Placebo et le faux devient vrai ?
À côté des placebos impurs, il existe une autre famille de produits totalement inertes, mais étrangement puissants. Ce sont les placebos purs. Le placebo pur est un pur mensonge, un ectoplasme de pharmacie, une apparence de médicament, un simulacre de comprimé. Généralement, à l’image du caméléon, il reproduit les caractéristiques du leader de la classe thérapeutique qu’il vise à imiter. Telle pharmacie d’hôpital, pour dispenser des placebos d’anxiolytiques, fabriquera des comprimés à base de lactose qui auront la taille et la couleur – bleu – de l’un des plus anciens tranquillisants de la pharmacopée. Un nom, sonnant à peu près comme celui du dit tranquillisant Equanime, par exemple – lui sera attribué, comme s’il existait, dans l’esprit non pas seulement des anxieux, mais surtout de leurs prescripteurs, une véritable imprégnation par le chef de file – historique ou commercial – d’une classe thérapeutique.
Pour des raisons essentiellement pratiques, et à quelques rares exceptions près, le placebo pur n’est pratiquement jamais prescrit en médecine praticienne. Il est, en effet, interdit à un médecin d’ordonner ou même de conseiller à un malade d’aller dans telle pharmacie, avec laquelle il aurait fallu qu’il convienne au prealable d’un nom code pour le placebo qui serait ensuite fabrique et dispense a l’insu du client.
Ou alors il faudrait que le medecin imagine une preparation magistrale ne comprenant que des produits inertes pharmacologiquement, avec le risque que le malade qui n’est pas forcement toujours totalement idiot, ne decrypte la formule et ne realise la supercherie.
C’est peut-etre la surinformation du public a travers la vulgarisation de la medecine par les mass media qui explique la retenue actuelle de la medecine vis-a-vis des placebos. Jusqu’au debut de ce si£cle, les apothicaires n’hesitaient pas a exposer des pots & pharmacie portant fierement la mention Mica panisdont le caractere latiniste etait suppose garantir l’exclusivite aux seuls inities. A l’heure actuelle, l’homeopathie est la seule a oser mettre sur le marche un placebo officiel, le saccharum lactis, comme si pour ses adeptes, le fait de fabriquer et eventuellement de prescrire un placebo « officiel » £liminait le risque de passer globalement pour une medecine purement placebotherapique. Nous ignorons combien de granules de saccharum lactis sont vendues par an. Appa- remment les laboratoires Boiron eux-memes ont quel- que difficulty a evaluer ce chiffre : la « consommation faible ne justifie pas de series de fabrication impor- tantes; la quantite globale pour une annee reste limi- tee & quelques centaines de tubes et doses par an. »Le produit serait simplement « prescrit de fagon locale en preparation magistrale». Apparemment, meme en homeopathie, les placebos purs sont officiellement passes de mode.
De fait, en dehors de l’hopital ou la complicite et la discretion du pharmacien lui sont acquises, le medecin praticien aurait bien tort de se lancer dans des operations compliquees ou douteuses de prescriptions de placebos purs, au risque de se mettre a dos une partie de sa clientele, alors qu’il dispose d’une quantite quasi illimitee de placebos impurs, dotes de beaux noms esoteriques: vitamines, oligo-elements, acides amines, fortifiants, toniques veineux, medicaments de la memoire, de la circulation, etc.
II existe pourtant deux domaines ou les medecins peuvent ne rien prescrire ou plutot prescrire rien, sans encourir les foudres de leurs patients et dans un contexte therapeutique officialise par un rembourse- ment par la Securite sociale. Le premier, bien connu, est l’homeopathie, du moins en ce qui conceme les hautes dilutions. La loi d’Avogadro permet de savoir que dans ce type de preparation, il n’existe statistique- ment plus aucune chance qu’il y ait une seule molecule du produit prescrit dans la preparation absorbee. La substance delivree n’est plus qu’un souvenir de molecule, une abstraction de medicament, un sym- bole, une idee, un fantasme, done, par definition et jusqu a preuve du contraire, un pur placebo.
L’autre domaine est l’eau minerale et son exploitation par le thermalisme. II est extraordinaire, quand on prend la peine d’y reflechir un moment, de consta- ter l’enormite des capitaux investis autour d’une substance therapeutique – l’eau – qui n’est en general utili- see que comme un simple solvant. Seule Lourdes et ses marchands du temple font encore mieux dans le miracle qui consiste a transformer l’eau en liquidites! Rien ni personne n’a jamais apporte l’ombre du debut d’un commencement de preuve que l’eau de telle ou telle source thermale avait la moindre superiorite therapeutique par rapport a l’eau du robinet. Pourtant, de puissants groupes financiers, assurances, banques, ont entretenu, depuis des siecles, de luxueux centres thermaux, entoures de somptueux palaces , casinos , théatre ou parcs .