Psychologie du vieillissement : le maintien d'un engagement social, condition d'une vieillesse réussie
L’engagement social se définit par deux composantes. La première est le maintien des relations sociales. La seconde est la pratique d’activités productives. De ces deux aspects dépendent la qualité du vécu de la retraite, le bien- être subjectif et la satisfaction à vivre (life satisfaction).
De très nombreuses recherches ont été consacrées à l’évolution tout au cours de la vie de la satisfaction à vivre. L’une des plus ambitieuses est celle conduite par Cameron (1975) sur six mille personnes âgées de 4 à 99 ans. Sa conclusion est que les sentiments de bonheur, de tristesse et de bien-être subjectif ne se dégradent pas avec l’âge, que les âgés n’ont pas une satisfaction à vivre inférieure à celle des jeunes. La variabilité entre les individus semble en revanche augmenter avec le vieillissement.
Les relations sociales et les activités productives
Il est bien connu depuis les célèbres recherches du grand sociologue français Durkheim (1897) que l’isolement et le manque de relations avec autrui sont des prédicteurs des comportements suicidaires. Les recherches conduites chez les personnes âgées amènent à des conclusions comparables (Antonucci et al., 1989 ; Avom et al., 1982). On peut résumer les résultats par trois grandes propositions :
- l’isolement est un facteur de risque pour la santé ;
- des supports sociaux de nature émotionnelle ou instrumentale peuvent avoir des effets positifs sur la santé ;
- il n’existe pas de support universel efficace pour tous les individus car le facteur essentiel est l’appropriation par l’individu du support.
L’un des sentiments éprouvé par de nombreuses personnes âgées est celui d’être inutile, de n’être engagé dans aucune activité productive. Kaufman (1986) démontre qu’un individu n’est pas perçu comme «vieux» par ses amis et sa famille tant qu’il conserve des activités productives. Ces dernières sont souvent associées exclusivement aux activités rémunérées. Une étude américaine conduite par l’Americans Changing Lives (ACL) contredit ce stéréotype. Il apparaît que de nombreuses activités informelles (aide scolaire, action humanitaire, engagement politique, aides diverses) assurées par des individus à la retraite participent à l’économie du pays et peuvent représenter une économie substantielle pour le contribuable. Parmi les personnes interrogées de plus de 60 ans, 39 % ont déclaré une activité annuelle d’au moins mille cinq cents heures, 40 % entre cinq cents et mille quatre cent quatre- vingt-dix-neuf heures et 18 % entre zéro et quatre centre quatre-vingt-dix- neuf heures. L’augmentation du nombre d’âgés posera de plus en plus la question de savoir s’il est raisonnable qu’une société se prive d’une telle quantité de savoirs et de matière grise.
En prenant comme critère le degré d’engagement social et le type d’activités, Guillemard (1970) a proposé une catégorisation des pratiques (styles) de retraite. Son enquête a porté sur un échantillon de mille retraités issus de toutes les classes sociales.
Les différents styles ou pratiques de retraite et de retraités
La catégorisation proposée par Guillemard (1970) comprend cinq types de pratiques. Leur autonomisation s’est opérée à partir de traitements statistiques d’échelles mesurant l’engagement social et les activités du sujet.
Le premier type est appelé par l’auteur la retraite-retrait. L’individu témoigne d’un repli sur l’être biologique, d’un rétrécissement de son champ social et spatial. Le temps accordé au sommeil est le plus important. On constate l’absence de projets même à très court terme. Les journées se ressemblent totalement. La personne se déplace très peu et quasi jamais en dehors de son quartier. Elle ne voit personne ou quasiment personne. Elle n’a aucune activité. En résumé, son engagement social et son maintien dans des activités productives sont inexistants. On peut parler d’une retraite «mort sociale», contraire à une vieillesse réussie et à haut risque pour la santé.
Le deuxième est appelé la retraite troisième âge. Le retraité s’insère dans un tissu social par des activités productives. Ces dernières ne sont pas un simple passe-temps. Elles sont centrales dans l’organisation temporelle et représentent l’un des centres principaux d’intérêt. Cette pratique est associée à un sentiment de vieillesse réussie.
Le troisième est appelé les retraites loisirs ou famille. Le retraité s’insère socialement par des activités de consommation dans un cadre familial ou de loisirs. Centré sur la famille, on constate alors une cohabitation du retraité avec les enfants, une forte intensité des relations familiales en particulier avec les petits-enfants, de nombreuses réunions familiales et une participation financière importante afin d’aider les enfants. Ce type de retraité considère qu’il joue un rôle important dans le maintien de la structure familiale. Centré sur les loisirs, le retraité témoigne de nombreuses activités culturelles et/ou sportives, de nombreuses sorties et voyages. Le sentiment de vieillesse réussie est souvent bon mais des tensions familiales peuvent entraîner l’apparition de symptômes dépressifs.
Le quatrième s’intitule la retraite-revendication. Le retraité conteste le statut des vieux dans notre société. Il considère que les âgés devraient constituer une force de pression en s’unissant, qu’ils doivent conserver un rôle actif. Il témoigne d’une préférence à établir des liens sociaux avec des personnes elles-mêmes retraitées. Le sentiment de vieillesse réussie est très instable chez ce type de personnes. Elles peuvent développer le sentiment d’être exclues injustement de la société et peuvent alors la percevoir comme hostile aux personnes âgées.
Enfin, le cinquième est la retraite-participation. L’individu s’insère socialement par procuration via sa télévision. Sa consommation télévisuelle occupe l’essentiel de son temps mais il ne s’agit pas d’une activité productive. Le sentiment de vieillesse réussie est faible et la sédentarité consécutive à ce mode de vie est un risque pour la santé.
Cette catégorisation fait clairement ressortir le lien qui existe entre la vieillesse réussie, le degré d’engagement social et la pratique d’activités productives. Toute une série de recherches (House et al., 1988) menées dans de nombreux pays montrent un lien entre le niveau d’intégration social et la mortalité témoignant que les retraités qui pratiquent l’isolement social et la sédentarité ont une espérance de vie significativement inférieure aux retraités intégrés socialement.Psychologie-du-vieillissement-le-maintien-d-un-engagement-social-condition-d-une-vieillesse-reussie