Psychologie du vieillissement : un haut maintien d'activités, condition d'une vieillesse réussie
La vieillesse optimale
Il paraît évident à tout un chacun que nous n’utilisons qu’une partie de nos capacités intellectuelles et physiques. En d’autres termes, notre fonctionnement est rarement optimal. Nous disposons donc d’une réserve de capacités physiques et cognitives qui est susceptible d’être utilisée selon nos motivations et les sollicitations environnementales. Staudinger et al. (1993) utilisent à cet égard les concepts de plasticité et de restauration (résilience). La restauration peut être définie comme la capacité à recouvrer et à maintenir des comportements adaptatifs après un déclin initial ou une incapacité consécutive à un événement traumatique ou stressant. La plasticité, concept plus général, fait référence aux réserves dont dispose l’individu pour optimaliser son fonctionnement. On peut considérer que la restauration est un cas particulier de plasticité.
La plasticité diminue en vieillissant. Le déclin des performances observé dans certains domaines cognitifs avec le vieillissement s’explique pour une part par des raisons fonctionnelles, une sous-utilisassions des réserves, et pour une autre part par des raisons endogènes liées au vieillissement cérébral. 11 s’agit là d’une interaction entre les influences liées à l’âge (age-graded) et les influences non normatives. En conséquence, la personne âgée disposerait de grandes réserves latentes qui ne lui permettraient pas malgré tout de concurrencer les personnes jeunes. Baltes (1987) distingue deux types de réserves, les capacités de réserve de base (baseline reserve capacities) et les capacités de réserve développementale. Les premières sont relatives aux performances maximales qu’un individu peut atteindre dans une situation en fonction de ses ressources internes et externes. Il s’agit donc de l’utilisation optimale de ses ressources en situation. Mais les ressources peuvent être activées et augmentées. Cette marge d’augmentation de ces capacités de réserve est en fait la capacité à les développer. Baltes les appelle donc capacités de réserve développementale. Elles s’expriment à travers des apprentissages à moyen et à long terme et des pratiques d’entraînement.
Afin d’illustrer ces concepts théoriques et de démontrer leur intérêt, nous présenterons certains résultats issus d’une série de recherches conduites au Max Planck Institue de Berlin (Kliegl et Baltes, 1987 ; Baltes et Kliegl, 1992 ; Lindenberger et al, 1993, 1995). Le protocole utilisé est celui de la méthode mnémotechnique des lieux ou des loci dont l’histoire mérite d’être relatée. L’art d’exercer sa mémoire est une tradition fort ancienne que l’on peut attribuer aux Grecs qui l’associaient à la pratique de la rhétorique, c’est- à-dire à l’argumentation et au débat. La naissance des règles de l’art mnémotechnique peut être attribuée au poète Simonide de Céos (environ 477 av. J.-C.). L’histoire se passe au cours d’un banquet donné par un noble habitant de Thessalonique. Durant le banquet, Simonide est amené à s’absenter et par bonheur pour lui et malheur pour les autres, le toit s’effondre sur les convives. Les corps sont affreusement mutilés et les familles sont incapables d’identifier leurs proches. Simonide parvint en revanche à les identifier par souvenir de chacun d’entre eux en se remémorant l’ordre dans lequel ils étaient assis autour de la table. Simonide réfléchit alors aux règles d’une bonne mémorisation et en conclut qu’il fallait à cette fin classer et organiser les informations. Plus précisément, il développa la thèse selon laquelle pour développer sa mémoire, il fallait s’entraîner à choisir mentalement des lieux distincts, à former des images mentales des «choses» dont on veut se souvenir et à «organiser» ces images dans les divers lieux choisis. En conséquence, l’ordre des lieux correspondra à l’ordre des choses et recouvrer les informations reviendra à parcourir mentalement les lieux. Il s’agit ici de la mémoire épisodique, la plus touchée par l’âge.
