Une agriculture durable au service de l'homme
Le caractère multifonctionnel de l’activité agricole est maintenant reconnu. En effet, le rôle de l’agriculture est loin de se limiter à la production de matière première standard pour l’industrie agroalimentaire. Son importance dans le maintien de l’environnement et du tissu rural est évidente. La capacité de l’agriculture à fournir un approvisionnement alimentaire sûr et abondant a constitué le fil directeur du développement agricole jusqu’aux problèmes rencontrés de surproduction et de manque de débouchés.
Par ailleurs, les relations entre alimentation et santé ont commencé à prendre une bonne place dans la préoccupation des consommateurs et des pouvoirs publics. Cette orientation nouvelle a été prise en considération par le secteur agroalimentaire qui se l’est largement appropriée, laissant l’activité agricole à son rôle habituel de fournisseur de denrées. Finalement, les choix du consommateur sont largement dépendants de l’offre de l’agroalimentaire en fonction des critères de prix, de goût ou d’informations publicitaires sans que l’on soit assuré qu’il en résulte un équilibre nutritionnel.
Il apparaît clairement que la régulation de l’offre alimentaire par les seuls critères économiques n’est pas suffisante pour assurer le bien-être et la santé du consommateur. Pour éviter toutes sortes de dérives, la chaîne alimentaire doit donc être repensée afin d’aboutir à des solutions équilibrées, porteuses de bien-être et de santé, dans lesquelles les secteurs économiques concernés trouvent leur juste place et en particulier le secteur agricole.
Connaissant les besoins nutritionnels de l’homme, on pourrait définir la nature des aliments à produire ; cela aurait bien entendu des répercussions sur l’ensemble de la chaîne alimentaire. Ce schéma peut sembler utopique puisqu’il est très difficile de modifier les habitudes alimentaires de la population, mais également les pratiques professionnelles de tous les acteurs impliqués : agriculteurs, transformateurs, distributeurs, restaurateurs, et il ne faut pas sous-estimer les diverses pesanteurs.
Une des manières de procéder pour induire un changement profond dans la gestion de la question alimentaire serait de conduire une large réflexion a l’échelon des pays pour faire émerger de nouveaux consensus, pour justifier les propositions de réformes aux diverses étapes de la chaîne. Dans ces conditions, les pouvoirs publics auraient toutes les facilités pour soutenir les orientations les plus opportunes en conciliant intérêts généraux et intérêts économiques particuliers.
Quelles solutions doit-on rechercher pour tisser les liens entre agriculture-environnement-alimentation-santé, et quelle culture nouvelle doit-on introduire pour progresser dans cette problématique ? Comment introduire un objectif de nutrition préventive dans la multifonctionnalité de l’agriculture ?
La réponse à ces questions est théoriquement facile : en rendant parfaitement compréhensibles les relations entre alimentation et santé, en précisant le rôle et les responsabilités de chacun à toutes les étapes de la production-transformation-distribution, en organisant, par un cahier des charges, l’élaboration de la qualité nutritionnelle, en recherchant des solutions aux facteurs limitant cette approche. Les possibilités d’action des pouvoirs publics à l’échelle nationale et européenne sont considérables, via les diverses aides. Encore faut-il que les subventions agricoles accordées le soient pour des finalités mieux définies ; la production d’aliments de bonne qualité nutritionnelle est un objectif général auquel les citoyens peuvent adhérer.
Les deux idées-forces pour la construction d’une politique agricole peuvent se synthétiser autour de deux concepts : celui d’une agriculture durable pour signifier la nécessité de la préservation et de la permanence de l’activité agricole dans un environnement naturel bien préservé, et celui d’une agriculture nourricière au sens de son efficacité pour nourrir les hommes et préserver leur santé.
La conception classique de l’agriculture durable est souvent limitée aux modalités de la production agricole. Dans une vision plus globale, la notion d’agriculture durable doit prendre en compte sa mission nourricière en même temps que ses conditions de réalisation sur le terrain.
Expliquer et développer en pratique les deux concepts constitue un préalable indispensable pour construire un système de production alimentaire équilibré. Il ne s’agit pas de réglementer inutilement, mais de clarifier les objectifs nutritionnels que la société attend des activités agricoles et agroalimentaires. Le développement de l’agriculture durable doit se situer dans une perspective de nutrition préventive, et la validité de tels enjeux sociétaux est suffisamment forte pour susciter une très large adhésion sociale à ce projet.
Comme pour le concept de nutrition préventive, les attentes liées au concept d’agriculture durable doivent être bien mieux définies. Pour le monde agricole, la notion d’agriculture durable fait principalement référence à la permanence de l’activité agricole, aux possibilités de son adaptation et de son renouvellement, au maintien du potentiel agricole et de sa rentabilité économique. La possibilité pour le paysan de bénéficier d’un cadre de travail très complexe et équilibré, adapté aux diverses situations, dépend du respect de ces bases. Dans la mesure où l’agriculture a été déconnectée d’une responsabilité nourricière directe, d’une mission claire dans le développement de la nutrition préventive, ce secteur n’a pas développé une réflexion suffisante pour faire le lien entre les activités de production et les objectifs nutritionnels à atteindre. Or, à long terme, une agriculture ne peut être durable et soutenue que si elle correspond aux attentes sociétales de bien-être et de santé. De plus, pour l’agriculture, l’obligation d’être nourricière et protectrice offre à ce secteur une perspective de valorisation et de renouvellements très intéressants et un défi passionnant à relever.
La force d’une approche globale de la production agricole et alimentaire en fonction d’intérêts fondamentaux, écologiques, nutritionnels et sociaux contribuera à redonner un second souffle à une activité humaine des plus nobles et des plus remises en question dans l’approche productiviste actuelle.
Le terme d’agriculture durable permet donc de réunir sous un même concept des exigences et des objectifs complexes et interdépendants tels que : le maintien ou l’amélioration de la fertilité des sols, la préservation ou l’amélioration de l’environnement, une production alimentaire sûre et suffisante, la prise en compte d’objectifs nutritionnels et de santé, le maintien d’un tissu rural le plus riche possible, la création d’un cadre de travail épanouissant pour les paysans.
Selon une analyse conventionnelle, il peut paraître très difficile de mener de front la réalisation de ce vaste programme. Or les conditions d’une mise en place d’une agriculture durable nécessitent au contraire la prise en compte de tous ces éléments et des divers enjeux et contraintes. Il est compréhensible, par exemple, que des contraintes concernant l’amélioration de l’environnement soient également favorables au maintien de la fertilité des sols ou à la sécurité alimentaire. Une bonne répartition des productions végétales et animales, l’adoption des assolements nécessaires à la fertilité des sols ne peuvent être que favorables à la régularité des productions alimentaires. La prise en compte des objectifs nutritionnels implique une meilleure maîtrise des techniques de culture et d’élevage et une revalorisation des productions agricoles. C’est en fixant un cadre de travail intéressant et suffisamment rémunérateur que le monde agricole pourra attirer des professionnels compétents désireux de valoriser leur travail dans un cadre naturel. C’est sans doute en jetant de nouvelles bases, en repensant le fonctionnement de la chaîne alimentaire et la place de l’agriculture qu’il sera possible de bâtir un nouveau mode d’agriculture beaucoup plus attractif.