Principales erreurs à éviter une fois le diagnostic évoqué ou porté :
Le tableau anorexique, du fait même de sa présentation ou des circonstances dans lesquelles on peut le rencontrer, comporte naturellement un certain nombre de « pièges » pour le médecin. Ceux-ci peuvent facilement être source d’attitudes ou de réponses plus ou moins inappropriées, parmi lesquelles les erreurs « par défaut » figurent sans doute en première place.
Erreurs par défaut :
Très fréquentes en pratique, ces erreurs surviennent d’autant plus facilement que :
– la perte de poids est encore modérée (quelques kilos), qu’il existait un surpoids antérieur, que l’aménorrhée est récente ;
– l’examen physique n’inspire pas (encore) d’inquiétude particulière ;
– l’histoire est présentée comme contemporaine d’une circonstance qui pourrait l’expliquer : préparation d’examens, vacances d’été, etc. ;
– l’entourage participe fortement au déni de la réalité du processus en cours, indépendamment de l’état clinique objectif.
Ces erreurs procèdent généralement de l’entretien de l’idée d’une « petite anorexie » temporaire et contemporaine de la crise de l’adolescence, attitude volontiers confortée par la fausse réassurance donnée par l’adolescente du fait « qu’elle va très bien » ou qu’elle n’a fait qu’un « petit régime ». Le risque est ici de renforcer le déni de la gravité potentielle de la situation. Il est aussi de laisser l’anorexie évoluer dans le flou, sans véritable prise en compte ou prise en charge, au cours d’une trajectoire plus ou moins longtemps abandonnée à ses propres aléas, et sans réelle surveillance cohérente.
En voici quelques exemples.
Ne terminer la consultation sur aucun commentaire précis, tout en restant très vague sur les termes. En réponse aux parents, ne répondre que de façon elliptique comme par exemple : « il faut être vigilant… ». Cette façon de « ne rien dire » ne peut que renvoyer les parents aux angoisses du drame domestique qu’ils vivent au quotidien, ou être interprétée par eux comme un conseil ambigu de ne pas s’inquiéter outre mesure, tout en laissant l’anorexique dans son symptôme et sa maîtrise.
Devant un tableau évocateur a priori d’anorexie restrictive stricte, ne pas rechercher systématiquement par l’interrogatoire (de l’anorexique, mais aussi de ses parents) l’existence de symptômes éventuellement surajoutés : vomissements (en particulier après un repas forcé), accès de boulimie, usage de laxatifs, potomanie, etc., qui comportent leurs risques médicaux propres.
Rester dans un discours essentiellement somatique, en ne se focalisant que sur les aspects nutritionnels, métaboliques ou endocriniens observables. Cette position aboutit encore trop souvent, par exemple, à la seule prescription d’un traitement hormonal pour « rétablir le cycle », en passant sous silence le caractère mental de l’affection et surtout ce qu’elle implique de ce fait en termes de processus et de perspective évolutive.
Croire ou entretenir le malentendu que le fait de mieux manger est du ressort de la volonté, et se contenter de « raisonner » la patiente, arguments logiques à l’appui. Cette attitude est d’autant plus tentante que l’anorexique elle-même déclare « avoir déjà pris la décision de manger » ou promet avec grande conviction qu’elle va « faire des efforts » dans ce domaine, en s’adressant à ce propos tout autant aux parents qui ne demandent qu’à être convaincus qu’au médecin qu’elle finit par convaincre de sa bonne foi.
Se contenter de conseils purement diététiques, prescrire une consultation auprès d’un nutritionniste, ou demander aux parents de se charger au domicile de surveiller, quitte à les noter régulièrement, le poids et les quantités alimentaires ingérées. Cette délégation ne peut que renforcer l’entretien des tricheries, des manipulations et de l’exaspération familiale, tout en risquant de radicaliser les symptômes.
Elle conforte faussement tout le monde sur l’origine uniquement « alimentaire » du problème, et ne peut que renforcer le malentendu à ce sujet. Elle risque surtout « d’alimenter » les obsessions déjà envahissantes et parfois quasi délirantes de l’anorexique sur les nutriments ou les calories. De la même manière, et sur foi de la difficulté à manger telle que décrite (par l’anorexique ou son entourage), prendre la lutte contre la faim pour une inappétence et prescrire un orexigène ou des concentrés caloriques, qui ne seront d’aucune utilité.
Autres erreurs à éviter :
Laisser planer « l’espoir » d’une explication rationnelle et organique aux troubles observés, sans oser écarter le doute d’un possible diagnostic différentiel, alors que tous les éléments du diagnostic positif, notamment comportementaux, sont déjà amplement présents. Cette attitude, source de confusion, procède parfois d’une véritable résistance inconsciente à un diagnostic difficile à admettre. Elle invite à ne pas solliciter d’évaluation psychiatrique et pousse à multiplier les examens complémentaires (imagerie cérébrale, bilans endocriniens, explorations digestives, etc.) dont on ne sait pas toujours s’ils explorent les retentissements de la dénutrition 011 s’ils en recherchent la cause.
Une fois le diagnostic énoncé, su lancer dans des explications médico ou psychopalliologiquos sur les mécanismes ou les significations de l’anorexie mentale, telles qu’elles existent dans les traités. Ce type d’information, outre sa valeur forcément très aléatoire, est tout à fait inapproprié, totalement inutilisable et ne peut que renforcer l’amalgame dangereux entre l’anorexie mentale en tant que maladie, et l’anorexique en tant que personne.
Certains parents, de leur côté, souhaitent ardemment discuter de leurs hypothèses sur les « causes » de la maladie. Mais le médecin doit savoir résister à la tentation de les aider à « tout comprendre », si ce n’est à pénétrer l’intérieur du monde de leur fille – autrefois apparemment si limpide – mais brusquement opacifié pour eux. La seule réalité qui vaille d’être dite avec conviction est que leur enfant se trouve dans une impasse, que ses comportements irrationnels obéissent à des ressorts qui n’ont rien à voir avec la volonté, que ces ressorts la dépassent et qu’il ne s’agit pas tant – initialement — pour le médecin comme pour les parents, de « comprendre » les mécanismes en jeu que de mettre en place une prise en charge et un suivi crédibles.
Croire que la situation d’anorexie, du fait de son caractère psychogène, est uniquement du ressort d’un psychologue ou d’un psychothérapeute, et « passer la main » sans reconvocation. Cette attitude conduit à méconnaître les risques médicaux encourus, et même à renforcer le déni de la patiente si ce n’est de son entourage de la réalité et du danger des symptômes cliniques. Elle laisse croire en l’idée fausse, et par ailleurs encore trop souvent répandue, que la psychothérapie est le traitement de l’anorexie en tant que symptôme. Enfin, quand on sait les difficultés habituelles de l’approche psychothérapeutique de ces patients et les abandons fréquents à ce niveau, cette attitude risque en plus de discréditer la valeur même du travail psycho- thérapeutique aux yeux de l’entourage, dans la mesure où celui-ci en espérerait vainement un résultat rapide sur le comportement et le poids de leur enfant.