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L’origine des déséquilibres alimentaires peut être extrêmement diverse, provenir principalement de typologies alimentaires très accentuées, d’aliments peu équilibrés sur le plan des apports énergétiques et de leur densité nutritionnelle en micronutriments. L’ensemble de ces déséquilibres potentiels est accentué lorsque les aliments sélectionnés ont été transformés, ont perdu de leur complexité et lorsque les repas ne sont pas confectionnés avec des aliments suffisamment complémentaires. Les repères de consommation correspondant à des objectifs de la nutrition préventive sont pourtant très simples. Il est recommandé de consommer une source de glucides complexes à chaque repas (pain, céréales, pommes de terre, légumes secs) et à l’échelon d’une journée au moins cinq fruits ou légumes différents. Cet ensemble de produits végétaux et d’autres aliments tels que le miel, les fruits secs et diverses graines ou les jus de fruits (à condition qu’ils soient de qualité, de composition le plus proche possible des fruits d’origine et sans ajout de sucre, ce qui réduit fortement le choix) devrait contribuer à fournir plus de 60 % de l’énergie. La fréquence de consommation de produits animaux tels que viandes diverses, œufs ou charcuteries ne devrait pas dépasser deux portions par jour pour les personnes sédentaires, et, selon les avis du PNNS, les produits laitiers peuvent être consommés à chaque repas, ce qui ne signifie pas que cette recommandation soit adaptée à tous les consommateurs. Au total beaucoup de personnes n’imaginent pas que la contribution énergétique des produits animaux dans un régime équilibré est modeste et ne dépasse pas 25 % des apports caloriques totaux. La consommation de produits riches en calories vides, de matières grasses et de produits sucrés ou très salés devrait être fortement limitée (beurres et margarines riches en acides gras saturés, fromages salés, biscuits courants, viennoiseries, glaces, chocolats pauvres en cacao, nombreux hors- d’œuvre, sauces et charcuteries grasses, desserts industriels fortement aromatisés, sodas, nectars, plats préparés riches en énergie, chips, pains de mie, biscottes, produits de snacking, barres énergétiques, etc.).
À partir de ces recommandations très simples, mais pas toujours faciles à contrôler dans la vie de tous les jours, il est possible d’évaluer la validité ou les défauts de diverses typologies alimentaires.
Si le consommateur utilise en quantité suffisante une large gamme de produits céréaliers (ou apparentés) peu raffinés (pains bis ou complets, pâtes, couscous, boulgour ou riz semi-complets, flocons de céréales, quinoa, sarrasin), ainsi que d’autres produits végétaux complémentaires (féculents divers, fruits et légumes, mais aussi noix, amandes, noisettes, fruits secs), il y a relativement peu de risques que l’alimentation ne soit pas protectrice. Produits animaux et végétaux se complètent alors parfaitement, au moins dans le cadre des recommandations qui viennent décrites, et ce large choix alimentaire laisse peu de place aux calories vides. Le fait d’être plus ou moins végétarien ne modifie pas fondamentalement la donne nutritionnelle à condition que les produits animaux délaissés ne soient pas remplacés par d’autres aliments sources de calories vides.
Lorsqu’elle est plutôt systématique, la consommation de produits céréaliers très raffinés (riz et pain blancs, pâtes classiques, céréales de petit déjeuner sucrées-salées, biscottes courantes) contribue à diminuer très fortement la densité nutritionnelle des régimes. Si, en plus de cette habitude, le consommateur réduit les quantités de pain, de pommes de terre, de fruits et légumes, l’alimentation devient très déficiente en un très grand nombre d’éléments. Lorsqu’elle reste modérée, la consommation des produits animaux n’est pas directement responsable de mauvais équilibres alimentaires (elle peut même être une source d’équilibre précieuse). Cependant il ne faut pas négliger les conséquences négatives de l’abus de viandes, de fromages ou de charcuteries. En dehors de ces excès bien fréquents, une mauvaise couverture des apports nutritionnels est majoritairement induite par un apport trop élevé en aliments ou boissons riches en calories vides qui prennent la place des produits végétaux complexes.
Il existe souvent des avis divergents concernant l’intérêt d’être végétarien. A ce sujet, il faut noter que nous sommes tous végétariens dans le sens où notre alimentation doit être majoritairement composée de produits végétaux. Il est clair que la qualité d’une alimentation végétarienne ne peut se définir par le seul respect de la non-consommation de viandes, mais beaucoup plus par la qualité de la gamme des produits végétaux consommés. Une typologie alimentaire paradoxale et bien peu valable consiste à se priver de viandes tout en consommant de nombreux produits riches en calories vides (biscuits, viennoiseries, yaourts, jus de fruits sucrés et autres produits riches en ingrédients purifiés). Dans ce cas-là, le risque de déséquilibres nutritionnels est particulièrement élevé, plus grave que chez le consommateur traditionnel, bénéficiant au moins des nutriments d’origine animale pour pallier en partie les déficits induits par les sources de calories vides.