Au commencement de l’expérience, les sujets jeunes et âgés sont équivalents pour leur performance à mémoriser une liste de trente mots. La méthode des loci leur est alors enseignée et l’entraînement intensif se déroule sur trente-huit séances, échelonnées sur une année. Les résultats conduisent à trois conclusions essentielles pour notre propos. Premièrement, les deux groupes améliorent fortement leurs performances. Les âgés disposent donc de réserves latentes de ressources cognitives. Deuxièmement, les âgés profitent moins que les jeunes de l’entraînement. Les réserves de capacité développementale déclinent donc avec l’âge. Troisièmement, l’entraînement provoque une augmentation de l’hétérogénéité chez les jeunes et les âgés mais plus importante chez ces derniers. En effet, après les sessions de pratique mnémotechnique, les différences de performances entre les individus des deux groupes se sont fortement accentuées. Chez les âgés, on peut même évoquer deux sous-groupes, un premier qui témoigne d’une amélioration spectaculaire de ses performances et un second dont la progression est faible. Certains auteurs ont évoqué que ce phénomène pourrait avoir une valeur de pronostic. En d’autres termes, il pourrait y avoir une proportion beaucoup plus importante de sujets développant une maladie d’Alzheimer chez ceux qui ne profitent que peu ou pas d’un entraînement cognitif.
L’existence de prédicteurs de l’apparition d’un processus démentiel rappelle le phénomène décrit par Kleemeier (1962) et dénommé par lui terminal drop. Il s’agirait d’une baisse brutale des performances intellectuelles, en particulier dans les registres qui résistent au vieillissement (mémoire sémantique, intelligence cristallisée), qui serait un signal prédictif de l’éminence du trépas. Il existerait donc des indices psychologiques témoignant que l’individu vit ses dernières années ; un de ces indices importants serait la baisse de ses réserves de capacités latentes. Dans ce cadre, Kim et al. (1996) ont étudié les relations entre la variabilité interindividuelle à court terme sur des critères biologiques et psychologiques et les risques de maladies et de mortalité chez les personnes âgées. En effet, dans la plupart des recherches la mesure d’une compétence n’est réalisée qu’une seule fois, le chercheur postulant qu’une mesure répétée témoignerait d’une faible variabilité. Pourtant, les performances de certaines personnes âgées témoignent d’une forte variation. Kim et al. (1996) ont évalué chez un groupe de personnes âgées des indices de variabilité sur des performances à des tests de natures biomédicale, cognitive et physique. Les tests étaient passés de façon répétée sur une période de vingt-cinq semaines à raison d’une évaluation par semaine. Les conclusions sont claires, le degré de variabilité intra-indivi- duelle pour les trois types d’indices (biomédical, physique et cognitif) est un excellent prédicteur du risque de maladies et de mortalité dans les cinq années qui suivent.
Les prédicteurs d’une vieillesse optimale
La Fondation McArthur pour la recherche sur la vieillesse réussie a piloté une étude longitudinale afin d’identifier les caractéristiques des personnes âgées témoignant d’une vieillesse optimale. Un échantillon de mille centre quatre-vingt-neuf sujets a été évalué dans les domaines biomédical, psychologique, social et physique.
Il apparaît que le meilleur prédicateur d’une vieillesse optimale sur le plan cognitif est le niveau d’études. Il est difficile de déterminer s’il s’agit d’un acquis précoce qui se maintient tout au long de la vie ou si les personnes à haut niveau d’études sont plus tentées dans leur vieillesse d’introduire dans leurs loisirs des activités (lecture, mots croisés, etc.) favorisant un haut maintien de leur cognition. Le deuxième prédicteur est la capacité d’expiration pulmonaire qui est significativement corrélée au maintien des activités cognitives. Le troisième prédicteur est l’augmentation de l’activité physique fatigante (sans excès) dans et autour de son foyer. Enfin, le dernier prédicteur est un facteur de personnalité. Il s’agit de la perception de son efficacité personnelle ou confiance en soi (self-ejficacity). Ce concept a été développé par Bandura (1995). On peut le définir comme la croyance d’une personne dans ses capacités à organiser et à exécuter les actions nécessaires dans les différentes situations de la vie quotidienne. Une croyance positive est nécessaire à un haut maintien de son intellect au cours du vieillissement.