificiel avec plus de précision et à un moindre coût que les expériences sur animaux. On peut même se placer dans des conditions extrêmes telles que le froid, le chaud ou des maladies diverses.
Pour conclure sur une note d’optimisme, soulignons que le progrès le plus remarquable de la cardiologie moderne n’est pas la mise au point d’appareillages complexes, aussi utiles soient-ils, mais la connaissance des facteurs de risques qui président au développement des maladies du cœur. Aujourd’hui, il est possible de dire avec certitude que tel facteur héréditaire, tel comportement, tel mode de vie engendrent un risque accru de telle ou telle maladie. Pour la première fois, l’homme peut peser sur son propre destin en déjouant ces risques, par exemple en évitant le tabac, la sédentarité, le surpoids.
De son côté, le médecin surveillera et corrigera une tension artérielle trop haute, un diabète débutant, une tendance à l’obésité. De cette alliance entre le médecin et le patient naît la médecine dite préventive, celle qui évite le recours aux solutions ultimes et salvatrices que sont greffes cardiaques et cœurs artificiels.
Vidéo: Xénotransplantation ou cœur artificiel, un défi pour demain
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