Une alchimie très personnelle du placebo
S’il n’existe pas de malade placebo répondeur universel, existe-t-il des médecins placebo inducteurs universels ? Soyons clair : l’effet placebo est un plus – ou, le cas échéant, un moins – par rapport à l’effet normalement attendu du traitement. C’est lui, en tous cas, qui fait la différence ; c’est en bonne partie lui qui fait ou défait – une partie de – la réputation d’un cabinet. Outre la compétence, la gentillesse et la disponibilité, ce sont bien des résultats que vient chercher la patientèle. Sur quoi reposent ces résultats ? Existe-t-il donc des médecins capables, plus que d’autres, d’augmenter la puissance des médicaments prescrits? Il semble que la réponse, normande, soit oui et non.
C’est certainement Jules Romain, avec le Docteur Knock, qui a le mieux étudié ce qui, dans la personnalité d’un médecin, est le plus capable de séduire un village tout entier. Il ne s’agit pas de soigner mais de persuader l’autre qu’il est malade, que l’on connaît sa maladie, qu’on en maîtrise le traitement et que, finalement, il ira mieux. Bien que l’auteur n’ait guère développé l’aspect thérapeutique, gageons que ce maître bluffeur de Knock devait souvent obtenir des résultats remarquables ! Déjà, au xvif siècle, l’iatrochimiste Jean-Baptiste van Helmont insistait sur les « moyens simpathetiques » : « Ce sont donc les idées de celuy qui applique le remède simpathetique qui s’unissent
dans ce milieu et deviennent les directrices de ce baume qu’elles portent à l’objet de leur désir… Car c’est de la qu’il arrive que cette poudre simpathetique opère bien plus heureusement quand elle est appliquée par la main d’un homme que par la main d’un autre ; et j’ay toujours remarqué que le remède estoit bien plus efficace lorsqu’il estoit accompagné d’un amoureux désir et d’un soin charitable de faire du bien. » Ainsi donc, non seulement l’habileté de la main du médecin, et c’est bien compréhensible, modifie l’efficacité du traitement, mais les idées de ce dernier, sa compassion et même « son amoureux désir », permettent de diriger l’action du baume. C’est là le fondement même de l’effet placebo en ce qui concerne l’influence de la personnalité et l’attitude du médecin. C’est aussi le fondement de ce que Freud appellera, un peu plus tard, le contre-transfert.
La réponse est donc oui, parce que l’enthousiasme, le charisme, l’attention portée, le temps consacré, l’empathie, la commisération, la capacité à rassurer et surtout la croyance dans le traitement prescrit, sont des facteurs importants de réussite. Mais la réponse est également non, car, mises à part quelques natures particulièrement heureuses, toutes ces caractéristiques varient non seulement en fonction du malade que l’on a en face de soi mais aussi de sa maladie. Il est rare en effet qu’un même médecin soit capable de communiquer le même enthousiasme dans tous les domaines. Parce qu’il a une bonne expérience et une solide connaissance de l’ulcère, tel médecin obtiendra de bons résultats dans cette maladie particulière, alors qu’il réussira moins bien par exemple dans l’hypertension ou l’acnée qui l’intéressent moins et qu’il maîtrise mal. C’est probablement pour cette raison, parfaitement légitime d’ailleurs, qu’après quelques années d’installation, les médecins « sélectionnent » leur clientèle et qu’en retour, les patients choisissent leur
médecin. Tel malade s’attachera à son docteur, « un I H-ii pessimiste il est vrai, mais tellement prudent et qui ne laisse jamais rien passer»; tel autre vantera les mérites de son médecin « tellement enthousiaste, qu’il lui redonne du courage à chaque visite » ; tel praticien nirru, n’hésitant pas à engueuler ses ouailles, fera un i.ibac chez ceux qui aiment les injonctions musclées; k-l autre quasi muet mais tellement discret, etc.
Aucun médecin ne parviendra jamais à être également bon pour tous les malades et pour toutes les maladies! C’est souvent au hasard de ses lectures, de ses stages, de ses notes aux examens, de son sujet de dièse, du charisme d’un de ses maîtres à l’université ou à l’hôpital, du succès remporté en traitant son premier malade atteint de telle maladie, que le médecin en herbe prend confiance en soi, porte de l’intérêt à un (hème donné et finit par cibler une partie de sa formation sur une pathologie plus ou moins précise où du coup, il réussira particulièrement bien. Plus on est compétent dans un domaine, plus on est sûr de soi et plus on est sûr de soi, plus on est placeboinducteur. C’est la magie du soin. Tel généraliste deviendra compétent, donc efficace et convaincant, par exemple en gériatrie. Au bout de quelques temps, ce « médecin qui sait si bien s’occuper des vieilles dames » recevra une plus grande proportion de personnes âgées à qui il portera une attention plus particulière. Elles l’en aimeront d’autant plus qu’il sera gratifié par elles selon le principe d’un cercle vertueux dont personne ne songerait à se plaindre. En revanche, ce même médecin orienté de fait en gériatrie, capable de douceur et de circonspection, mais peut-être un peu lent et d’apparence irrésolu, risque d’agacer les adultes jeunes qui finiront par se diriger vers un autre praticien réputé plus énergique et incisif.
Au bout de quelques temps, les cabinets de généralistes de ville arrivent à sélectionner une clientèle particulière sur un trait de personnalité, une malailli ou un organe particuliers. Il est amusant, quand un travaille à l’hôpital, et que l’on reçoit des malades pin venant de cabinets variés, de pratiquement deviner, en fonction de la typologie des patients, par qui ils snnl soignés. En psychiatrie de ville, on sait que Ici confrère « fait bien » avec les ados, tel autre avec Ici obsessionnels, tel autre avec les hystériques. Dis nml quel genre de malade tu es, je te dirai qui te soigne I Mais aucune étude n’a jamais réussi à prédire la révis site ou non d’un traitement placebo en fonction de la seule attitude ou personnalité du médecin. Rabelais avait raison, et avant lui Hippocrate : la médecine est bien ce combat ou cette farce à trois personnages : le médecin, le malade et la maladie.
Vidéo : Une alchimie très personnelle du placebo
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