S’il ne commet pas d’erreurs alimentaires graves en ayant recours à une gamme de produits transformés peu complémentaires, le végétarien a souvent un excellent statut nutritionnel, il est plutôt mieux protégé du risque cardio-vasculaire compte tenu d’une moindre consommation d’acides gras saturés et d’un rapport sodium/potassium favorable. Il est moins sujet à un apport excessif de fer, il évite d’être exposé à certains produits de cuisson présents dans les viandes rôties et surtout grillées.
L’alimentation végétarienne permet de disposer d’un apport en protéines plutôt modéré, ce qui peut être très satisfaisant pour l’organisme. Cependant, dans la mesure où les ingrédients énergétiques purifiés (sucre, matières grasses) ont envahi toutes les préparations alimentaires, il est nécessaire que les produits complexes de base permettent un apport de protéines suffisant. Lorsque les végétariens consomment aussi des produits laitiers, des œufs, voire du poisson, un bon équilibre protéique peut être atteint par cette diversité alimentaire. Pour les végétaliens qui excluent par conviction idéologique tous produits animaux, l’utilisation des légumes secs, des protéines de soja, des produits fermentés devient entièrement indispensable. Cependant, il faut souligner que la vie est possible sans la consommation de produits animaux ; c’est ce que nous imposons, depuis l’interdiction des farines animales, aux volailles ou aux porcs, pourtant plutôt omnivores, avec des résultats de croissance corporelle satisfaisants. Il est souhaitable de rester dans la logique du comportement omnivore des anciens chasseurs-cueilleurs que nous sommes, mais on ne peut exclure une évolution souhaitable de l’homme vers plus de végétarisme dans un esprit de développement durable et d’une meilleure utilisation des ressources végétales sans abuser de l’intermédiaire animal.
Quelques conseils très utiles peuvent être prodigués pour aller dans le sens d’une alimentation saine et protectrice, riche en produits végétaux : par exemple celui de consommer le plus souvent possible des crudités variées (ou des fruits) en début de repas plutôt qu’en fin de repas. Elles seront mangées ainsi avec plus d’appétit et pourront contribuer à réduire la prise des autres aliments plus énergétiques. De même, l’assiette principale du déjeuner gagne, en accompagnement de la viande ou du poisson, à contenir à la fois une source de féculents et de légumes variés.
Beaucoup de comportements alimentaires sont relativement caricaturaux, et leur modification en profondeur nécessiterait une véritable révolution personnelle. De nombreuses personnes, confrontées à la maladie après une longue période d’alimentation hasardeuse, ont su opérer une véritable conversion diététique. Avec un état de santé retrouvé, ces hommes et ces femmes sont souvent les plus convaincants au sujet du caractère bénéfique d’une alimentation équilibrée. Dans bien des cas, la majorité des consommateurs reste enfermée dans des comportements types qu’il est illusoire d’espérer modifier en profondeur. En attendant un changement durable et souhaitable de la chaîne alimentaire, il est cependant important de faire des propositions utiles aux divers types de consommateurs, en fonction des défauts les plus criants des modes alimentaires pratiqués. Cela revient à faire prendre conscience de l’importance relative des diverses classes d’aliments (pain et autres sources de glucides complexes, viandes, produits laitiers, matières grasses, fruits et légumes), à veiller à la bonne densité nutritionnelle des produits transformés et à mettre l’accent sur la nécessaire diversité alimentaire principalement dans le domaine des produits végétaux. Sur le terrain, il faudrait accomplir un travail d’accompagnement nutritionnel considérable : donner des conseils utiles à ceux qui cuisinent peu, à ceux qui mangent souvent des sandwichs, à ceux qui sautent souvent des repas, à ceux qui vont souvent au restaurant ou au fast-food, à ceux qui adorent viandes, fromages et charcuteries, à ceux qui aiment faire la fête, à ceux qui mangent peu et qui manquent d’idées de menus. Ce type de conseils est l’objet du fascicule « La santé vient en mangeant » édité par le PNNS. Après les déformations induites par notre chaîne alimentaire, la valeur de l’acte de bien se nourrir sera fort difficile à réhabiliter dans toutes les couches de la société.